Que jamais minuit ne vienne
Vidiana faisait les cents pas dans sa cellule quand sonna la première heure du jour. C'était le dernier. Minuit et ce serait la fin.
Une bouffée d'anxiété monta dans sa poitrine. Elle dû s'assoir sur la banquette qui lui servait de lit, tremblante, haletante, elle joignit les mains devant sa bouche et accusa le choc.
Elle resta prostré jusqu'à que sonne la deuxième heure.
Les cloches réveillèrent quelque chose en elle. Elle leva la tête. Elle avait perdu une heure. Une heure sur les vingt qui lui restait.
Elle se leva, fit les cents pas dans ce petit espace clos. Quand est-ce que quelqu'un allait arriver ? La plupart des gens se reposait, même si la plupart n'en avait pas besoin. Mais comment pouvait-on se reposer quand il ne restait plus que vingt ridicules petites heures ? C'était tellement peu. Il y avait tellement de choses qu'elle aimerait faire.
Et d'un autre côté.... Vingt heures bon sang ! C'était tellement énorme d'attendre encore autant de temps sachant ce qu'il y avait au bout. Supporter autant de temps la peur au ventre avec l'impression que quoi qu'elle fasse elle manquerait toujours de temps. Elle tenta de sautiller, faire quelque chose pour oublier, pour s'occuper. Mais la pièce était si étroite, si morne. Les murs étaient bruns, le sol était brun lui aussi, en trois pas et demi elle avait atteint l'autre côté, en dix elle avait longée la pièce. Et la couchette prenait la majorité de la place. Juste une fenêtre tout en haut, un rectangle très fin qu'elle ne pouvait atteindre et qui faisait à peine entrer les rayons des soleils la journée, alors la nuit elle n'avait pas même le droit à un rayon de lune ou d'étoile.
Elle balbutia quelques pas de danses, rien de très sportifs rien de trop dansant, l'ambiance et le manque de place ne s'y prêtait pas. Elle se souvint un air qu'elle chantonna au rythme de ses pas. Cela lui rappela de beaux souvenirs. Des soirées en saison chaudes, avec du monde, pleine de lumières, des rires, un orchestre. D'elle aussi. D'elle qui était la raison de sa présence ici.
Elle s'immobilisa et ferma les yeux. Se remémorant quelques minutes ses bons moments.
Elle ne l'avait plus revue depuis leur arrestation. Etait-elle morte déjà ? Ou attendait-elle son tour ?
La troisième heure sonna et toujours personne n'apparut, même si elle percevait des sons autour d'elles. D'autres prisonniers sans doute, peut-être quelques domestiques. Elle s'allongea sur sa couchette pensant à elle, rêvassa de ces moments merveilleux. Elle tenta de s'imaginer comment cela aurait pu finir de manière plus joyeuse. Mais comment cela aurait-il était possible ? Elles l'avaient sus dès le début que c'était voué à finir ainsi et pourtant elles avaient quand même continuées.
Elle s'assit, tenta de penser aux choses qu'elle voulait faire aujourd'hui si elle en avait la possibilité. Elle voulait se promener dans un jardin, au soleil, sentir l'herbe sous ses pieds, respirer l'air extérieur. Elle voulait manger des baies mauves de Shertirod bien juteuses. Et manger un beignet de fleur de Zoule encore chaud. Elle voulait mettre une robe neuve de véritable sil qu'elle pourrait caresser. Elle voulait dire adieux à sa famille, prier les trois dieux pour qu'ils protègent ceux qu'elle aime et qu'ils lui pardonnent. Elle aurait voulu la voir elle aussi. Mais ça jamais on ne le lui accorderait. Alors que peut-être c'était ce dont elle désirait le plus. Non pas peut-être. Quand on avait plus que dix-sept heures à vivre on savait ce qu'on voulait. Et ce qu'elle désirait c'était la serrer contre elle une dernière fois.
A la quatrième heure un pan du mur s'invibilisa. Un garde était de l'autre côté, ses yeux orangés posés sur elle la dévisageaient avec répugnance.
— Une prêtresse sera là à dix heures, votre avocate viendra vers six-sept heures et l'on vous emmènera à dix-neuf heures ! Avez-vous des désirs particuliers pour aujourd'hui ?
