1. Esperance
Quand j'ai reçu le coup de fil venant du ministère en rentrant de l'école, un homme m'a expliqué que mon oncle Caleb, le grand frère de ma mère, était mort d'une crise cardiaque.
C'est ainsi que je me suis retrouvée ici, assise en face du ministre des transferts. Je n'ai pas très bien compris ce qu'il me voulait mais tout ce que je sais, c'est que je ne suis plus la bienvenue chez moi.
- Je vous présente mes condoléances, commence le petit homme aux cheveux grisonnants.
C'est fou ce que je déteste ce genre de banalités. Parler est un don précieux qu'on gaspille avec des mots vides de sens qui résonnent comme un bruit creux et non comme une signification distincte.
- Je vous remercie, répondis-je tout de même.
- Vous devez vous demander ce que vous faites dans le département des transferts alors que vous êtes en plein deuil.
- En effet...
- Et bien, explique le ministre, il se trouve que le testament de votre oncle stipule clairement qu'il voulait qu'à sa mort, vous soyez transférée.
Je ne comprends pas immédiatement ce que cela implique. Je me contente de rester silencieuse. Oncle Caleb me disait souvent "Si tu n'as rien à dire, écoutes."
- Votre avion part dans une heure. Vous quitterez Canberra pour vous installer dans un pays isolé du reste du monde... On l'appelle Esperance.
- Pourquoi dois-je être transférée ? Je croyais que les citoyens n'étaient autorisés à changer de pays que dans de rares situations.
- C'est exact, affirme l'homme en hochant sa petite tête ronde. En plus du testament, il se trouve que vos parents sont originaires d'Esperance. Par conséquent, selon les lois, votre place est là-bas et non ici.
- Mes parents sont portés disparues depuis longtemps, lui rappelais-je.
- C'est le règlement, se borne le ministre.
Il jette un coup d'œil à sa montre et il me prévient :
- Vous avez 55 minutes pour plier bagages et vous présenter à l'aérostation.
Pourquoi Caleb aurait-il voulu que je quitte ma ville, celle où j'ai grandis depuis toujours, pour m'installer dans un pays où je ne connais personne ? Mon oncle était la seule personne encore vivante de ma famille... Mes parents ont disparu quand je n'étais encore qu'un bébé alors j'ai toujours vécu avec lui.
Quoi qu'il en soit, je me lève du fauteuil inconfortable qui me faisait mal au dos et je quitte la pièce sans même prendre la peine de saluer le ministre.
Je prends le bus pour retourner à la maison. L'appartement de Caleb paraît bien vide sans lui... En revanche, il y a toujours cette délicieuse odeur de papier, d'encre et de camélias. C'étaient les fleurs préférées de ma mère apparemment. Je passe devant le grand salon où trône une petite bibliothèque débordante de livres et une pointe de nostalgie s'empare de moi en pensant que je ne pourrais plus jamais m'asseoir au coin du feu et poser ma tête sur les genoux de mon oncle pendant qu'il me lirait un poème. Je m'approche et je souffle un grand coup sur les nombreux ouvrages. Une nuée de poussière s'envole et je suis prise d'une quinte de toux. Je laisse mes yeux glisser le long des reliures avant de faire un choix qui me paraît évident : le livre préféré de Caleb. Un recueil de poème qui parlent de l'automne. Je le prend avec précaution et le serre contre mon coeur.
J'ai beaucoup de mal à quitter l'appartement des yeux... On m'a souvent dit que les gens avaient beaucoup de mal à laisser s'en aller le passer. Mais je me rends compte seulement maintenant à quel point c'est vrai. En revanche, je pars avec la certitude que mon oncle savait parfaitement ce qu'il faisait en m'envoyant moisir dans cette cage. Enfin... j'essaie de m'en persuader en tout cas.
