3 - Approches difficiles
Depuis la gare, mon père ne m'a pas adressé un seul regard ni un seul mot. Son aura était froide et distante, je l'ai bien senti que ma présence le dérangeait. À cet instant, je savais déjà que c'était en rapport avec ma mère, mais je pensais plutôt que c'est à cause d'un conflit familial. J'ai entendu tout le monde parler de mon père comme d'un assassin, un criminel sorti de prison... Mais rien de positif.
Pourtant... Quand je le regarde, je l'aime déjà. C'est mon père, ma seule famille, et il est tout de même venu me chercher bien que je ne sois pas la bienvenue dans sa vie.
Je le suis donc sur le trajet de sa maison, hésitant à engager ne serait-ce qu'une petite conversation. Son allure est imposante et très masculine, de quoi attirer le regard de quelques femmes aux alentours. Mais elles regardaient tantôt avec fascination, tantôt avec dégoût, ses brûlures qui couvraient son visage. Pour ma part, elles ne me choquent pas. Au moins je peux le reconnaitre ainsi.
Mon regard s'attarde plutôt sur sa main pendante au bout de son bras. Il a de grandes mains et des doigts fins. Je mourais d'envie de la lui prendre fébrilement, afin de savoir quelle chaleur elle avait, ne serait-ce qu'une petite approche affective, c'était ce dont j'avais besoin en ce moment après le décès de mes grand parents dont j'ai appris la nouvelle si brutalement. Mais je me ravise en baissant la tête. Il n'acceptera aucun contact venant de moi.
- Ne t'attends pas à un palace, coupe-t-il soudainement le silence d'un ton sec.
Je me contente seulement de hocher la tête en suivant son pas assez lent. Est-ce qu'il ralentit de sorte à être à la même vitesse que moi pour me permettre de mieux le suivre ? Un gros chien charge brutalement sur un grillage en nous aboyant dessus, sentant sans doute mon odeur féline. D'instinct, je me recule du barbelai en me cachant derrière la jambe de mon père qui s'arrête pour me regarder. Je m'étais accrochée à son jean et blottis ma tête contre sa cuisse, terrifiée.
- T'as peur des chiens ?
- ... Seulement des chiens méchants...
Il lève ensuite les yeux vers le chien qui continue de grogner en bavant comme une bête sauvage affamée.
- Il est attaché, tu crains rien, dit-il simplement en reprenant sa route. Tu m'empêches de marcher.
Je me rends compte alors que je tenais toujours sa jambe et la lâche en baissant la tête. Je pensais qu'il allait enfin me montrer un signe de protection... Mais rien.
Il m'en voulait tant que ça...
On arrive à l'appartement au bout de quelques minutes, situé dans un quartier plutôt calme et les voisins ont l'air accueillants. Et bien sûr l'appartement de mon père faisait tâche dans ce décor si bien entretenu. La vieille voisine sort de son domicile au moment où mon père prend ses clés. Quand elle me trouve dans son champ de vision, son visage semble s'illuminer.
- Bonjour jeune homme ! salut-elle. Cela fait une éternité que vous n'étiez plus sorti de votre grotte.
Mon père arque un sourcil.
- Vous abusez un peu, ça fait seulement une semaine Baba.
- Soit, soit. Mais dites moi qui est cette petit merveille ?
Attendrie, elle me sourit et sur le moment, j'ai l'impression de voir ma grand mère. Je lui rend son sourire poliment.
- Je suis son responsable légal.
- Oh ! Alors c'est votre--
- Rentre Ritsu.
J'obéis hâtivement quand mon père vient de déverrouiller la porte d'entrée avec une pointe d'agacement et d'empressement. Je crois que la vieille dame lui a fait perdre patience, puisqu'il reste encore dehors pour mettre les choses au clair, me laissant découvrir son "univers".
- Ecoutez Baba, c'est compliqué en ce moment, reprend-t-il froidement. Et j'ai pas envie de m'énerver contre qui que ce soit, alors si vous pouviez vous mêler de ce qui vous regarde ça arrangerait tout le monde.
- Oh... Je vois... Mais si vous avez besoin d'aide pour la petite, vous pouvez--
- J'ai pas besoin d'aide.
Je scrute l'intérieur sans prêter attention à l'agitation sur le paillasson et l'atmosphère de cette maison me donne déjà froid dans le dos. Moi qui déteste les films d'horreur, voilà je vais vivre dans ce chantier. Quoique, je vois mal mon père passer le balai.
Je me demande comment était sa vie avec Maman...