Elle transmit sa liste, toute sa liste, le cœur battant.
— Nous verrons !
Et le mur réapparut. On l'emmena un collier inhibiteur autour du cou et enchainé à ses poignets aux bains. La sensation même après ces semaines d'emprisonnement était toujours aussi désagréable. Pas douloureuse, mais désagréable.
Elle fut déshabillée d'un claquement de doigts de ses geôliers et transporter dans le grand bassin aux côtés des autres prisonniers d'un autre. L'eau était tellement froide qu'elle avait l'impression que de petites lames s'enfoncer dans tous son corps, puis elle devin chaude en quelques secondes, c'était très agréable. Des bulles colorées apparurent tandis qu'elle sentit un rouleau parcourir son corps. Chez elle, avant, dans une autre vie, elle serait resté se prélasser, ici on ne leur accordait pas cette chance. Elle regretta de ne pas l'avoir demandé quand elle fut transportée sur les grilles, d'où une vapeur chaude et parfumée s'enroula autour d'elle quelques minutes, puis sa vieille robe au tissu rêche apparut sur elle. Sa toilette continua avec les dents puis ses cheveux qui furent juste noués grossièrement avant d'être ramené à sa cellule.
De nouveau l'attente interminable. Elle voulait agir. Elle voulait faire quelque chose. Tout plutôt que de rester enfermée quand il vous restait si peu de temps.
La cinquième heure fut interminable. Rien. Elle ne pouvait rien faire. A part penser. Mais elle ne voulait pas penser. Elle voulait vivre. Oui elle vouait vivre. Elle se sentait folle enfermée dans cette cellule où les rayons du soleil entraient timidement. Elle étouffait. Qu'on la sorte d'ici ! Qu'on la laisse vivre ! Elle voulait vivre. Elle gémit, hurla, agrippa sa robe, tira ses cheveux, griffa sa poitrine. Elle se sentait tellement mal. Elle se sentait devenir folle. Et elle s'effondra en pleurs sur le sol froid, dur et sale de sa cellule.
Quand la sixième heure sonna elle cessa de pleurer. On allait venir. On allait lui offrir ce qu'elle avait demandé. Il pouvait bien faire ça ! Ils lui prenaient sa vie, n'avait-il donc rien à lui offrir en échange ? Ils la pensaient coupables, peut-être l'était-elle mais la mort n'était déjà pas une punition suffisamment dure ?
Elle recoiffa sa chevelure machinalement, essuya ses joues, épousseta ses vêtements et s'assit sur son lit attendant que la porte s'ouvre.
Et après de longues minutes d'attentes elle s'ouvrit.
Son avocate était là, accompagnée de gardes.
Cette femme lui apparut comme une apparition divine. Elle l'avait haï pour avoir échoué à adoucir sa peine mais elle l'aimait pour être son dernier contact avec le monde de dehors.
— Tout va bien ? demanda précautionneusement la femme.
Elle était si belle, ses mèches dorés ressortaient particulièrement dans sa chevelure rousse, ses yeux jaunes semblaient briller d'une force incroyable, et sa silhouette particulièrement harmonieuse était rehaussée par sa sublime robe bleue nuit de sil, orné de motifs fleuris cousus de fils s'argent, moulant sa silhouette agréablement.
— Vos désirs m'ont été rapportés, on va vous faire porter la robe et vous emmener en jardin après la visite de la prêtresse. Vous mangerez à mon départ. Quant au reste....
Elle leva vers cette silhouette quasi divine un regard débordant d'espoir.
— Vous savez que vous avez interdiction de revoir votre complice. Le crime que vous avez commis....
L'avocate ferma les yeux, cachant mal son dégoût de ce qu'elles avaient fait. Elle le savait, elle l'avait su dès leur première rencontre qu'aux yeux de celle qui la défendait elle méritait d'être punie.
— Votre famille quant à elle refuse de vous voir. Elle ne reviendra pas sur son reniement.
Ce fut un deuxième coup de massue sur sa tête. Elle savait qu'ils n'avaient pas approuvés, qu'il la considérait comme un monstre, ils lui avaient craché au visage dès qu'elle s'était fait prendre pour ceux qui avait daigné se déplacer mais à quelques heures de la fin elle aurait pensé que ses parents au moins, ou sa sœur, aurait accepté de mettre leur ressentiments de côtés pour lui dire adieux.