J'arrive juste à temps pour l'embarquement. Caleb avait tout prévu : un aller simple pour Esperance, une copie de mon dossier et une large malle cachée sous mon lit. Comme si je n'étais venue ici, à Canberra, que pour en repartir 16 ans plus tard. Il y a peu de monde dans l'avion. Une dizaine de personnes environ. Je m'assoies au fond et je pose mon front sur la vitre glacée. Et pendant tout le vol, je laisse les paysages océaniques me passer devant les yeux et s'effacer aussitôt, comme des fantômes.
Je repenses à la cérémonie en l'honneur de mon oncle qui a eu lieu la semaine dernière. Mes mains tremblaient et je n'arrivais pas à y voir clair. C'était comme si ce n'était pas la vraie moi qui était debout devant le cercueil, seulement mon ombre. Je savais que désormais, c'était moi seule contre le reste du monde. Je ne me souviens plus si j'ai pleuré... Tout était si confus. Mais je me rappelle que je me sentais vide. Comme si on avait aspiré mon âme de mon corps. Et je crois que j'ai compris une chose : c'est quand quelqu'un s'en va qu'on se rend compte de toutes ces belles choses qui faisaient de cette personne un être exceptionnel. Sauf que c'est trop tard.
Mon oncle Caleb était un philosophe. Le gouvernement le payait pour réfléchir. A la fois, je trouvais ça admirable que mon tuteur soit doté d'une réflexion si profonde mais d'un autre côté, je trouvais ça pitoyable qu'il soit le seul à réellement voir ce qui nous entourent. Il savait trouvé les bons mots pour décrire tout ce qu'il y avait à décrire. Ses yeux étaient le reflet de son âme et rien qu'en l'observant, on savait parfaitement qu'il ne faisait pas que regarder en surface comme tous les autres. Non, lui, il voyait. Mon oncle savait de quelle couleur était le vide, il savait à quoi ressemblait l'air, il savait même quelle odeur avait le ciel. Grâce à lui, j'ai une vision du monde tellement singulière et précise, que Caleb la qualifiait de parfaite. Et c'est le plus beau cadeau qu'il aurait pu me faire.
- Notre avion va bientôt atterrir dans l'aérostation de votre destination, annonce une voix artificielle.
Esperance... Ce mot résonne comme un souffle délicat qui menace à tout moment de s'envoler. Que me réserve cette terre exilée du reste de la planète ?
- Vous avez besoins d'aide mademoiselle ? me propose une jeune femme en désignant ma valise.
- Non merci, souriais-je.
Le ministre avec qui j'ai parlé ce matin m'a dit qu'un Officier viendrait me chercher à la station dès que je serais arrivée. Je le cherche des yeux et je le repère facilement étant donné que l'aérostation était presque déserte.
Je lève la main pour l'interpeller et quand ses yeux se posent sur moi, il s'engage dans ma direction. Une fois arrivé devant moi, il ne dit pas un seul mot et me prend la valise des mains. L'Officier visiblement pas très bavard me fait signe de le suivre et je m'exécute. Ce pays m'a l'air très accueillant...
C'est un petit homme trapu d'environ 40 ans. Ses joues sont comme fondues et pendent le long de son visage, ses yeux sont petits et perçants, ses cheveux sont parfaitement coiffés et sa démarche est des plus étranges.
Il me pousse à moitié dans sa voiture aux vitres opaques et démarre rapidement. Pour la première fois, il rompt le silence de plomb :
- Vous habiterez dans un internat. Mais avant de vous installer, vous devez aller au Siège du Gouvernement pour mettre votre dossier aux Archives et pour d'autres formalités.
Son ton était cassant et froid. De toute évidence, il n'avait pas de temps à perdre avec des banalités telles que "comment s'est passé votre vol ?", "j'espère que vous vous plairez ici" ou encore "vous serez bientôt comme chez vous". Étrangement, je trouve ça agréable qu'il aille à l'essentiel en m'épargnant des phrases toutes faites dont les réponses ne l'intéresse absolument pas.
- Excusez moi mais où sommes nous exactement par rapport à l'Océanie ? demandais-je d'une petite voix.
