La peau froide
Prudente, il fallait être prudente. Le couvre-feu ne lui permettait pas d'être dehors mais il fallait à tout prix qu'elle se rende rue Ravio, elle en avait besoin. Elle avança en rasant les murs, le plus discrètement possible dans le silence des rues, la peur au ventre.
Rentre chez toi ! Avait-elle envie de se crier.
Mais non elle continuait ses pérégrinations. Remerciant qu'aucun des empires ayant soumis son pays ne se soit intéressé aux quartiers pauvres et ne les ai transformés à l'image des rues de chez eux, comme dans le centre-ville avec ces sols lisse et dures qui répercutait chaque pas. Ici le sol était argileux, inégal et amortissait le bruit de ses pieds se posant encore et encore sur le sol. Elle observa à droite, à gauche, s'assurant ne pas être suivie et tourna vers la droite, serrant son châle contre elle comme si ce geste anodin pouvait la protéger. Certes avec le couvre-feu les rues étaient désertés de tous, mais il y avait des gens comme elle, des désespérés qui tentaient les vampires et se montraient prêt à tout, même tuer ou agresser pour avoir ce qu'ils voulaient. Et il y avait les veilleurs.... Qu'ils soient de l'empire ou monborien ils étaient une grande menace. Les premiers ne lui laissaient aucune chance et ramener les vagabonds aux autorités, et parfois se servait un peu avant, les seconds pouvaient être agressif considérant les gens comme elle comme indigne de respect ou accepter de ne pas vous livre en échange de certaines faveurs.
La gorge serrée elle continua d'avancer observant avec attention devant elle, prêtant l'oreille au moindre bruit, moindre murmure, jusqu'à qu'une main s'abatte sur son épaule et qu'un poids sembla se poser sur son esprit la plongeant dans l'inconscience.
Lutte ! Réveil-toi ! aurait-elle voulut se crier. Frappe cette enflure et rentre ! Ouvre-le yeux bon sang !
Elle se réveilla oui, mais du souvenir de cette nuit funeste. Cela la hantait encore des années après sa capture. Elle le revivait encore et encore, espérant toujours en changer la fin, comme si c'était encore possible, comme si sa personne du souvenir devenue libre pourrait la libérer.
Elle se frotta les poignets, sous les anneaux qui les enserraient, comme si cela aussi pouvait la soulager, effacer ce fourmillement qui la picotait à chaque instant.
Se redressant elle vit la nouvelle, sur le lit face à elle. Celle-ci ne dormait pas. Elle non plus elle n'avait pas dormi la première fois. Comme elle, elle avait dû avoir des yeux écarquillées de peur. Peut-être serrait elle aussi contre sa poitrine ses genoux en se balançant légèrement, cela elle ne s'en souvenait plus, mais elle savait qu'elle, contrairement à la petite, elle n'avait pas murmuré des prières, la déesse n'avaient jamais levée le petit doigt pour elle, elle ne s'attendait pas à ce qu'elle le fasse ce jour-là. Et elle avait eu raison. La nouvelle comprendrait que ça ne lui servirait à rien non plus très vite quand le maître....
Elle ferma les yeux, ne voulant pas y penser.
— Tu y rêvais encore ? intervint la voix de Fellza à sa droite.
Elle se tourna vers son acolyte. Elles étaient toutes les deux monboriennes, elles l'avaient su dès que leurs yeux s'étaient posé l'une sur l'autre, au physique typique de leur pays avec leur peau rougi couverte de tâches de rousseurs, leurs cheveux châtains, leurs silhouettes maigrelettes et leurs yeux verts. Et c'était ce minuscule détail qui les avait approchés. Au pays elles ne seraient jamais devenues amies. Fellza était une fille de la campagne, pieuse, sans éducation, qui élevait les bêtes et que ses parents avaient vendues en période de disette et qui pourtant rêvait de retrouver sa famille. Zirta, elle, était une orpheline n'ayant qu'un frère qu'elle ne voulait plus jamais revoir, n'ayant connue que la ville, elle avait suivi des études il y a longtemps qu'elle avait dû abandonner quand l'argent avait manqué, alors elle s'était produite comme musicienne, avait vendue des produits au marché noir, concoctées des potions aux zoribbels et fait tout ce qui avait pu lui rapporter de l'argent qu'elle s'empressait de dépenser dans ses différentes addictions, ce qui l'avait entrainé à braver le couvre-feu et se retrouver esclave.
Mais ici c'était devenue sa meilleure alliée.
— C'était plus un cauchemar ! rétorqua-t-elle. Mais oui.