— Alors je ne vais voir personne.
— Juste moi et les prêtresses. Avez-vous une dernière requête ?
— Pouvez-vous resté un peu ? Je veux juste une présence.
L'avocate jeta un œil aux gardes, peut-être craignait-elle que l'autre se jette sur elle. Comme si cela fonctionnait comme ça.
— Très bien.
Elle s'assit impeccablement à côté d'elle. Elles restèrent ainsi un moment, en silence. Au moins elle n'était pas seule, enfermée dans cette cellule. Elle ne put lâcher des yeux les gants de la nouvelle venue et songea qu'elle avait les mains nues depuis si longtemps, que tous les avaient vues désormais, même cette femme si belle. Elle eut honte, elle retrouva pour quelques instants sa pudeur.
L'avocate bondit sur ses pieds au moment où la septième heure sonna.
— Il faut que j'y aille. J'ai d'autres clients... s'excusa-t-elle mal assurée.
Elle ne voulait pas qu'elle parte. Même si cette femme la méprisait, même si elle la jugeait, au moins elle avait quelqu'un.
— Est-ce que... Est-ce que je peux vous prendre dans mes bras ?
La femme à la robe si belle eut un visage surpris.
— Je n'aurais plus jamais d'autres contacts physiques.... sanglota-t-elle, frissonnante à cette idée.
— Non ! lui répondit-elle sèchement. Je suis navrée. Puisse les dieux vous être favorable !
Et d'une démarche gracieuse elle sortit de la cellule, suivit des gardes la laissant seule face à son destin qui finirait d'ici treize heures. Elle entendit ses talons qui claquait sur le sol un moment encore, sentit encore son parfum fleuri dans la pièce même après ça. Puis plus rien. Tout était fini. Elle serait seule à jamais.
A jamais.
Cela se répercuta en elle, lui donna le tournis. Elle se recroquevilla sur sa couche en position fœtale avec le désespoir collé au cœur.
La huitième heure avait déjà sonnée quand le pan du mur s'enfonça de nouveau dans le sol. Un serviteur avait un plateau en main et entra en tremblant suivi par cinq gardes. Il déposa le plateau sur le lit et se recula au niveau des gardes. Elle n'était pas sûre d'avoir faim. Mais son regard se posa vers le beignet fumant encore, son odeur monta à ses narines et elle se dit qu'elle regretterait de ne pas le manger.
Alors elle le saisit entre ses doigts, il était vraiment chaud, croqua dedans et laissa le goût fondre su sa langue avec délice. C'était si exquis. Sept autres bouchées et ce fut fini. Elle prit alors revigorée le bol de baies sur ses genoux et le savoura baie après baie. Se remémorant son enfance où elle courrait en cueillir dans le jardin dès la saison venue. Les souvenirs étaient aussi doux-acide que les baies.
La neuvième heure elle se retrouva à nouveau seule face à elle-même. Mais pas question de pleurer ou de s'effondrer. Une prêtresse allait venir, lui faire la morale, il faudrait rester forte. Alors elle recommença son mini ballet. La mort est une fête après tout, un moment joyeux, un privilège offert par les dieux. Alors pourquoi le vivait-elle aussi mal ?
Dix heures. C'était le temps qui lui restait. Le temps qu'elle avait passé aussi. Elle n'avait rien fait pourtant. Mais pas le temps de regretter, la pan du mur laissa entrer une prêtresse. Pas de garde cette fois. Ce qui se dirait resteraient entre elles deux.
Si l'avocate avait été belle, elle était sublime. Mais elle n'avait rien de lumineux, au contraire elle était froide comme la glace, comme la nuit. Comme minuit. Un frisson la saisit.
— Enfant connaissez-vous le nom des trois ?
— Oui Mère.
— Enfant pries-tu les dieux ?
Elle avait beaucoup prié au début, avant que le verdict tombe, depuis elle avait oublié. Elle n'avait plus eu l'envie ou la foi.
— Plus depuis quelques jours, confessa-t-elle.
La prêtresse s'assit sur le lit.
— Pourquoi ? Ne crois-tu plus ?