- Je ne suis pas autorisé à vous révéler notre position géographique, grogne l'Officier.
- Pourquoi ça ? m'étonnais-je.
- Vous posez beaucoup de questions, c'est agaçant.
- On ne vous a jamais dit que la curiosité était un joli défaut ? répliquais-je.
- Ecoutez, bougonne l'homme, notre société est terriblement différente de celle que vous avez connue. La notre est meilleure, sans aucun doute. Vous allez devoir vous y habituez rapidement.
Chaque son qui sort de sa bouche me fait penser à un aboiement et son visage ressemble comme deux gouttes d'eau à celui d'un chien énervé. Alors, je décide de lui donner un surnom qui honorera sans hésitation son allure de mannequin.
La voiture s'arrête et je sors rapidement du véhicule sans attendre d'y être invitée. Je n'ai même pas le temps d'observer le paysage, Bouledogue m'attrape le coude et m'entraîne à l'intérieur d'un très haut bâtiment dont les murs sont faits de miroirs.
- Le président Logan va vous recevoir, m'informe mon Officier.
- Il est aussi chaleureux que vous ? laissais-je échapper.
L'Officier Bouledogue me lance un regard dur et coléreux mais il ne répond pas. Il continue à me broyer le bras entre ses mains potelées. Nous traversons de longs corridors et nous passons devant de nombreux bureaux. L'Officier finit par s'arrêter d'un coup sec et je manque de m'écraser contre la porte blindée qui nous fait face. Bouledogue - décidément ce surnom lui allait comme un gant - toque bruyamment et attend un instant avant qu'une voix plus apaisée retentisse :
- Entrez !
Mon merveilleux garde du corps m'ouvre la porte et m'invite à pénétrer dans la pièce simplement décorée. J'avance de quelques pas et j'entends la porte se refermer derrière moi.
- Bonjour ma chère, sourit un homme d'une cinquantaine d'années.
Je ne sais pas vraiment quoi répondre à cela alors je me contente de l'analyser. Le dénommé président Logan est assis devant un grand bureau d'acajou dans un fauteuil de cuire blanc. Chaque objet à l'air d'avoir une place extrêmement précise et je ne vois pas un seul grain de poussière dans la pièce. Son expression est bien plus cordiale que celle de l'Officier. Son front est dégarni et ses cheveux blonds sont méchés de blanc. Ses yeux sont gris et un sourire accueillant tend ses lèvres.
- Assieds toi je t'en pris, continue-t-il en voyant que je ne bouge pas.
Je m'installe sur la chaise qui lui fait face et je tords nerveusement mes mains, ne sachant toujours pas quoi lui dire.
- Alors, alors, alors... chantonne-t-il. Tu as ton dossier ?
- Heu... oui.
Je me penche vers mon sac à dos et j'en sors une pochette marron qui contient tous mes papiers. Chaque citoyen en a un qui regroupe toute son identité. Le président Logan me le prend et le feuillette rapidement.
- Alors comme ça tu viens de l'Australie... remarque-t-il.
- Oui.
- C'est une des seules contrées à avoir résisté à la terrible guerre d'il y a 150 ans, récite l'homme.
- Effectivement. Je crois que notre société est très puissante. Assez en tout cas pour ne pas avoir été détruite par la rébellion.
- Et bien, je suis heureux pour les habitants de l'Océanie. Mais comme on a du te le dire, notre Gouvernement est comment dire... légèrement différent du tiens.
- C'est ce que j'ai cru comprendre mais je ne vois pas vraiment en quoi...
- Tu le sauras bientôt. En attendant, j'aimerais que tu boives ceci.
Il me tend une fiole contenant un liquide turquoise. Je le prend entre mes doigts et je l'observe, méfiante.
- Qu'est-ce que c'est ? demandais-je intriguée.
- Du poison.
- Je vous demande pardon ? déglutis-je.
Il me regarde un court moment puis, il éclate de rire et me rassure :
- C'était une blague voyons !
