- XIV.

Le cœur au bord des lèvres, le corps penché au dessus du buisson qui longe la route, il essaye de contenir sa nausée. Les relents âcres de son vomi qui remontent par vagues. Gisant au sol, les yeux révulsés, le cou brisé et du sang encore chaud coulant de ses naseaux, la biche contemple le vide. Le capot porte la trace de l'impact, le pare-brise explosé est répandu sur le bitume dans une mare de verre, et certains morceaux trempent dans le sang qui s'écoule hors de la plaie purulente.

TaeHyung essuie sa bouche et son menton d'une main tremblante, ne regarde pas les restes de son repas qui stagnent entre les herbes et évite le corps de l'animal mort. Au moment de l'impact, il n'a pas réalisé tout de suite qu'il s'en était sorti sans aucune blessure. Visiblement, la voiture de Jimin avait amorti le choc et les airbags étaient suffisamment performants pour lui éviter la mort.

Quand il pense à son ami et à comment il va devoir lui annoncer la nouvelle, il soupire. Jimin tenait à cette voiture.

Mais sa préoccupation principale n'est pas là. Son téléphone repose, défiguré sur toute la largeur de l'écran, à côté de la portière. Et quand il se souvient de pourquoi il a emprunté cette voiture, il se rue vers la banquette arrière, s'exhorte à y entrer et à sortir une liasse de feuilles attachées.

Il n'a pas pu récolter tant d'informations que ça, mais elles sont tout de même précieuses. Et les perdre ici serait beaucoup trop idiot.

Comme il revenait de la ville la plus proche pour retourner au village et que la biche a surgit des fourrés au milieu de la forêt, il est loin de tout. Il hésite à continuer à pied pour rejoindre son ami, puis se fait la réflexion que le temps qu'il arrive, il fera nuit, et traverser dans l'obscurité l'angoisse beaucoup trop.
Quelques jours après que JungKook l'ai traité de fou ; une pensée l'a frappé un soir de pluie. La mer était démontée depuis plusieurs jours, et quand elle se calmait -presque par miracle- des silhouettes de bateaux se balançaient au loin. Et ainsi, il s'est dit que le phare n'avait pas pu s'arrêter de fonctionner du jour au lendemain. L'endroit était risqué de nuit, et durant les sévices dans le village, de nombreux bateaux s'étaient écrasés contre la digue.
Pour la sécurité des marins, il y avait forcément eu un gardien dans le phare le temps qu'ils fassent passer la nouvelle.

Il avait cherché depuis son ordinateur, mais les assauts du vent et de la pluie avaient endommagés l'antenne relais et la connexion était rompue. Alors, un matin, il avait prétexté avoir besoin de piles pour la caméra et avait emprunté la voiture de Jimin.

Il ne savait pas si JungKook lui avait parlé de leur expédition dans les bois, toujours était-il que son ami n'avait fait aucune réflexion et lui avait donné les clés. Mais TaeHyung voyait le regard de crainte dans les yeux du plus jeune. Il s'éloignait de lui, irrémédiablement. Et il se sentait dorénavant obligé de lui démontrer qu'il n'était pas fou, sinon il le perdrait. Alors il redoublait d'efforts, parce qu'il refuse que leur histoire se termine ainsi.

Les pieds lourds, il essaye de réfléchir pendant qu'il marche le long de la route déserte. Il a décidé de retourner en ville, pour trouver une cabine téléphonique, joindre Jimin, le rassurer, annoncer la nouvelle, se faire insulter, prétexter qu'il n'a plus le temps, raccrocher précipitamment, échapper au flot d'injures et espérer se sentir soulagé.

Il sent un caillou dans sa chaussure qui cogne son orteil. Il ne l'enlève pas.

Pour faire passer le temps et parce que le chemin est plutôt long, il se remémore les indications qu'il a trouvé au cours de la journée. Dans sa main moite repose les feuilles où sont imprimées quelques lignes, parfois juste des mots.

Il est allé dans la seule médiathèque de la ville, après avoir pris un café dans le seul café ouvert. Les gens lui souriaient dans la rue, presque innocemment et il s'est demandé depuis combien de temps lui-même n'avait plus souris à des inconnus.

L'ordinateur d'un autre temps avait mis cinq longues minutes à s'allumer, et il avait patienté entre deux froissements de feuille.
Puis, il avait entré le nom du village, une date approximative et le nom du fils qu'il avait demandé à Jimin quelques heures auparavant, dans le moteur de recherche. Il avait attendu, fébrile, impatient et agité, qu'un miracle apparaisse et lui sorte un nom, une image et une adresse. Mais en réalité, les seuls renseignements qu'il avait obtenus étaient des choses qu'il savait déjà, ou des liens erronés qui le bombardaient de femmes découvertes aux seins refaits.

Il avait soupiré, penché sur l'écran, avait persévéré encore quelques heures, les sourcils froncés, avait réussi à obtenir un nom sur un forum sataniste mais pas d'adresse. L'homme avait sûrement du quitter la région après avoir assuré son poste.

Depuis, plus aucune trace. Il avait entré le nom dans tous les réseaux sociaux qu'il connaissait, les sites de rencontres et les de jeux puis s'était résigné. Ce devait être un vieillard à présent, s'il n'était pas mort. Sinon, il utilisait un pseudo et TaeHyung n'avait pas les moyens de le connaitre.

Il fallait qu'il parle à cet homme. Lui avait vécu dans le phare, il était le mieux placé pour savoir s'il subsistait un esprit dans la tour.
Il avait soupiré, encore. Le café était encore ouvert, bien que vide et il avait commandé un deuxième café. Il était amer et l'avait bu d'une traite, pour noyer sa déception.

Et maintenant, les épaules courbées et le teint pâle, il se tient devant ce même café, comme s'il était un point d'ancrage dans une vie inconnue. Il tâte sa poche, se dit qu'il a de la chance dans son malheur quand il en sort son portefeuille et sa carte de crédit.

Il déambule quelques minutes sous la lumière des réverbères, repère une cabine téléphonique et s'y engouffre sans se presser. A cette heure tardive, il est seul dehors. Il répète le processus, entend les trois tonalités dans le vieux téléphone, un bruit sourd, un tintement long et aigüe, puis plus rien. Il réessaye encore quatre fois, conclut que la mécanique doit être défectueuse et sort de la cabine.
Au loin, il voit l'enseigne lumineuse de l'hôtel qui clignote sous le ciel sombre.

Et partout, le silence, épais, corrosif, repoussant.

Pendant qu'il marche en direction du bâtiment à la façade crépie, il se rend compte que lorsqu'ils étaient dans la forêt, il n'a entendu aucun son ni d'oiseau, ni d'animal.

Dans sa tête résonne un glas muet et un frisson glacial annonce un mauvais présage.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top