— Un jour ça partiras. Je n'y pense plus tu sais. Ca fait quelques jours. Je me souviens de la première fois...
Zirta frissonna à ce souvenir. Elle ne voulait pas se souvenir. La peau froide comme la mort, se rappela-t-elle, juste ça. Elle frissonnait pourtant pour juste ça.
— Chut ! Taisez-vous ! s'exclama Shorta, sur le lit à sa gauche.
Allongée, hébétée même, la petite fille avait les yeux grands écarquillés d'horreur. Zirta avait été choquée de son jeune âge quand elle était arrivée, mais Fellza lui avait dit avoir été à peine plus âgée quand on l'avait vendue.
La nuit dernière ça avait été elle que le maître avait choisi. L'expérience devait être encore trop présente pour elle, qui ne devait que ressentir du dégoût pour elle-même, pour ce qu'elle avait ressenti et une détresse intense en repensant à ce qu'il lui avait fait.
Ça avait beau être une enfant personne ne l'avait prise sous son aile ou ne s'était porté volontaire à sa place. Ici personne ne se portait volontaire pour une autre. Ici personne n'était vraiment ami. Leur survie s'était tout ce qui les intéressait et sentir le moins possible la peau froide. Avec Fellza parfois elles discutaient de tout ça, s'en désolait, s'en offusquait. Mais jamais elles n'agissaient, pas même l'une pour l'autre. Elles se contentaient de se soutenir mutuellement, de se consoler, d'excuser les reproches que l'autre s'adressait après.
Zirta regarda de nouveau la nouvelle, terrifiée face à elle :
— Au moins on sait qui y passera ce soir ! commenta Fellza en suivant son regard. Tu sais comment elle s'appelle toi ?
— Non. Elle semble luminorienne, observa-t-elle
— Je ne sais pas, elle est trop blanche. Mais elle en a l'accent. Et elle a une sacrée belle robe !
Oui elle ressemblait presque à une princesse. Depuis qu'elle était esclave Zirta avait pu voir des gens avec des vêtements plus somptueux qu'elle n'avait pu se l'imaginer et des colifichets improbables. Cette fille n'en était pas à ce point. Elle devait être de bonne naissance mais pas de très bonne naissance. De toute façon elle ne se serait pas retrouvé esclave si ça avait été le cas non ?
Quoi que on avait toujours dit que la société des castes luminorienne était extrêmement sévère et son étiquette l'une des plus strictes. Peut-être que c'était une punition là-bas pour les personnes riches.
Zirta avait toujours nourri une sorte de haine envers les riches qui vivait à son avis sur le dos des plus pauvres. Mais à voir cette jeune fille affolée, sa belle robe abîmé et ses joues mouillées de larmes elle eut pitié. Quelque chose toucha son cœur qui ne s'était jamais attendri.
Ce fut le moment où le serviteur entra, suivit des plateaux de nourriture. Chacune en vit un se poser devant elle.
Zirta avait faim et sauta sur son assiette de viande jamais assez cuite à son goût, dire qu'avant elle aurait tout donner pour goûter la viande et qu'aujourd'hui elle se plaignait de la cuisson de celle-ci, ses camarades en firent. Sauf la nouvelle constata-t-elle qui n'avait qu'enfoui sa tête dans ses genoux. Elle n'apercevait plus que de son crâne ses cheveux blonds lâchés emmêlés.
— Y a-t-il une volontaire ce soir ? demanda le domestique.
Comme toujours personne ne se désigna. Il s'approcha de la nouvelle qui se mit à gémir et pleurer. Avait-elle seulement déjà connu de mauvaises choses ? L'avait-on déjà frappé ? Avait-elle déjà eu faim ? Un homme avait-il seulement posé la main sur elle ?
— Ce sera toi ! annonça-t-il.
Elle releva la tête désespérée, le regard plus vivant que jamais depuis son arrivée et supplia :
— Non ! Non ! Je vous en prie ! Pitié !
Elle semblait tenter se protéger de ses bras d'un contact, de celui de la peau froide songea Zirta.
— Je suis volontaire ! déclara cette dernière.
Tous la dévisagèrent surpris. Elle-même s'étonnait de cet instinct qui l'avait poussé à dire cela. Etait-ce un sort ? Ou autre chose ? Elle ne se sentait pas sous influence. Pourtant elle s'était portée volontaire. Observant cette jeune fille qui la dévisageait abasourdie, la bouche écarquillée et les yeux reconnaissant, elle leva la tête et se décida d'assumer jusqu'au bout. Il était temps d'entraîner un peu de changement ici.
— Très bien. Mange ! Je viens te chercher dans une demi-heure.
