4 - Décision
Plus tard dans la matinée et malgré le ventre creux, j'accompagnai mon père. Je vois que même si ma présence le gênait, il tenait à garder un oeil sur moi, où que j'aille. Ce n'est qu'une petite attention discrète, mais ça suffit pour me faire plaisir. Toutefois j'hésite encore à lui prendre la main, bien que j'en meurs d'envie.
Les dernières tombées de neige de Février recouvrent les rues bondées et les voitures roulent doucement pour éviter de glisser. Je marche sur le trottoir dégagé aux côtés de mon papa qui regardait toujours droit devant lui avec son fameux regard froid. Après un peu d'hésitation, autant que je la joue cash. Il n'y a jamais de bon moment pour en parler...
- Hum... Papa ?
- Quoi ?
- Est-ce que... Est-ce que tu vivais dans cette maison avec Maman...?
Son pas s'arrête brusquement, ce qui me glace le sang. Je savais que c'était délicat, mais j'ai besoin de parler avec mon père... J'ai besoin d'en parler.
J'ai envie d'en parler...
N'ayant aucune réponse je me décale d'un pas de mon côté pour m'éloigner de lui et baisse la tête. Je m'attends à ce qu'il me foudroie du regard ou me crie dessus pour parler de choses encore douloureuses à évoquer.
- Non.
Puis il reprend sa route sans me regarder. Malgré tout son poing est serré, je crois que je l'ai énervé. Je me dépêche de suivre son rythme avant d'entrer dans le konbini le plus proche, puis regarde mon père partir fouiller les rayons. Je n'ose pas le brusquer plus que ça, je n'ai pas encore pris tous mes repères et je ne connais pas ses réactions.
Mais il va bien falloir qu'on ait une vraie discussion ensemble. Je ne peux pas continuer à vivre avec lui si c'est pour rarement s'adresser la parole et s'éviter le plus possible. C'est mon père, pas un étranger bon sang !
Je sais qu'il a envie de me voir le moins possible, mais il ne pourra pas m'ignorer bien longtemps. Je me place alors devant ses jambes dès qu'il s'arrête pour prendre un article et regarde à mon tour ce qui pourrait m'intéresser. Je veux qu'il me regarde, parce que je suis là.
- Hum ?
Il abaisse le regard vers moi qui fais mine de ne pas faire attention. Je prends une boite de gâteaux que j'aime bien et fais semblant de lire la liste des ingrédients au dos. Il arque un sourcil et pivote vers l'autre côté du rayon. Je tique un peu avant de recommencer mon approche, gardant la boite dans mes bras. Je regarde les plats surgelés dans le frigo devant moi en espérant qu'il me parle enfin. Je n'attends que ça depuis mon arrivée...
- Je peux savoir ce que tu fais ? demande-t-il un peu froidement.
- Je veux bien ces gâteaux.
Il roule des yeux en soupirant et fourrant ses mains au fond de ses poches.
- Très bien. Alors va chercher un panier à l'entrée, tu prendras ce que tu veux. Mais pas trop de sucre ok ?
J'accours aussitôt vers les paniers de courses avec le sourire. Pour une fois qu'il me parle comme un vrai père ! Je reviens ensuite en chargeant un peu le panier de plats équilibrés, surtout pour lui, quand quelqu'un vient saluer mon père.
- Hey Dabi !
Un homme un peu plus grand que lui, métisse aux cheveux blancs et aux yeux de jade, que mon père semble très bien connaitre et avec qui il est très proche visiblement, puisque cette personne lui fait un accolade.
- Sen, soupire mon père.
- Bah alors, ça fait un bail Bro ! Limite je te croyais mort. Tu fais quoi de beau ?
- Bah je fais les courses ça se voit pas ?
- Depuis quand tu viens "perdre ton temps", comme tu dis si bien, dans un endroit vachement fréquenté ? Je croyais que t'aimais pas te mêler aux gens. Laisse moi deviner ! C'est pour une nana !
Mon père fronce les sourcils, déjà froissé par sa remarque. Sen a le regard très lumineux et les ébouriffe les cheveux.
- Ca y est ?? Tu sors de ta grotte et te sociabilises ??
- Pas vraiment non...
- Alors quoi ? Je la connais ? Depuis quand ? C'est pas une fille à problèmes au moins, rassure moi.
Il n'est pas au courant pour moi...? Pour ma mère ? Son regard descend vers moi et son sourire s'efface lentement. Mon père reste muet, l'air grave, alors que Sen semble enfin comprendre la situation. Je baisse la tête pour le saluer et passe devant pour terminer les courses. Sen me suit du regard en bégayant.
Vu son air abasourdi en me voyant, j'en déduis qu'il a connu ma mère...
- Oh... Alors c'est elle...
Papa reste silencieux et regarde ailleurs. Même ne serait-ce que dire que je suis fille, il n'arrive pas à le dire ouvertement... Sen devient tout à coup sérieux.
- Dabi. Qu'est-ce que tu as fais ?
- Rien.
- Dix ans putain... Et maintenant je te retrouve avec ta fille, mais pourquoi t'es aussi froid ?
