Addiction

A d d i c t i o n

  Alice était assise au bord d'un lac laissant patauger ses pieds dans l'eau tranquille. Le soleil déclinait doucement offrant encore quelques ultimes minutes de chaleur de soirée d'été. L'herbe fraîchement coupée des talus emplissait les narines de la jolie blonde, la faisant planer. Elle adorait ce fumet-là car elle se sentait en harmonie avec la nature.
Malheureusement sa météo interne ne reflétait guère celle de l'extérieure. Ses larmes embrouillaient sa vue l'empêchant d'admirer les petits nénuphars qui flottaient allègrement. Son pire cauchemar l'avait frappé : elle était tombée amoureuse et ce n'était pas réciproque.
Suffocante, elle sortit de la poche de son short une petite pierre roulée mais imparfaite : un quartz rose. Elle l'avait acheté dans la petite boutique reculée de son village en pensant à son bien aimé. Elle chérissait plus que tout ce cristal qui brillait davantage à la lumière. Elle la purifiait souvent avec de l'encens lorsque les émotions devenaient trop fortes et parfois elle songeait que cela l'aseptisait également. Elle me fait penser à lui, se dit-elle. Lui, était aussi beau et fort qu'un prince charmant. Des yeux couleur noisette à vous faire fondre. Comme le chocolat. Il anesthésiait les pleurs et les douleurs sans même le vouloir, ou bien le savoir... Il était apaisant, voire rassurant. Un de ces êtres qui sans le moindre effort balayait l'orage. C'était le genre de personne à ne pas se prendre la tête et à sourire sans arrêt, à encourager ses proches dans chacun de leurs projets, même les plus fous. Et surtout, c'était quelqu'un de terriblement doux...

  En cet instant pourtant Alice n'en pouvait plus. Elle ne supportait plus de le voir adresser un sourire à quiconque. Son cœur la faisait souffrir à chaque inspiration tandis qu'à chaque expiration ses poumons brûlaient. Ses joues d'ordinaires blanches étaient sauvagement rougies par la colère et la tristesse. Deux sentiments qui la ravageaient, la rongeaient telle l'érosion des rochers causée par la mer. Elle se sentait alors comme une Parisienne ignorante des marées. Elle souffla douloureusement en se résignant à se séparer de sa pierre. Elle l'embrassa une dernière fois, ou était-ce lui qu'elle bisait ? Elle jeta de toutes ses forces le caillou qui rebondi une fois puis qui s'engouffra sourdement dans le tumulte venant de se mouvoir. Elle ne put s'empêcher, la seconde après son geste soudain, de le regretter amèrement, réalisant qu'elle s'était définitivement acquittée de son objet précieux. Elle se releva peut-être trop rapidement puisqu'elle tangua quelques secondes, et couru à travers champs, toujours les pieds nus. Elle ne se soucia guère de la terre qui se collait et s'incrustait jusque dans ses ongles ou encore des épines qui s'enfonçaient dans la plante de ses pieds. Elle avait mal. Terriblement mal. Elle l'aimait. Elle aimait aimer. Mais l'amour était-il si splendide et si important s'il n'était pas partagé ? Aimait-elle pour se faire aimer en retour ?

  Soudain elle tomba sur ses chevilles qui s'égratignaient déjà. Un puissant cri la submergeait faisant s'enfuir les goëlands qui picoraient non loin de là. Elle regarda le ciel, priant pour que la douleur l'achève. Mourir d'amour, après tout, n'était-ce pas une belle fin ? Tragique, certes, mais romantique ? Elle plaqua une main sur son ventre, les doigts crispés, souhaitant empoigner, cogner, n'importe quoi. Ou n'importe qui. Lui... ? Elle désirait hurler comme quoi il était égoïste, insensible et injuste. Au fond elle savait pertinemment que c'était elle qui l'était. Se l'avouer se révélait être une brûlure vive qui ne s'apaisait et ne s'apaiserait pas. Même en y mettant de la crème. L'amour ne se forçait pas. Ne se provoquait pas. Jamais. Il ne répondait même pas au téléphone car c'était lui qui appelait. Qui convoquait. Qui s'invitait. De nombreuses fois, face à lui, elle voulait plus que tout qu'il sorte de son indifférence, qu'il se (re)connecte à la réalité. Mais sa réalité n'était pas celle d'Alice...

  La souffrance devint de plus en plus aigüe confrontant Alice à se concentrer sur sa respiration happée. Ce soir elle avait perdu son quartz, mais elle avait aussi tirée un trait sur l'amour qu'elle lui portait. Cela lui semblait impossible de se débarrasser d'un sentiment qu'elle adulait, qu'elle vénérait ! Cette émotion s'emmêla à de la colère et de la haine. Elle l'adorait d'un côté et de l'autre : elle le détestait furieusement. Comment était-ce possible ? Elle, Alice, la grande romantique lisant des romans à l'eau de rose, se nourrissant d'histoires qui se terminaient par « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ». Parfois elle se résignait : tant pis pour les gosses tant que je finis ma vie avec lui. Elle était prête à faire des sacrifices pour cet homme quitte à s'oublier elle-même. Non. Des conneries. Elle existait à travers ses mots, sa bouche, son sourire, ses mains qui l'effleuraient quelques fois... Elle buvait ses paroles, se saoulant lorsqu'elles ne lui plaisaient pas. Elle s'intoxiquait. Mais elle s'en fichait. Tout ce qui comptait c'était lui. À force elle se transformait en un calque. La transparence de son amour était si frappante. Néanmoins elle était aussi fragile que du papier : un trait dépassé et elle se déchirait lamentablement. Il aimait le café fort ? Très bien, elle allait se forcer à apprécier. Il lisait des pièces de théâtre ? Elle n'hésitait pas à lire les dernières sorties afin d'avoir des sujets de conversation qu'il apprécierait. Tout était orchestré afin qu'Alice apparaisse enfin devant lui. Malgré ses efforts sans relâche, le jeune homme ne la voyait toujours pas, sans qu'elle ne s'en rende vraiment compte...

  Il fallut plusieurs minutes pour qu'elle reprenne conscience de son corps qui désormais présentait de nombreuses petites plaies. Elle se releva, évidemment, puis expira un bon coup. Les étoiles apparaissaient désormais tandis que la brise se leva. Pourtant elle ne rafraichit pas son ardeur. Elle se rendit compte que ses dents grinçaient et détendit donc sa mâchoire. Une fois encore, elle pleura. L'amour, ce n'était pas ça. Elle chassa cette idée stupide en essuyant d'un revers des mains ses larmes et s'en alla. Alors qu'était l'amour ? Devait-il obligatoirement être réciproque ? Devait-il vrombir dans les entrailles tels des papillons affamés, fuyant leur état de chenille à la poursuite d'une certaine liberté ? L'amour se devait-il être frivole, passionné, démesuré jusqu'à s'oublier ? La vision de ce sentiment explosa. Alice ignorait par où elle irait chercher les débris. En ressentait-elle l'envie ?

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