Mon père ferme la porte en soupirant et ôte sa veste en allumant la télé. Je n'ose pas entrer davantage, de peur de peut être casser le plancher vu son état lamentable. Je regarde alors mon père fouiller dans le frigo et ouvrir une canette de soda.
- Tu comptes rester sur le palier ? demande-t-il, toujours de dos.
Je sursaute sans oser répondre. Puis j'enlève mes chaussures en les laissant près de l'entrée, avant de m'avancer vers la cuisine. Même si cet appartement est miteux, l'espace est plutôt grand. Les meubles et les murs ont juste besoin d'un coup de peinture et les fenêtres d'un peu de rideaux pour embellir l'endroit. Au delà de ça, tout est fonctionnel.
- Ta chambre est à l'étage, rappelle mon père en me contournant. Porte blanche.
Décidément, j'ai du mal à lui parler. J'ai l'impression d'empirer les choses à chaque mot que je prononce. C'est vrai, j'ai l'impression d'être une étrangère pour lui... Ce qui n'est pas complètement une illusion.
Je le suis donc à l'étage où trois portes s'offrent à moi. La première à ma droite est celle de la salle de bain, la seule porte à gauche est la chambre de mon père, et la troisième... c'est la mienne. Une chambre inoccupée et étonnamment grande contrairement à celle de mon père, seulement équipée d'une penderie simple et d'un sommier. Avant de me rend compte que je n'ai pas de matelas, mon regard s'attarde sur la commode placée entre ma chambre et la salle de bain. Un petit cadre est couché dans la poussière, sur le côté de la photo.
Je ne devrais peut être pas y toucher, mais mon envie de connaitre mon père prend toujours le dessus. Fébrilement, je retourne le cadre et mon coeur bondit en voyant une photo de ma mère. Elle était encore enceinte ce jour là.
Elle prenait une photo avec mon père qui souriait. Il frimait sur cette image, mais je voyais à quel point il était content. Tous les deux souriaient à l'objectif. Il avait les cheveux noirs à cet époque. Mais alors ce bébé... C'était moi ? J'ai longtemps pensé que mes parents ne voulaient pas de moi, mais cette photo me montre le contraire.
Je caresse le visage de ma mère, le coeur serré. J'aurais voulu la connaitre... Et je me doute que le moment est mal choisi pour poser des questions à mon père.
- Tu peux la prendre si tu veux, intervient-t-il en se séchant les cheveux.
- Hum ?
- Elle prend la poussière ici.
En réalité c'est parce qu'il n'avait plus le coeur à la contempler. Il redescend sans un mot de plus, me laissant seule avec ce cadre que je serre contre ma poitrine. Il se fait passer pour un homme sans sentiments, mais la souffrance que je ressens près de lui est bien réelle.
Et contre toute attente... Je ne lui en veux pas de me détester...
Ma présence ne fait que remuer le couteau dans la plaie déjà profonde en lui rappelant sa femme qu'il a perdu si brutalement. J'ai hâte de grandir au plus vite et m'en aller, peut être qu'il se sentira mieux le jour où il n'aura plus à me voir tous les matins.
Je m'isole dans ma chambre et m'assois sur le grand tapis, près de mon sac, en regardant longuement le visage radieux de ma mère. Puis je serre de nouveau le cadre usé par le temps contre mon coeur et m'allonge en repliant mes jambes contre ma poitrine, afin de me former un cocon. Même si je suis triste, je n'arrive pas à pleurer. Grand Mère m'a toujours dit qu'il n'y avait que deux endroit dans lesquels j'avais le droit de pleurer. Le reste du temps, je devais rester forte.
Je me sens surtout triste pour Papa. Je suis sûre qu'il aurait préféré voir ma mère revenir à ma place. Il aurait été peut être plus heureux...
***
Je me réveille affamée. J'ai dormi sur le tapis sans m'en rendre compte, et j'ai oublié de demander un matelas à mon père. D'ailleurs, je vois qu'il dort encore à cette heure. La journée d'hier était si éprouvante pour lui ?
Quoique, pour moi aussi...
Je sors de ma chambre en me frottant les yeux et passe discrètement devant le chambre de mon père que je regarde dormir dans des draps froissés comme s'il n'avait jamais fait son lit. C'est la première fois que je le vois aussi paisible.
J'ai envie de me blottir dans ses bras...
Lui dire bonjour...
Avoir un câlin...
Un tout petit câlin...
Je ferme à la place sa porte en douceur et descends à la cuisine pour aller chercher de quoi manger. Evidemment, les fruits ne font pas partie de sa liste de courses. J'ai l'habitude de boire un jus d'orange pressée le matin. Je vais devoir m'en passer aujourd'hui...
