Posté à l'écart de la foule qui s'agite, TaeHyung est adossé au mur de l'hôtel. Devant lui, entre les gens qui bourdonnent, Jimin salue tous ceux dont il croise le regard. Il tape sur des épaules, sourit, porte, aide, indique, monte, redescend, présente, se présente, lui adresse un regard, monte, et dans cette masse de visages, TaeHyung se dit que son ami a trouvé sa place.

Et qu'il est né pour être ici.

Il flâne encore un peu autour de l'hôtel, se présente comme réalisateur quand on lui pose la question, puis remonte dans sa chambre. Le ciel s'est couvert depuis peu et un crachin désagréable traverse sa veste.

Il se plaque contre le mur pour laisser passer une jeune femme aux yeux humides de froid, échange un sourire à l'entrée du couloir et se réfugie dans la salle de bain blanche.

Il contemple un instant son reflet hagard dans le miroir, ses yeux rouges, son nez froncé par le froid, ses pommettes roses et ses lèvres sèches. Puis, il passe sa tête sous l'eau froide du robinet et s'asperge pendant plusieurs secondes.

Lorsqu'il se relève, ses cheveux collent sur son crâne en zones éparses et sa bouche se déforme en un rictus. Il s'essuie sommairement, se frotte les tempes, s'assène deux claques sur les joues et ressort pour tomber sur Jimin qui l'attend, assis sur son lit défait.

Il joue avec un fil qui dépasse de la couverture et demande doucement :

« - Tu as vu tout le monde ?
- Je me suis présenté, oui. L'hôtel est complet ?»

Jimin hoche la tête et TaeHyung se détourne. Son ami peine à retenir le sourire qui grignote ses joues, et encore une fois, une jalousie fourbe le ronge lentement.

Parce que lui, il ne sait pas encore pourquoi il est là, pourquoi tout lui semble si compliqué, pourquoi il n'arrive pas à s'investir dans une relation, pourquoi il passe au second plan, pourquoi son père est parti, pourquoi sa mère aussi, pourquoi il se sent seul, pourquoi il a le sentiment de ne pas être suffisant, pourquoi il imagine qu'on lui veut du mal, pourquoi il ne comprend pas les autres, pourquoi les autres ne le comprennent pas, pourquoi personne

« - TaeHyung ? »

Il relève violemment la tête et lui lance un regard d'excuse, mais Jimin ne le regarde pas. Il est tourné vers le jeune homme qui se tient dans l'encadrement de la porte, les mains resserrées autour des bretelles de son sac à dos et qui les fixe en silence.

Il répète, la voix claire mais hésitante :

« - Kim TaeHyung ? »

Alors il hoche la tête, incertain. Il murmure que c'est lui. Et le jeune homme entre,
s'approche, serre sa main, celle de Jimin, ancre ses talons dans le sol, se racle la gorge, relève la tête et les épaules.

« - Je suis Jeon JungKook. Enchanté de faire votre connaissance. Je suis stagiaire dans la réalisation et je serais comblé si vous pouviez m'enseignez votre art. Voici mon Curriculum vitae. »

TaeHyung pense que le garçon est très beau et a l'air très bien, puis il essuie sa main moite sur son jean et esquive le regard qui pèse sur lui. Il attrape la feuille tendue et la lit lentement, la bouche sèche et la langue râpeuse. Quand il répond, Jimin a quitté la pièce sans bruit ni mot et il est seul avec le jeune homme qui le regarde trop fort.

« - C'est très bien, vraiment très bien. Je vais voir ça avec Jimin (il désigne la porte vaguement) et...
- C'est lui qui m'a proposé de venir. Il a dit que vous aviez besoin d'un assistant et de confiance en vous. Je suis là pour vous donner les deux.
- Je le remercierai. »

Il grimace, mais il sait qu'il est heureux que Jimin ait pensé à lui. Il se sent un peu plus important, et il esquisse un sourire au garçon qui se tient toujours droit et toujours là.

« - On vous a attribué une chambre ?
- Une à l'étage du dessus, je crois.
- Très bien. Je vais voir quel travail je peux vous donner, OK ?
- Impeccable. C'est... Impeccable. »

TaeHyung lui sourit, pas trop grand mais assez pour que l'autre le voit et sourit assez son tour, puis le garçon repart en fermant la porte.

Cette nuit-là, allongé dans son lit au milieu des draps, TaeHyung se dit que, peut-être, ce tournage va changer sa vie.

Et pendant qu'il dort, avant les premières lueurs de l'aube, un homme marche jusqu'au phare.