J'étais amoureuse, quand j'ai écrit ce texte
Paillette court plus vite que le vent, chacun de ses pas est un magnifique saut vers l'avenir, vers un avenir radieux et ensoleillé. Je l'entends qui rit, et son rire s'élève plus haut que le ciel, il chante longtemps dans mon cœur, je crois qu'il commande la vitesse de ses battements. Le rire de Paillette est saccadé. Les nuages sont tout gris, comme mon visage ce matin, que même le café n'a pas réchauffé. Mais la splendeur de Paillette est trop vive pour que mon visage reste gris, elle m'a embrassée, d'un baiser arc-en-ciel, mes joues ont rosi, mes lèvres aussi, et le bleu a supplanté le vide de mes iris. Puis elle a attrapé ma main, comme on confie un secret, m'a tirée dans la rue, alors que mes cheveux étaient encore emmêlés, et elle s'est mise à courir, sur le goudron, elle a failli tomber quand son pied a glissé sur des graviers mais elle s'est rattrapée au portail en fer noir de Mme Roy. Et, là, elle a éclaté de rire, en reprenant sa course.
Paillette est une super-héroïne, parce qu'elle a une cape. Quand elle court, ses cheveux se soulèvent, et la suivent comme un étendard, je vois presque des mèches plus foncées écrire un grand P, pour Paillette. Paillette n'a pas qu'une cape, elle a aussi un super-pouvoir. Celui de faire sourire mon monde. Pas seulement mon visage, mes yeux, et mes sentiments, mais tout mon monde. Quand Paillette est là, tout sourit, c'est comme ça, c'est son super-pouvoir. Les grands sapins trop sombres, ceux qui me faisaient peur quand j'étais petite parce que leurs branches tombent comme des mains crochues, deviennent d'un vert éclatant ; et les cormorans lugubres qui occupent les doigts tortueux de ces mains crochues deviennent aussi bleus que l'eau du port. Enfin, aussi bleus que l'eau du port de mon monde quand Paillette le fait sourire, parce que, quand Paillette n'est pas là, l'eau du port est sale et insipide.
Quand Paillette est triste, son super-pouvoir ne s'éteint pas, mais il est différent. Mon monde devient un drôle de mélange entre une inquiétude dévastatrice, et un immense sourire parce qu'elle est là, tout de même, même si sa peau est trempée par ses larmes. En fait, quand Paillette est triste, mon monde est une tempête. Ses larmes sont la pluie, ses sanglots le tonnerre, et ses paupières qui papillonnent pour chasser la pluie, en se prenant pour des essuies-glaces, laissent flasher de temps en temps la lumière de ses yeux, et les apparitions furtives de cette lumière violente sont les éclairs. C'est une tempête qui détruit tout, mais, dans une tempête, il y a aussi le sifflement du vent, que j'ai toujours adoré entendre, c'est le ciel lui-même qui chante, et plus seulement la radio et les oiseaux. Ce sifflement est encore plus fort et plus beau quand c'est celui de la tempête de Paillette, il couvre le fracas de la pluie contre les vagues déchaînées. Mais Paillette ne contrôle pas sa tempête, elle a besoin des autres, elle aussi. Je ne sais pas si je fais sourire son monde, elle me dit que oui, j'ai du mal à la croire. Personne ne peut le faire comme elle, c'est certain. Je suis souvent celle qui calme la tempête de Paillette, dans ces moments-là elle a simplement besoin d'un peu d'amour. Et j'en ai tellement à lui donner. Alors on regarde un film niais et dégoulinant de clichés, enlacées, et on mange des fruits. Paillette aime beaucoup les fruits, mais elle n'arrive pas à savoir lequel est son préféré, très souvent elle m'expose son débat intérieur pendant de longues minutes, avant de toujours arriver à la même conclusion : elle aime les fruits en général, et pas un en particulier.
Paillette court toujours, plus elle s'approche de l'horizon, et plus le soleil est haut dans le ciel. Il est bientôt midi, elle se retourne vers moi, les joues rougies par l'effort et la chaleur.
- J'ai faim, pas toi ?
- Si, qu'est-ce que tu veux manger ?
- Viens chez moi, tu préfères des pâtes ou du riz ?
- Tu connais déjà la réponse...