Par pitié, faites qu'il ait au moins--
IL N'A PAS NON PLUS DE CEREALES ?!!
...
Je vais mourir de faim.
Je fouille alors dans le frigo, dépitée. Du soda, des plats surgelés et déjà tout préparés, une dernière part de pizza de la veille... Sur le comptoir, heureusement il y a de l'eau en bouteille et du pain.
Enfin du pain de la veille...
Bon... Je vais me contenter du pain et de l'eau. Ce n'est que le premier jour après tout, je peux comprendre qu'il n'ait pas eu le temps de faire les courses, ça dépend aussi de son budget.
Je m'approche de la porte d'entrée et remarque un tas de courrier sur le paillasson. Il y a beaucoup de formulaires me concernant, afin d'officialiser comme quoi mon père est bel et bien mon tuteur légal. Il a juste à signer et renvoyer. L'enveloppe contenant l'argent du mois est aussi arrivée. C'est une grosse somme pour deux personnes, mais c'est uniquement pour les besoins primaires et les soins.
Mais je suis presque sûre que mon père ne travaille pas... Je vois à quel point sa situation est difficile, je me doute de la taille de son casier judiciaire. Et en plus lui demander à s'occuper de moi, ça n'arrange rien.
Je soupire et pose l'argent sur le comptoir avant de me préparer un "déjeuner". La pain m'a même coupé l'appétit.
Au même moment, mon père se réveille avec des petits yeux, puis se lève en espérant s'être réveillé de ce mauvais rêve. Il reste assis de longues minutes sur le rebord de son lit, la tête en avant. Il appréhendait beaucoup cette journée, comme toutes les autres. Comme chaque matin depuis dix ans, il se réveillait en affrontant une rafale de souvenirs douloureux dans son esprit. Avec le temps, il n'en faisait plus cas puisque son coeur était déjà en miettes et scellé à vie. Il tourne ensuite la tête vers son oreiller, comme dans l'espoir de retrouver ma mère en train de dormir à ses côtés après une nuit d'amour agitée.
Même si elle n'était plus là, il pouvait sentir encore sa présence.
L'espace d'un centième de seconde, il revoyait sa silhouette nue lovée dans ses draps chauds, la voir ouvrir les yeux paisiblement et lui sourire amoureusement. Il pouvait encore entendre sa voix lui murmurer :
- Ca va aller, tu verras...
Mon père secoue la tête pour revenir à la réalité, la gorge nouée, puis se rue vers la salle de bain pour se rincer le visage et tenter de se réveiller pour de bon. Les illusions de ma mère le rendaient presque fou. Il avait envie de tout brûler, y compris lui même pour ne penser qu'à une douleur physique et rien d'autre. Le sang coulait de ses sutures et les gouttes rougissaient l'eau du lavabo.
Il devait à tout prix trouver une solution pour mettre fin à cet engrenage incessant, à commencer par moi...
Après s'être calmé, il descend sans appétit en enfilant un tee-shirt gris, puis se tourne en ayant la surprise de me voir déjà debout. Je n'ai pas osé allumer la télé, au risque de le réveiller et le mettre de mauvaise humeur, alors je suis restée dans le silence à avaler mon horrible déjeuner, sans oser non plus lever les yeux vers mon père.
- Ca fait longtemps que t'es levée ? demande-t-il d'une voix monotone.
Je hausse les épaules. Il prend le bout de pain déjà sec que j'ai coupé.
- T'as mangé que ça ?
- Il... n'y avait rien d'autre...
C'est la première fois que je le voyais mal à l'aise. Il soupire en passant sa main dans ses cheveux blanchis et fouille dans le frigo.
- On ira faire les courses tout à l'heure. Quand l'argent--
- Il y est déjà...
Il se retourne en arquant un sourcil avant de suivre la direction que je pointe avec mon doigt. Il regarde l'enveloppe et l'ouvre en comptant les billets. Je le vois froncer les sourcils.
- Hm... 129,000 Yens** c'est pas énorme...
**L'équivalent de 1 000€
- Vraiment ?
- Pour le prix des courses ça va être juste, mais ça suffit pour le mois.
- Oh... Je n'ai pas grand chose à--
- Te prive pas tu veux. Cet argent c'est uniquement pour toi, alors ça va.
Ce qu'il vient de dire est censé me rassurer ? Pourtant son ton est trop sec pour savoir s'il soucie vraiment de moi ou s'il fait juste les choses par dépit. J'ai encore du mal à réaliser que je dois vivre avec mon père, je suis plutôt contente, mais...
C'est à sens unique visiblement...
À suivre...
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