Ivy Miles

- Je n'arrive tout de même pas à croire que tu lui aies dit que j'étais ton copain.

Aiden s'étend sur le lit. Je resserre mes pieds contre les siens.

- Tu m'avais manqué, murmuré-je. Comment vont papa et maman ?

Mon jumeau a eu la chance de pouvoir partir. Après tout, lui travaille tous les étés pour financer ses études, contrairement à moi.

- Bien, comme d'habitude. Papa bosse toujours aussi dur, Maman est surmenée par son patron. Rien de bien nouveau. Toujours aussi fan ? demande Aiden en pointant du doigt les posters.

- Évidemment.

Je roule sur un côté pour me retourner vers lui. Il me sourit. C'est drôle. Nous ne nous ressemblons pas du tout. Lui est roux, j'ai les cheveux noirs. Il est grand et mince, et je suis petite et même un peu enrobée. Notre seul point commun sont nos yeux bleus turquoises.

- J'espère que ça va marcher.

- Tu es encore là-dessus ? s'exclame-t-il. Je ne sais pas ce qu'il t'a fait, mais apparemment, c'est pas génial.

- Il a essayé de m'embrasser, d'autres questions ?

- Te connaissant, ça a dû être bien plus compliqué que ça. Raconte.

Je soupire.

- Très bien. On était dehors, il y avait quelqu'un, alors on s'est fait passer pour deux ados en train de se... de... Bref, Ransom y a cru, et moi, je l'ai... chauffé à blanc, disons.

- Donc c'est de ta faute, rit mon frère. Et je dois t'aider à réparer ça en me faisant passer pour ton petit ami.

- C'est à peu près ça.

Nous soufflons en même temps. Aiden sait que j'ai une bonne raison de faire ce que je fais et que j'en ai toujours une. C'est la même chose que depuis que j'ai trois ans. Je fais les bêtises, c'est lui qui les répare. C'est un peu mon grand frère, même si nous sommes nés le même jour.

- Alors c'est d'accord ? demandé-je d'une petite voix.

- Bien sûr ! me dit Aiden en m'embrassant sur le front.

Il a bien compris son rôle, apparemment.

- Et sinon, tu es sûre que tu n'auras pas d'amies qui pourraient savoir que nous sommes frère et sœur ? s'inquiète-t-il.

- Je n'ai aucun ami, lui rappelé-je. Mis à part Ransom, évidemment. Mais il ne te connaît pas.

- Tu es certaine ?

- Sûre et certaine, arrête de t'inquiéter.

*

- Tu sais quoi ? Ça ne m'étonne pas du tout qu'il soit direct tombé amoureux de toi ! s'exclame Aiden en fouillant ma chambre du regard. Il n'y en a pas beaucoup, des filles comme toi. Je crois qu'il n'y en a pas d'autre, en fait. Et puis, ce petit côté intello, avec tes lunettes et cet air quand tu travailles... Ça fait forcément craquer un premier de la classe !

- Aiden, s'il te plaît... J'essaie de me concentrer.

- Et sur quoi, sœurette ?

- Tu sais très bien que je n'aime pas que tu m'appelles comme ça, dis-je en grimaçant.

- Et comment veux-tu que je t'appelle, alors ?

- Je sais pas, par mon prénom, tu sais : Ivy, m'excédé-je.

- Calme-toi.

- Mais je suis parfaitement calme ! m'emporté-je.

- Ivy, je t'en conjure, arrête de hurler. Je veux bien que tu sois énervée parce que ton petit ami vient de t'abandonner, mais je suis là pour t'aider, alors ne t'énerve pas sur moi. Je ne t'ai rien fait !

- Ce n'est pas mon petit ami ! Combien de fois vais-je devoir te le répéter ?

- Ivy ?

- Quoi ? réponds-je.

- J'ai invité quelqu'un à venir te voir. Et il a l'air très content.

Je me retourne vers lui, toujours furieuse. Il regarde son téléphone portable et me lit un message.

- Salut, Aiden ! Merci de m'avoir invité. J'ai tellement hâte de revoir Ivy ! Elle m'a terriblement manqué depuis l'année dernière, et on a toujours pas pu se revoir cette année. J'espère qu'elle...