— Je ne sais pas. Les dieux auraient-ils accepté que je subisse cette peine ? demanda-t-elle en s'asseyant à ces côtés.
— Tu as commis une lourde faute, tu es allé contre l'ordre naturel des choses. Tu as trahi les dieux. Souillée ce qu'ils nous ont chargés de protéger. Il est normal que tu sois punie. Il est normal qu'ils soient en colère contre toi.
— Je leur ai demandé pardon ! se justifia-t-elle en colère.
— Il ne fallait pas demander pardon mais ne pas agir. Tu as commis une faute grave et ton châtiment est à la hauteur de ta faute. Mais maintenant que tu es punie ils n'ont envers toi aucune colère. Maintenant que rien n'empêchera que tu reçoives ton châtiment demande pardon. Ils t'écouteront et si ton repentir est sincère ils adouciront le sort réservé à ton âme.
La prêtresse lui prit la main. Elle la serra. Elle leva des yeux plein d'amour vers cette femme qui acceptait de la toucher, qui ne la craignait pas.
— Fais la paix avec les puissants avant que ton âme ne leur soient remises. C'est eux qui vont décider quoi en faire.
Une frayeur sans nom s'empara d'elle. Elle avait refusé d'y penser alors mais désormais elle se voyait âme errante pour l'éternité, témoins de tout, sachant tout, souffrant perpétuellement, éternellement seule et ne pouvant rien y faire.
— Je... Je.... Ce n'était pas mal ! protesta-t-elle d'une petite voix.
— Au fond de toi tu sais que ça l'était. Tu dois le comprendre en voyant comment tous autour de toi réagisse à ce que tu as fait.
— Mais... Je...
— La voix du mal est toujours plus douce et séduisante. Mais demande pardon, accepte ta faute et proclame-là. Alors ma Fille tu pourras connaître la véritable fin.
La prêtresse baisa son front, prit ses deux mains dans les siennes et l'abjura :
— Repens-toi sincèrement !
Et elle partit. Elle, elle s'assit en tailleur, les mains vers le ciel.
Onze heures sonnèrent et elle balbutiait des prières encore. Elle s'arrêta un moment. Elle priait, demandait pardon. Mais elle n'avait toujours pas reconnue sa faute. Les paroles de la prêtresse résonnaient en elle. Néanmoins elle hésitait. C'était ses meilleurs moments. C'était quelque chose qui était arrivée comme ça, contre quoi elle n'avait pas pu lutter. Où avait-elle fauté ?
Elle baissa la tête. Elle le savait très bien. Elle l'avait toujours su. C'était contre nature. Les choses n'étaient pas prévues pour se passer ainsi.
Alors elle reprit sa position et demanda sincèrement pardon pour être allé contre les lois naturelles. Elle demanda pardon pour ses actes, pour ne pas avoir lutté contre ce qui se passait.
Tandis qu'elle parlait elle revoyait ses moments, elle la revoyait elle, se souvenait. Elle se tut. Que faisait-elle ? Elle était en train de la renier, comme ses parents l'avaient reniée elle. Alors que elle était tout pour Vidiana, qu'elle lui avait apporté tant de bonheurs. Elle rejetait ce qu'elle avait connu de meilleur, de plus beaux. Non. Elle ne pouvait pas faire ça. Elle n'était pas coupable. Elle se releva honteuse, persuadée que elle jamais ne l'aurait trahi ainsi. Elle assumerait jusqu'au bout.
La porte s'ouvrit à la douzième heure encore. Une robe était dans les bras d'une domestique à l'air revêche.
— Vous n'avez pas intérêt à l'abimer !
Les gardes la lui enfilèrent par magie. Elle toucha le tissu si doux, plus doux que ce qu'elle avait toujours rêvé. Elle tourbillonna sur elle-même euphorique. Elle esquissa quelques petits pas de danses. C'était si agréable. Elle se sentait belle, elle se sentait bien.
De nouveau on lui noua le collier autour du cou et y lièrent ses poignets. Puis escorté d'une dizaine de garde elle marcha dans le couloir. Elle allait sortir ! Elle aurait voulu hurler sa joie, danser, sauter, tant son bonheur était immense. Puis, comme rien ne l'en empêchait elle le fit. Dans les couloirs de la prison une prisonnière hurlait de joie, sautait et dansait.