- C'est vrai, mais le riz c'est plus long à faire cuire et j'ai vraiment faim, alors j'ai toujours un vague espoir que tu répondes des pâtes.
- Ne me pose pas la question alors, et faisons des pâtes.
- Non, je préfère le riz aussi.
- Paillette, tu me prouves un peu plus chaque jour à quel point l'être humain est compliqué à comprendre.
- C'est magnifique, n'est-ce pas ?
- Surtout quand c'est de toi qu'il s'agit.
J'aime beaucoup aller chez Paillette, j'ai l'impression d'être encore plus proche d'elle, dans ces moments-là, de faire partie de son quotidien. Je vois le roman posé ouvert sur l'accoudoir, les écouteurs emmêlés, un dessin entamé taché du thé froid de la tasse à fleur offerte par sa mère à un de ses anniversaires. La tasse est toujours sur la table, comme la petite cuiller qu'elle a utilisé pour y mettre du sucre. Paillette ajoute du sucre dans tout, et parfois même elle ne prend pas la peine de le camoufler dans une quelconque boisson, elle le mange comme ça. Et alors c'est sucré, quand je l'embrasse. Elle plaisante souvent en disant qu'à chaque fois que je l'embrasse après avoir bu un café, je bois du café sucré, moi qui déteste ça. Mais ça ne me dérange pas, le sucre de Paillette est souvent acidulé, c'est toute l'urgence qu'elle met dans ses baisers. C'est rare que ses baisers ne m'évoquent que la tendresse que je lis dans son regard. C'est comme si elle partait le lendemain, ses baisers sont des baisers d'adieu... J'ai confiance en elle, j'ai une confiance aveugle en elle, mais j'ai peur que les autres nous séparent. Et je crois qu'elle aussi a peur que les autres nous séparent, et que je ressens cette peur dans ses lèvres empressées.
Mais, Paillette, je veux croire en toi, je veux croire en nous, et personne ne pourra se mettre entre nous, n'est-ce pas ? J'ai besoin de toi, j'ai besoin de ton super-pouvoir, de ta cape qui réchauffe mes épaules quand j'ai oublié ma veste chez Diane et qu'il est trop tard ou trop tôt pour que le soleil brille, et j'ai besoin de tes murmures qui calment l'angoisse de la vie...
Le sang et les larmes
Pourquoi tu n'étais pas là, Paillette ?
Pourquoi tu n'étais pas là, ce matin, quand tout hurlait à mon oreille, que la lumière brûlait mes pupilles, que mon cœur souffrait à chaque battement ? Mes doigts se recroquevillaient sur du vide, quand j'aurais eu tant besoin d'attraper ta main, de sentir ta peau, ton pouce sous mes paupières pour essuyer mes larmes, tes lèvres pour réchauffer ma bouche glacée de silence. Paillette, ce matin mon monde ne souriait pas parce que tu n'étais pas là. Mais c'était même pire que ça. Mon monde pleurait. Pas avec la vivacité de tes tempêtes, mais avec la monotonie de l'amertume, c'était ces larmes qui montent tout doucement et envahissent tout, cette angoisse qui prend racines et tente d'immobiliser le cœur, puis tout déborde en gros sanglots, les yeux sont minés de sel. Ils seront bientôt rongés, Paillette, si tu n'es pas là. Tu imagines, mes yeux rouges de sang, aveugles de ta joie ?
Mais, au moins, je ressentais quelque chose. C'était terrible, tout faisait mal, et ton simple souvenir ne me soulageait pas. J'ai maintenant la chair à vif, mes plaies sont vaguement pansées, mais jamais elles ne cicatriseront sans toi. Et j'ai peur que tout s'échappe avec mes larmes et mon sang. Que, quand j'aurai trop pleuré et trop saigné, je n'aie plus rien pour me remplir. J'ai peur d'être vide, Paillette, j'ai peur d'être vide comme la mort. Je ne veux pas mourir, mais si tout s'échappe ce sera tout comme. J'ai besoin de toi pour que mes blessures se referment, avant que les larmes ne creusent des sillons éternels sur mes joues, qui ne feront qu'écho au vide qui me compose, à l'intérieur.
Paillette, pourquoi tu n'étais pas là, ce matin ?
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