- Je suis pas froid.
Mon père lui passe à côté, mais son ami le retient par le bras.
- Tu m'avais dis que tu l'avais rendu à--
- C'est ce que j'ai fais, coupe Papa sèchement. S'il y avait pas eu ce putain d'accident elle serait encore avec eux...
- Quel accident ?
Il lui raconte alors ce qu'il s'est passé dans les grandes lignes. Sen l'écoute sans l'interrompre en me regardant de temps en temps.
- Mais ça m'explique pas pourquoi tu es aussi froid, insiste-t-il.
- ...
- ... Parce qu'elle lui ressemble. C'est ça ? Ca fait dix ans Dabi.
- Je sais.
- Non tu sais pas. Du moins tu t'en rends pas compte. Je vois bien que tu digères toujours pas mais ce qu'il s'est passé n'est pas de sa faute.
- J'ai encore rien dis...
- Parce que ça se lit sur ton visage. Depuis que Riku n'est plus là tu te laisses aller--
- Tu veux vraiment taper un scandale ici ? coupe Papa en le foudroyant du regard.
- Je veux pas me battre avec toi mais tu peux te confier à moi. C'est deux choses différentes.
- Et moi je veux que tu me foutes la paix. Je gère la situation si ça peut te rassurer.
Puis il me rejoint en bousculant l'épaule de Sen qui n'est pas convaincu de ses paroles. Quelque chose me dit que je vais bientôt le revoir...
***
Je termine seule mon repas bien chaud alors que mon père s'est isolé dans sa chambre pour passer un coup de fil.
- Hmhm. Dix ans. En bonne santé. Non scolarisée.
- Très bien. Avez vous obtenu l'accord de sa mère ?
...
- Elle est morte.
- Oh... Je vois. Pourquoi vouloir lui trouver un nouveau foyer au juste ?
- Bon vous voulez un dessin peut être ? J'exige engager la procédure maintenant, pas dans six mois.
- C'est que... Comprenez Monsieur que je dois avoir toutes les informations sur la vie de l'enfant afin de faire les recherches qui correspondront le mieux pour elle.
Mon père souffle en se pinçant l'arête du nez, accoudé sur ses genoux.
- Sa vie actuelle n'est pas adaptée pour une gosse de son âge et je suis loin d'être la personne la mieux disposée à s'en occuper. J'ai rien pour elle, ça vous va ?
- Très bien. Je vous ferai part de l'avancement par mail, votre avis sera très important pour la suite.
En réalité, c'est aussi parce que mon père voulait rester seul dans cette maison. Les souvenirs que je nourrissais rien qu'avec ma présence le hantaient jusque dans son sommeil. Une hantise visiblement devenue insupportable. Je demande encore si ce jour là, il n'a pas plutôt voulu m'éloigner de lui pour me protéger de lui même... Mais cela n'excuse rien.
Il a osé faire une demande d'adoption sans m'en parler...
***
Un soir j'ai fais un cauchemar et mon lit grinçait horriblement. Je me tourne et retourne dans mes draps sans pouvoir trouver le sommeil, le silence pesant, presque angoissant, me donnait des frissons. Voilà bientôt une semaine que je suis arrivée ici et c'est la première nuit blanche que je fais.
D'habitude, Maggy venait veiller près de moi jusqu'à ce que je m'endorme et laissait ma lampe allumée pour la nuit. Je peux toujours attendre que mon père vienne me rassurer...
J'ai sommeil, mais je ne me sens pas bien dans cette chambre. Mes grand parents me laissaient parfois dormir avec eux quand j'avais trop peur. Surtout en temps d'orage.
La pluie claque sur les fenêtres, tout est réuni pour faire un film d'horreur ici...
Je bondis alors de mon lit et me dirige vers la chambre de mon père qui dort à poings fermés. Je m'avance à pas de loup sans risquer de le réveiller avant de me glisser dans son dos et m'y blottir.
La chaleur de mon père m'apaise tout de suite.
Je voulais juste un câlin... Moi aussi j'ai mal, Papa... Mais s'il te plait regarde moi. Parle moi. Je veux connaitre Maman. Moi aussi je suis triste et je veux en parler. Maman me manque. J'ai plus personne Papa, à part toi.
Alors s'il te plait regarde moi...
Je veux juste un câlin...
Juste un...
Un seul...
Ma gorge se noue mais je ravale mes larmes en me blottissant davantage contre mon père qui ne bougeait pas. Je n'ai pas le droit de pleurer comme ça. Pas là...
Je veux pas pleurer toute seule.
À la place, le sommeil prend le dessus et j'arrive enfin à m'endormir. Sauf que mon père ne dormait pas. Il ne trouvait pas le sommeil à cause de ma mère, encore et toujours. Il n'est jamais arrivé à faire le deuil. Il se retourne discrètement pour me regarder et décale une mèche de mon visage. Mais sa main quitte très vite mon contact, comme s'il ne se donnait pas le droit de m'approcher.
- Désolé Ritsu... Ta place n'est pas avec moi.
À suivre...
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