On la fit monter aux étages et la mena à une porte qui donnait sur un jardin. Elle enleva ses chaussures, peu importe pour la pudeur après tout, et elle courut sur l'herbe fraiche. Elle la sentit lui chatouiller la plante des pieds, se faufiler entre ses orteils.
Et elle chante à tue-tête en dansant avec de grands mouvements, elle fit des sauts partout, respirant l'air frais avec délice. Il pleuvait, comme souvent au pays, mais la sensation des gouttes d'eau coulant sur elle était des plus agréables.
Elle s'amusa. Elle savoura. Tant et si bien qu'elle fut surprise d'entendre résonner la treizième heure.
Elle s'allongea dans l'herbe mouillée et riva son regard sur le ciel, admirant les nuages et imaginant le soleil caché derrière. Elle aurait aimé sentir une dernière caresse de sa part, elle l'espéra une heure.
Quand on entendit sonner quatorze heures on la releva. C'était fini. Cette pause, ce dernier instant de bonheur et d'insouciance, c'était terminé. A jamais. Elle voulut rester mais on la poussa à l'intérieur et lui fit reprendre le chemin de sa cellule. La gorge nouée elle le suivit, réalisant que dans six heures elle l'emprunterait en sens inverse et alors...
Elle ferma les yeux, l'angoisse étant revenue. Comment pouvait-on lui faire subir ça ? Comment pouvait-on infliger ça à qui que ce soit. Elle voulait vivre. Elle voulait aimer. Pourquoi le lui interdisait-on ?
A sa cellule on lui retira ses liens puis la robe. La robe si belle et si douce. Elle disparut avec les gardes, avec ses rêves, avec ses derniers instants de joie.
Elle s'assit sur son lit, où on avait laissé papier et écriveur pour qu'elle fasse ses adieux. Elle les balança loin d'elle, loin de son regard, cherchant à éloigner ainsi son sort funeste, cherchant à éloigner minuit. Puis elle soupira, éreintée par tous ces malheurs !
Son regard se posa à nouveau sur les feuilles quand sonna la quinzième heure. Cinq heures. Cinq heures et ce serait fini de chez fini. C'était tellement court. Elle prit sa tête entre ses mains, cherchant son courage.
Puis elle se leva et pris les feuilles et l'écritoire qu'elle pressa entre ses doigts, porta entre ses lèvres avant de le placer sur une des pages. Elle pouvait dire au revoir. Et elle le voulait. Alors elle dicta :
— Maman, papa, j'aurais voulu vous voir avant de partir. J'aurais voulu que vous osiez enfin me faire fasse plutôt que de me fuir. Ligane j'aurais voulu que tu reviennes, que je puisse te dire, vous dire à tous les trois, que je ne suis pas un monstre. Que je n'ai fait qu'aimer. Que je n'ai fait qu'être heureuse. Et que ça n'a jamais fait de moi un monstre. Que je suis toujours la même personne. Le seul changement c'est qu'elle m'a rendue heureuse. J'espère qu'un jour vous comprendrez.
Et reprenant l'écritoire en main elle signa. Puis elle saisit une deuxième feuille.
— Toi, mon amour, je ne sais même pas si tu liras cette lettre, je ne sais même pas si tu vis encore. J'aurais voulu te revoir, t'embrasser une dernière fois, jouer avec tes cheveux, sentir ton parfum. Je ne regrette rien. Je suis désolé pour les moments de doutes. Maintenant, à quelques heures de la fin, alors que je suis plus que jamais seule, alors que j'ai peur comme jamais, je ne changerais rien à notre histoire. Je ne choisirais pas un autre chemin. Parce que ce qu'on a connu, ce qu'on vécut, ce qu'on a eu, ce lien entre nous, ça vaut largement tout ça. Je préfère mourir de t'avoir aimé que vivre sans jamais t'avoir aimé. Je t'imagine encore si belle, si fière, si insolente dans ta cellule. Est-ce qu'elle est aussi petite que la mienne ? T'y ennuies-tu tout autant que moi ? Est-ce que tu penses à moi, à nous, à nos rendez-vous ? Je te vois tout à fait aussi aller à la mort la tête haute, prenant tous ceux venu te voir mourir de haut. Tu as toujours été la plus forte de nous deux. Moi je sais que je vais juste m'effondrer. Mais je te promets de ne pas demander pitié. Pour nous mon amour.