- Ok, ok. Arrête-toi là, le supplié-je. Rassure-moi, ce n'est tout de même pas lui qui a envoyé ce message ?

- Qui ça lui ? Oscar ? Bien sûr que si ! Et il est censé arriver d'une minute à l'autre...

Je jette un coup d'œil à ma tenue. Ma chemise est fermée un bouton sur deux, et mes chaussettes ne sont même pas remontées à la même hauteur. Mes cheveux décoiffés tombent négligemment sur mes épaules.

- Je ne peux pas l'accueillir comme ça, dis-je en refermant ma chemise.

- C'est ton problème, moi j'y vais.

Aiden sort en claquant la porte derrière lui, coupant court l'insulte que j'étais en train de prononcer. Je l'entends même prononcer un Bonjour Oscar ! dans le couloir. Il a vraiment osé le faire.

Je me passe une main dans les cheveux pour les démêler, remonte mes chaussettes et termine de fermer ma chemise. Je regarde le reflet que me renvoie l'appareil photo de mon téléphone. Je suis blanche comme un linge, mes yeux sont cernés. Mais peu importe. Oscar me connaît, je n'ai plus besoin de faire bonne impression. Des petits coups répétés à la porte me font savoir qu'il m'attend. J'ouvre la porte sur un garçon châtain, aux yeux verts et au teint pâle.

- Oscar, ça faisait... longtemps. Tu... tu n'as pas changé, bégayé-je.

- Toi non plus, Ivy. Je peux rentrer ?

Je vérifie l'état de ma chambre. Elle n'est pas dérangée, bonne nouvelle.

- Bien sûr, tu es toujours le bienvenu ici !

- Merci, glisse-t-il. Je suis content de te revoir.

- Moi aussi.

Nous rentrons et nous asseyons sur mon lit. S'ensuit un silence gêné. Le genre de silence qui pèse sur deux personnes qui ont été très proches, mais ne le sont plus vraiment maintenant.

- Tu as toujours ce collier ? demande alors Oscar pour briser le silence. C'était mon cadeau ?

Sa question sonne plus comme un constat. Je joue avec le petit pendentif en forme d'oiseau, qui descend sur ma poitrine.

- Oui.

- Tu l'as gardé. Comme souvenir d'une époque révolue, peut-être ?

Il sourit, mais je sais parfaitement que me voir lui fait terriblement mal au cœur.

- Oui.

Je suis laconique et répétitive dans mes réponses. Je ne sais pas quoi lui dire. Je l'ai tellement maltraité quand on était ensemble que j'ai l'impression que le moindre mot que je prononce le blesse.

-Pardon, prononcé-je tout bas.

- Pourquoi ?

Oscar plisse les yeux.

- Pour tout ce que je t'ai fait subir l'année dernière. Pour ce que tu subis encore aujourd'hui.

Il serre mes mains entre les siennes. Je le vois rapprocher son visage du mien. Mais il s'arrête et plante ses yeux verts dans les miens.

- Tu ne m'as jamais rien fait de mal. Au contraire, tu...

Oscar rougit. Ça ne confirme que ce que je craignais. Il est toujours aussi embarrassé qu'avant, quand ce n'était pas encore fini.

- Oscar, est-ce que tu es toujours... amoureux de moi ?

- Oui.

Il prend ma tête entre ses mains et m'embrasse. J'aimerais profiter de ce moment d'intimité avec lui, mais je me sens mal, très mal. Ce n'est pas lui que je vois, pas sa bouche que je sens contre la mienne. Ransom. J'essaie d'oublier son visage, de me concentrer sur celui d'Oscar, mais rien à faire. Le visage de mon ami me revient sans cesse.

- Merci, murmure-t-il en décollant ses lèvres des miennes.

- Attends, dis-je en retenant sa tête qu'il s'apprêtait il y a un instant à éloigner.

Il me regarde d'un air étonné.

- Est-ce que... Est-ce que tu voudrais bien qu'on se remette... ensemble ?

Oscar rougit, instantanément. Mon malaise ne fait que croître. Si je lui ai demandé une telle chose, c'est par pur égoïsme, et j'en suis parfaitement consciente et honteuse. Surtout, honteuse. J'espère que le revoir lui m'aidera à oublier Ransom.