- Oh... bredouillais-je.
- Non, cette fiole contient seulement quelques vitamines qui permettent aux habitants d'être en très bonne santé. Ils en boivent tous les jours et par conséquent, notre taux de mortalité est le plus bas de toutes les contrées encore existantes.
- Qu'est-ce qu'il y a dedans ?
- Seulement quelques plantes et du jus de citron, répond-t-il. Cela te fera le plus grand bien ! Après ce voyage éprouvant... Au fait, toutes mes condoléances.
Oh ! Comme c'est surprenant... une banalité ! Je finis tout de même par porter le flacon à mes lèvres et à laisser le goût immonde de terre et de colorants m'emplir la bouche. Mon visage se tord de dégoût et le président se retient poliment de rire.
- Parfait, les effets seront optimales dans quelques minutes, me prévient-t-il. Tu vas te sentir un peu nauséeuse.
Caleb voulait que je vienne ici. Alors, même si je ne suis pas totalement rassurée, je m'efforce de faire confiance à cet homme.
Les paroles du président s'avéraient vraies. Une envie de vomir me prit ainsi qu'une atroce migraine. Je presse deux doigts sur mes tempes pour essayer d'apaiser le mal de tête.
- N'oublie pas d'en boire une fiole chaque matin, me rappelle l'homme en me fixant dans les yeux.
- Je ne me sens pas très bien... balbutiais-je.
- Au fil du temps, ton corps va s'habituer et ça ira mieux.
- Il y a autre chose ? demandais-je.
- Et bien, je suppose que tu as des questions mais nous aurons tout le temps de nous parler plus tard. Pour le moment, tu devrais aller te reposer. Juste une dernière petite chose...
Il pianota sur son ordinateur et imprima un seul et unique mot sur une feuille de papier. Il me la tend avec un sourire.
- Voici ton nouveau prénom. Une fois que tu l'auras appris, brûle le papier. C'est une des nombreuses règles de notre communauté : nous n'avons pas le droit de posséder des mots.
- Mais... Ce n'est pas mon vrai prénom, dis-je d'une voix faible.
- Bien sûr que si. Et tu seras bientôt de mon avis.
J'ai la tête qui tourne et j'ai une sensation très bizarre... Comme si on me volait quelque chose. Mais je ne sais pas quoi.
Un garde m'a accompagné jusqu'à mon nouveau chez moi. Je ne saurais même pas dire combien de temps nous avons marché ni comment nous y sommes allés. Mais nous y sommes.
Un grand manoir lugubre se dresse devant moi et cette demeure sombre me fait davantage penser à un arbre mort qu'à un internat d'adolescents.
- Voici l'internat Ravenword, annonce le garde.
Je perçois les sons comme si j'étais dans un tunnel. Ma vue se brouille et je ne vois plus que des formes aux contours flous. Le garde me tire à l'intérieur et pose ma valise dans l'entrée du manoir puis s'en va aussi vite qu'il est entré. Une jeune fille de mon âge arrive doucement près de moi et elle m'accueille :
- Tu dois être la nouvelle ! Je m'appelle Jenna Parks. Et toi ?
Etant incapable de voir clair, je tendis le papier à Jenna et pour la première fois, j'entendis mon nouveau prénom :
- Lara ! lit la jeune fille. C'est joli !
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Encooooooooooooore un nouveau livre... Pardonnez moi, je n'ai pas pu résister !
L'idée de ce livre m'est venu en rêve il y a quelque jours et quand je me suis réveillée je me suis sentie obligée d'en faire une histoire sur Wattpad.
J'espère que cette dystopie vous plaira, il faut dire que c'est la première fois que j'en écris une et je ne sais pas du tout ce que ça va donner...
J'ai hâte d'avoir vos avis !
Ce premier chapitre ne dévoile pas énormément de l'histoire alors attendez la suite avant de vous faire un avis concret ^^
N'hésitez pas à commenter ce que vous pensez ^^
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