- VIII.
En retrait du groupe qui s'avance dans les arbres, TaeHyung observe Jimin pointer du doigt certains lieux et s'arrêter devant d'autres pour expliquer à l'équipe de réalisation où se feront les différentes scènes. Quelques centaines de mètres avant d'arriver au sommet, JungKook, qui était en tête du groupe, ralentit et le rejoint.
Il n'est pas essoufflé, à peine transpirant et TaeHyung a soudainement conscience de son front trempé de sueur.
« - Pourquoi n'êtes-vous pas aux côtés de Jimin ? C'est votre rôle, ce qu'il est en train de faire. »
Le jeune homme ne le dit pas comme un reproche, pourtant TaeHyung lui jette un regard mauvais. Lorsqu'il répond, son ton est plus sec qu'il ne l'aurait voulu.
« - Jimin sait se faire écouter. Moi, non.
- Ça, c'est que vous pensez. »
JungKook pointe son torse du doigt, sans le toucher. Puis, il cavale jusqu'au troupeau pour regagner les autres, et TaeHyung se retrouve seul avec le bruit de sa respiration. Quand il parvient enfin sur le plateau d'où s'étale la vue sur la mer, tous les regards se posent sur lui.
Jimin adresse un sourire entendu à JungKook, puis lui en offre un à lui, et lance d'une voix claire pour que tous entendent :
« - Notre réalisateur va maintenant vous parler de la scène finale, qui se déroulera ici. Ce sera le point clé du film. »
Il maudit son ami douze fois dans sa tête, le jeune audacieux au moins autant, se racle la gorge, sent que ses oreilles chauffent et se dit que ce n'est pas dû à l'exercice physique , s'avance d'un pas, s'imagine qu'il part en courant et ne revient jamais, prend une inspiration saccadée et dit :
« - Le but sera de représenter le héros dans la plus grande démonstration de son désespoir. Il viendra de perdre sa mère, sa femme et son fils, et il ne lui restera que le souvenir de sa jeunesse auquel se rattacher. Nous devrons tracer le portrait d'un homme seul, qui le sait et qui l'a toujours été. Je compte sur la performance de l'acteur, bien sûr, mais aussi sur des plans serrés et d'autres plus larges sur la mer déchaînée et le ciel. »
Il désigne le village, tente vainement de ne pas bégayer, rajoute que toutes les maisons devront avoir les rideaux tirés et les volets fermés, portes closes et personne dans les rues. Quand son regard tombe sur le phare, il interroge Jimin d'un regard tremblant, attend qu'il hoche la tête, et déclame :
« - Lorsqu'il verra le phare, il saura que le suicide est la dernière option. Alors, il courra, la pluie cinglante ruisselant sur son visage, jusqu'en bas de la colline, et des souvenirs de sa femme, de son fils, de sa vie d'avant frapperont son esprit. Il montera dans le phare, hésitera un instant devant les vagues mortelles et sautera. »
Jusque là, l'équipe l'écoutait en silence, hochant parfois la tête et prenant des notes. Mais au moment de l'évocation du bâtiment au bout de la jetée, une femme d'une trentaine d'année relève la tête de son carnet, se détache du groupe et demande d'une voix grave :
« - Vous voulez tourner dans le phare ? »
Jimin et TaeHyung hochent la tête simultanément. Elle secoue la sienne.
« - J'ai entendu des habitants discuter entre eux ce matin. Ils voient ce film d'un mauvais œil, depuis que vous avez émit l'idée des scènes à l'intérieur. Ses gens ont vraiment peur de réveiller un esprit, vous comprenez ?
- Cette légende fait partie du folklore local, je comprends qu'ils veuillent la préserver. Mais le saut depuis le phare est la scène finale, la plus grande, la plus théâtrale. Avec en plus cette histoire autour, ce serait une merveille !
- Je pense que vous ne prenez pas assez en considération ce qu'il s'est passé il y a presque cent ans. »
Le scénariste laisse échapper un sourire et replace ses cheveux. Il reste encore un rictus sur ses lèvres quand il l'interroge :
« - Parce que vous croyez à ces histoires ? D'accord, il y a un massacre et un homme fou dans ce village. Mais vous l'avez dit, c'était il y a cent ans et personne n'a été victime d'un mystérieux accident depuis.
- Personne n'est mort parce que personne n'a pénétré dans le phare. »
TaeHyung revoit alors, furtivement, le visage glacé d'effroi de la guide, et ses yeux agrandis par la peur de simplement l'évoquer. Il ressent soudainement sur son dos comme un poids, une étreinte glaciale qui le force à inspirer plusieurs fois pour se calmer ; alors qu'il sait que le bâtiment gris est loin de lui.
Puis la sensation de malaise se dissipe lorsque JungKook passe doucement à côté de lui et que la manche de sa veste frôle sa paume. Ils se regardent un instant, puis Jimin reprend avec le ton de celui qui sait qu'il va convaincre :
« - Qu'on me démontre que ce phare est maudit par une espèce d'identité morbide, et là j'accepterais de ne pas y toucher. Avez-vous des preuves ? »
La femme secoue la tête, refuse de baisser les yeux. Quand il reprend, elle serre son carnet aux bords abimés.
« - Alors nous tournerons dans ce phare. »
TaeHyung est le seul à l'entendre marmonner, juste après qu'il ait fini sa présentation des scènes et que Jimin lui ait confirmé qu'il avait été parfait, que qui sème le vent récolte la tempête.
Une fois endormi sur son lit, les jambes repliées contre son torse, il rêve.
Et dans ses songes dansent l'ombre d'un phare et deux yeux écarquillés dans la nuit.
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