- XVII.

Le battant claque contre le mur si fort que les gonds s'ébranlent et se dérobent. Les gestes rapides, fébriles, emportés, TaeHyung tente vainement de ramasser ses affaires et de les entasser dans son grand sac de voyage. Il aplatit le dessus, presse les côtés, s'échine à y ajouter un pantalon, hurle quand des mains lui volent, se débat, frappe le visage de JungKook, pleure entre ses bras.

Entre ses sanglots, il parvient à dire d'une voix blanche et brisée par la peur :
« - La légende se réalise, l'histoire recommence. Le village va être détruit, nous allons mourir, JungKook ! Il faut partir, il faut fuir, il faut s'en aller, va faire tes affaires, on peut prendre la voiture de l'hôtelier, il comprendra, qu'est-ce que tu attends ? »

Le jeune homme détourne le regard quand il croise les yeux de TaeHyung, qui luisent dans la nuit, remplis d'un espoir fou. Il marmonne doucement, les lèvres pincées, la peau frissonnante, le cœur en lambeaux :
« - On ne peut pas partir.
- Pourquoi ? Dis-moi !
- Un des caméramans s'est enfui avec la voiture il y a quelques heures. On vient juste de m'avertir, TaeHyung, je te promets que je n'étais pas au courant. »

TaeHyung gémit, en se recroquevillant comme un animal traqué. Il sent que son monde s'écroule, que ses espérances se brisent, que la paix qu'il avait réussi à maintenir dans le royaume de son esprit se meure ; que toute la folie du monde s'abat sur ses épaules et le met à terre. Alors, la respiration sifflante, il recule en trébuchant jusqu'au mur le plus proche, glisse au sol, se fait minuscule, se rend transparent et silencieux.

Prostré dans le noir et les ténèbres, il oublie jusqu'à son propre nom tant il panique et tout s'entremêle dans sa tête ; l'accident, les yeux luisant dans l'obscurité du phare qui le scrutent et le dévorent, la biche noyée dans le bitume rougeâtre, l'homme de la ville, les cadavres, une voix qui récite la Bible, les regards noirs et corrosifs ; ça se mélange et l'oppresse, en écrasant sa gorge de terreur.
Ses veines pulsent, son cou tressaute, son cerveau transpire, sa peau coule ; soudain tout s'arrête. Le silence, lourd, opaque, acide, et la peur, viscérale, instinctive, bestiale.

Au loin, le jour se lève. Le phare brille d'une lumière éclatante. Ses paupières frémissent, son corps tremble, sa nuque ondule ; il bouge. Sa paume s'appuie sur le mur, ses jambes maigres le hissent plus haut, son buste se soulève.

Il se souvient qu'il respire.

Il se souvient qu'il est vivant.

Il se souvient qu'il est seul, immobile et debout dans une pièce vide inondée par la lueur du soleil.

Soudain, mué par un pur instinct primitif, il ressent le besoin dévorant de se laver. De nettoyer cette peur qui ronge sa peau, cette crainte amère qui pue et l'entoure depuis son arrivée dans ce village maudit. Il sent ses cheveux grouillants, son haleine putride, l'odeur âcre de sa sueur mêlée à celle, plus forte, de son être tout entier.

Il se souvient qu'il est dans sa chambre.

Sur le lit défait trône son sac éventré, duquel jaillissent ses habits comme d'une bouche béante, avec un mot de JungKook. Il a écrit d'une main pressée et tremblante quelques mots qui transpercent la feuille.

Ressaisis-toi, TaeHyung. Je te promets que je vais trouver une solution, mais redeviens celui d'avant. Celui qui se sentait capable de tout et qui l'était. Je sais qu'il est encore là, perdu entre toute ta peur. Sors-le de là. C'est lui qui me plaît.

JK.

P.S. : Je suis avec Jimin dans sa chambre. Rejoins-nous quand tu auras pris une douche.

Il repose le bout de papier chiffonné sans apercevoir le léger sourire sur son visage.

Il se sent aimé.

Presque apaisé.

Quelqu'un a pensé à lui.

Ses pieds frottent sur le parquet jusqu'au seuil de la salle de bain. La porte blanche est écaillée et porte des traces sombres autour de la poignée. Le métal est froid. Le battant gronde, grince, coulisse. Il y fait froid, et le carrelage blanc l'éblouit. Il n'allume pas le néon au dessus de l'évier.
Il reste un instant immobile, la main posée sur la poignée, le regard fixé sur la douche dans l'angle, la peau frissonnante d'un courant d'air glacé. Puis, lentement, il la lâche, s'avance, retire d'un geste son tee-shirt, son pantalon boueux autour des chevilles, ses chaussettes trouées ; ne réagit qu'à peine devant son reflet.

Le miroir surmonte la vasque, et sur la vitre, il se reflète. Sale, affaibli, les yeux écarquillés dans l'attente de quelque chose de terrible ; il touche du bout du doigt ses côtes qui transpercent sa peau pâle. Il ferme les yeux, soupire, les rouvre pour se diriger vers la cabine de douche.

L'eau ne se réchauffe pas. Elle pique ses pieds engourdis, ses mains, son sexe. Le savon sent fort. Ce n'est pas le sien, mais il l'utilise quand même. Il se dit qu'il va mourir, et ses larmes se perdent entre les gouttes qui dévalent son torse et s'échouent dans la bonde. Il sanglote sans bruit, dans l'eau glacée qui noie ses sensations.

Quand ses ongles deviennent bleus, il coupe le jet et sort. La serviette est rêche et elle rougit sa peau. Il n'essuie pas ses cheveux. L'eau qui s'en écoule mouille le col de son pull, colle sa peau ; il tremble et ne sait pas si c'est de peur ou de froid. Les vêtements sont froissés. Il inspire l'odeur de lessive, tâte la douceur du tissu, l'enfile sans se sentir mieux.

Puis, il ressort de la salle de bain et traverse le couloir sans fermer la porte de sa chambre. Que quelqu'un lui vole son ordinateur ou son téléphone, ça l'importe peu. Il toque et Jimin lui ouvre sans sourire.

JungKook est assis sur un fauteuil vert, ses yeux parcourant des documents. Il relève la tête quand il l'entend entrer et lui sourit. Lorsque TaeHyung passe à côté de lui pour s'asseoir sur le lit, il effleure son poignet et sa joue en lui chuchotant qu'il sent bon. Alors, il sourit.

Parce que la peau de JungKook est chaude.

Parce que JungKook est vivant.

Parce que JungKook est là.

Avec lui.

Et qu'il a dit qu'il lui plaisait.

La Bible est posée sur la table de chevet,
à côté d'une croix en bois.

Jimin le regarde. Ses yeux sont cernés.

TaeHyung est le seul à voir ses lèvres bouger.

Elles murmurent :

« - Il était la parole de Dieu. Et maintenant, c'est moi. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top