Il partit et tous la dévisagèrent.
— Merci ! Du fond du cœur merci ! dit la nouvelle avec un accent luminorien.
— Il va falloir te raffermir. Tôt ou tard tu y passeras. Fellza tu vaux bien t'occuper d'elle ce soir ?
— Oui bien sûr.
Elle craignait de découvrir de l'amertume chez sa compagne qu'elle n'avait jamais sauvée d'une nuit avec le maître. Mais non elle ne constatait aucun changement.
On vint la chercher, la baigner une nouvelle fois, le maître aimant que ses victimes sentent bon, mais pas de parfum car cela agressait son nez. Dans l'eau chaude elle revit sa première fois, la première fois qu'elle s'était retrouvée face au maître qui serait exactement pareil que ce soir, qu'elle avait épargnée à cette pauvre nouvelle. On lui enfila une robe blanche échancrée toute légère qui la fit frissonner dans cette demeure si froide. On la mena à la chambre du maître. L'installa sur une chaise face au maitre et ses serviteurs qui attendaient en silence.
Ils étaient tous là, grands, très fins, la peau blanche comme la neige contrastant avec leurs chevelures noires comme la nuit qui l'avait conduite ici.
Elle trembla, son ventre se tordit d'anxiété.
Le maître une dague à la main s'approcha à pas feutré, passa derrière elle, posa son autre main sur son cou. Sa peau était glacée, froide comme la mort. Elle se sentait prête à défaillir à l'idée de ce qu'il allait lui faire faire, à l'idée de ce qu'elle allait ressentir. Il saisit son poignet entre ses doigts gelés et perça sa peau avec sa lame. La douleur lui arracha un léger cri. Le doigt toujours glacé appuyait sur sa coupure faisait couler le sang dans une coupe. Quand elle fut remplie il referma la plaie et elle se sentit légèrement sonnée.
A travers son regard vitreux elle vit le maitre offrir son sang aux serviteurs.
Puis il lui tendit une coupe d'une potion fumante. Un revigorant. Elle le reconnaissait. Elle n'en voulait pas. Elle préférait être inconsciente que de s'avilir comme elle le ferait dès qu'il poserait sur elle ses lèvres froides comme. Il força le liquide à pénétrer entre ses lèvres. L'effet fut immédiat. Zirta était de nouveau en forme, elle avait envie de danser, de courir, de dépenser cette énergie bouillonnant en elle.
Les serviteurs s'inclinant souhaitant une bonne nuit au maître les laissèrent.
Elle, elle voulait vomir.
Il l'entraîna à son lit, la fit s'assoir sur ses genoux, elle pouvait voir ses épais sourcils broussailleux et ses yeux rouges si concentré qui l'effrayaient toujours et il plaqua sa lame contre sa gorge. Le froid de la lame perça sa peau, sa veine et il s'y jeta.
Elle exhala de plaisir au contact de sa salive si euphorisante, un plaisir détestable qu'elle ne voulait pas. Un plaisir que son corps ressentait automatiquement au contact de sa salive, la poussant à se haïr pour aimer et appeler ce qu'une fois loin de lui et ses esprits récupéré elle détestait tellement. Et pourtant elle ne pouvait contrôler le plaisir qu'elle ressentait à ce moment et qui s'échappait de ses lèvres. Lui aussi grognait de plaisir face au liquide qu'il avalait, son fluide vitale, que pourtant elle apprécier sentir couler en lui. Il déchira sa robe collant sa peau si froide contre la sienne tandis qu'il se nourrissait d'elle encore et encore sous ses hurlements de plaisir. La douleur était là mais oublié et ce fut avec plaisir qu'elle plongea vers la mort.
Le maitre s'allongea à son côté, collé contre elle, appréciant la saveur de sa peau qui refroidissait dans cette demeure glacée.
Au matin, alors qu'il était plongé dans le sommeil le collier autour de son cou et ses bracelets vibrèrent la réanimant en un râle douloureux.
Elle se sentait malade, étourdie et sale encore une fois d'avoir aimé ce qu'elle détestait tant. Et puis il y avait cette impression de manque comme à chaque fois qu'elle se réveillait grâce au collier. Comme si une partie d'elle avait disparue et l'appeler à la rejoindre. Elle frotta ses poignets encore froid. Froid comme la peau du maître quand il se plaquait contre elle et manipulait ses émotions, froid comme la mort auprès de laquelle elle plongeait à chaque fois.
Pourvu que son sacrifice ait un sens. Pourvu que bientôt quelqu'un se lèverait pour prendre sa place quand elle serait désignée.
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