Elle reprit l'écriveur et signa avec délicatesse. Elle serra la feuille contre son cœur, y déposa un baiser comme si c'était son aimée elle-même et la posa avec délicatesse. Elle hésita et prit une troisième feuille et dicta :
— A tout Otscurio. Je ne suis qu'une jeune femme innocente. Quelqu'un comme vous. Par une chaude soirée, au cours d'une fête autour d'un feu, j'ai dansé avec une femme charmante et je suis tombé follement amoureuse. Je l'ai aimé comme vous aimé vos compagnons, vos époux. Je l'ai embrassée encore et encore, et pendant des semaines nous nous sommes retrouvés dans une auberge pour unir nos corps dans l'amour et la passion. Et parce que j'ai aimé une femme, parce que j'ai faits l'amour à quelqu'un du même sexe que moi, un soir vous tous, vous avez décidé de rompre un de ces moments de partage délicieux pour nous séparer à jamais. Vous m'avez donné la mort parce que j'ai aimé. Je n'ai rien fais qu'aucun de nous n'ai faits, ou ne fera à l'avenir. Vous dites que c'est contre nature, mais ces sentiments qui sont nés, ils sont nés naturellement. Ni moi, ni personne ne les ont forcés à naitre. Ne croyez-vous pas que j'aurais préféré aimé un homme, pouvoir vivre au grand jour mon amour, fonder une famille avec lui et ne pas être condamné à mort pour l'avoir aimé ? Ce qui aurait été contre nature c'est de lutter contre ces sentiments, contre ce que je suis, ce que je ressens. J'espère qu'un jour dans notre merveilleux pays deux personnes du même sexe pourront s'aimer sans se retrouver condamné à mort par tout son peuple pour ça. Que leurs familles ne leur retirons pas leur affection pour avoir aimé. Je meurs aujourd'hui, mais vous qui vivrez encore des siècles j'espère que vous changerez les choses. J'espère être la dernière à mourir pour simplement avoir aimé.
Elle soupira. Relu ses lettres. Et elle fit à nouveau les cents pas. Elle se sentait plus forte que jamais.
Mais tout ce courage, toue cette force s'effondra à la seizième heure. Quatre heures encore. Quatre heures où elle n'avait plus rien à faire, quatre heures où elle aurait voulu tant faire. Quatre heures à attendre dans l'angoisse.
Dix-sept heures. Plus que trois heures. Et la peur ne se fit que plus palpable.
Dix-huit heures. Plus que deux heures. Et la peur ne se fit que plus palpable.
Dix-neuf heures. Une heure. Une heure. Une seule heure. Elle exhala, voulut pleurer mais la porte s'ouvrit. Trois prêtresses, dix gardes.
— Non ! cria-t-elle.
Elle retint le « pitié » qu'elle avait sur les lèvres juste parce qu'elle avait promis mais ses yeux le criait pour elle. Elle voulait vivre. Elle voulait vivre.
Elle tenta de s'enfuir mais d'un geste de la main un garde la fit voler à travers la pièce. Elle se débattit mais d'un autre geste elle fut immobilisée.
Les prêtresses lui coupèrent les cheveux. Elle pleura tant de douleur pour cet acte que de désespoir. Pourquoi ? Pourquoi devait-elle mourir pour juste avoir vécu ? Pourquoi ne la laissait-on pas aimer ? Pourquoi ne la laissez-t-on pas vivre ?
— Te repends-tu ? demandèrent d'une voix les prêtresses.
Elle les observa sanglotant.
— Non, gémit-elle à travers ses larmes.
On la mena alors à travers le couloir. Elle ne voulait pas. Elle ne voulait pas y aller. Elle préférait encore retourner dans sa cellule, ne jamais quitter cet endroit ridicule.
Dehors il faisait nuit. Les lunes brillaient, les étoiles elles étaient absentes.
On la plaça dans un carrosse, pour que tous la voit passer. Les trois prêtresses l'entouraient, et les gardes se tenaient tout autour. On avançait lentement dans la ville pleine de monde, tournant dans chaque rue. Le conducteur appelait la population à venir :
— Laissez passer le monstre ! Laissez passer celle qui aime les femmes ! Celle qui veut se reproduire avec elles !