- Évidemment, me répond-il en m'enlaçant.

*

Ransom fait les cent pas dans ma chambre. Du moins, c'est ce que je pense, car je n'arrive pas à décoller les yeux de mon ordinateur portable. La nouvelle qui s'y affiche en grosses lettres me bouleverse.

- Mais comment est-il possible qu'il y ait une seconde Alison Agman ? ne cessé-je de répéter depuis dix minutes. J'avais absolument tout vérifié : les annuaires, les pages internet, même les journaux !

- À croire que tu n'es pas encore allée chercher assez loin...

Je foudroie mon camarade du regard, qui se contente de hausser les épaules.

- Tu n'avais qu'à le faire, si c'était si simple.

Il s'approche et pose une main sur le dossier de ma chaise. Le contact de ses cheveux blonds contre ma joue me fait frissonner.

- Tu es certaine que c'est Alison ?

- Arrêtez de me demander si je suis sûre ou certaine des choses ! Je peux aussi faire des erreurs ! Mais si tu le demandes, oui, c'est bien elle. Tu veux vérifier ?

- Je connais une personne compétente qui pourrait nous laisser vérifier avec lui, me dit Ransom pour me calmer.

L'effet est immédiat.

- Qui est-ce ?

Il sourit.

- Mon père.

*

- Tu sais Ransom, j'en ai vraiment marre des déguisements.

Je tire sur le bas de ma jupe crayon noire, et réajuste mes lunettes sur mon nez. Mes talons claquent sur le sol en béton du St Bartholomew Hospital. Je ne pensais pas y mettre un jour les pieds. La véritable morgue de St Bartholomew ! Je dois presque me retenir de prendre des photos pour rajouter à ma collection.

- Bon, récapitulons, déclare Ransom en remarquant les yeux émerveillés que je pose sur tout ce que je trouve. Tu es Claire Lavoute, ma correspondante française.

- Tu parles bien le fran...

- Oui, coupe-t-il court la question. Maintenant, allons-y.

- Mais qu'est-ce que je viens faire ici ?

- Tu es arrivée en Angleterre il y a deux semaines pour faire tes études, tu es dans ma classe ce mois-ci et je devais te faire découvrir le métier de mes parents.

- Très bien, dis-je en français.

Ransom toque à la porte d'une salle fermée. Un léger Mh, nous invite à entrer.

À l'intérieur de la salle, un homme, d'une quarantaine d'années, un masque sur son nez et des gants sur ses mains, est en pleine observation d'un corps. L'odeur de formol me dégoûte et s'infiltre même dans mon masque. Je n'y suis pas du tout habituée.

- Ransom ! s'exclame le légiste en voyant arriver son fils. Qu'est-ce que tu fais là ? Je t'ai déjà dit de ne pas me déranger quand je travaille. Allez, oust !

- Papa, dit Ransom, visiblement gêné. J'ai ma correspondante française qui est venue en Angleterre, et à St James, on nous avait dit de lui faire découvrir le métier de nos parents pendant les vacances.

- C'est un plaisir !

Je serre les dents, espérant que mon imitation va suffire.

- Bienvenue en Angleterre, mademoiselle... ? demande Wilkins père en français lui aussi.

- Claire Lavoute, Monsieur Wilkins. Mais vous pouvez me parler en anglais.

Il n'y voit que du feu. Je souris.

- Très bien, mademoiselle Lavoute, reprend-il dans sa langue maternelle. Je m'appelle James Wilkins, et je suis le père de Ransom.

Je me retiens une réaction à l'évocation de son prénom. James, comme Moriarty ! me répété-je en souriant.

- Papa, demande alors Ransom, est-ce que tu pourrais nous expliquer ta nouvelle affaire ?

James soupire longuement, s'assoit sur une chaise et sort un petit Dictaphone de sa poche. Il l'allume.

- Alison Agman. Femme, de type caucasien, cheveux blonds, yeux noirs. Cause du décès : carotide sectionnée, hémorragie. Ruban noir placé en évidence dans la plaie, rapport certain avec le meurtre il y a cinq jours de Janet Johnson. Aucune autre trace d'agression sur le corps, pas de blessures ni d'hématomes visibles. Claire, je vous en prie, ne touchez pas au corps !

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