Des hurlements de dégoûts se faisaient entendre, on la huait, l'insultait, des jeunes d'une quinzaine d'années chantaient un chant morbide où on annoncer qu'on lui couperait la tête. Elle aurait voulu être sourde. Elle aurait voulu être aveugle et ne pas voir les torches dans leurs mains. Mais elle devait assister à tout ça, être le centre de tout ça, subir tout ça. A chaque appel du conducteur elle voulait se cacher mais on ne le laissa pas, elle ne put que baisser la tête et pleurer.
Arrivée sur la place d'exécution la peur la prit violement aux tripes. Le bûcher ou on jetterait son corps se dressait, prêt à s'enflammer, derrière, elle voyait le bourreau son épée brillante en main et entre elle et toute cette scène des centaines de gens venu la voir mourir.
— Monstre ! criai-t-on sur son passage.
— Fille du mal !
— Monstre !
Les invectives se faisaient plus virulentes. La foule venue avec ses torches les lancèrent sur le bûcher qui s'embrasa dans des crépitements qui lui donnait l'impression que son cœur s'arrêtait à chaque fois. Puis on fut arrivée.
Elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas. Elle ne voulait pas mourir. Ses jambes flageolantes peinaient à la maintenir debout. Elle hurla, trébucha, sous les applaudissements de la foule.
— Bien mérité le monstre !
— Souffre !
Les trois prêtresses lui firent face :
— Te repens-tu ?
La gorge nouée elle ne put parler, juste pleurer.
— Allons ! On n'a pas le temps. Te repens-tu oui ou non ? la rabroua l'une d'elle.
Elle voulait avoir le temps. Elle voulait vivre. Pourquoi ?
Elle ne put que secouer la tête et les trois femmes montèrent avec elle jusqu'au bourreau. C'était une femme à la longue chevelure blonde aux mèches d'or particulièrement brillante et au sourire mauvais. Elle annonça :
— Vidiana Corentra vous serez exécutée ce soir pour être allée contre les lois de la nature. Vous avez forniqué avec une femme, trahissant ainsi votre propre être, niant ainsi la nature même des choses et par cet acte reniant les dieux et la mission de protection de la nature qu'ils nous ont confiés à nous tous immortels !
Les huées s'élevèrent de la foule plus retentissantes que jamais.
— A la mort ! A la mort ! hurlait-on.
Son cœur battait à tout rompre, terrifiée, malade même. Elle voulait vomir, elle voulait pleurer, elle voulait fuir mais elle n'était que tremblement.
— Une dernière fois, te repens-tu ? demandèrent les prêtresses à voix haute.
Pitié voulait-elle crié. Pitié sortez-moi d'ici. Sauvez-moi ! Pitié ! Pitié ! Pitié ! Mais elle avait promis. Elle baissa la tête, silencieuse, incapable de bouger, incapable de parler.
— Alors sois sûre que les dieux te puniront ! annoncèrent les prêtresses.
Chacune la gifla avant de quitter l'estrade. Le bourreau se saisit alors d'elle, la plaça à genoux, plaça sa tête sur une surface dure. Elle était secouée de sanglot. Elle ne voulait pas mourir. Elle ne voulait pas mourir. Elle voulait vivre.
– Minuit arrive dans quinze secondes ! annonça le bourreau. Comptez avec moi !
– 15 ! égrena la foule.
– Pitié, pitié, pitié, murmura-t-elle pour elle-même tandis que la foule continuait son compte à rebours.
– 10 !
– Non, non, non, gémit-elle haletante.
– 5 !
Elle trouva la force de tenter de se relever, de s'enfuir, mais la main du bourreau s'abattit sur son dos l'immobilisant tandis que la foule hurlait avec bonne humeur zéro.
Vingt heures sonnèrent. C'était minuit. Et un coup sec, le froid de la lame sur sa nuque et se fut finit. La tête fut brandit et jeté dans les flammes par le bourreau sous les vivats de la foule. Puis le corps subit le même sort. Il se consuma à côté d'une foule en liesse jusqu'à qu'une heure ne sonne.
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