deux
Le couronnement d'Elizabeth se déroulerait à bord du Black Pearl. L'équipage en avait émis l'idée lorsque les seigneurs des pirates s'étaient réunis à la Ville des Naufragés après la bataille du maelstrom pour débattre des futures décisions concernant la Compagnie des Indes. Barbossa avait alors regardé Jack qui, lui, n'avait d'yeux que pour Elizabeth. Elle lui avait souri, il lui avait souri en retour. Les deux capitaines du Pearl s'étaient entendus pour la première fois de leurs vies et avaient accepté.
Ce matin, le navire était donc le seul ancré dans la Baie des Naufragés et plus aucune âme n'était à son bord. Des milliers de pirates venus du monde entier attendaient alors, assis ou debout dans des centaines de chaloupes réparties dans la baie. D'autres comblaient les balcons et les fenêtres des épaves entassées qui fondaient la ville des Naufragés, certains couvraient les falaises. Des milliers de pirates et il n'y avait aucun bruit, seulement le soleil qui se levait. Les pirates d'habitude si criards ne parlaient plus.
Jack se tenait sur le ponton, au bout duquel une chaloupe flottait et où Pintel et Ragetti étaient assis. Comme les autres, ils attendaient qu'Elizabeth sorte de la citadelle.
Devant un miroir, éclairée par le soleil d'un jour nouveau, Elizabeth ajustait sa tenue de cérémonie. Pas de robe aujourd'hui. Mais une chemise et un pantalon noirs, couverts d'une armure de cuir blanc. Pas de dentelle. Mais des broderies d'or plus ensorcelantes que les yeux d'une sirène. Pas de perles. Mais des bijoux dorés qui maintenaient ses tresses enroulées à l'arrière de son crâne. Elizabeth ne put s'empêcher de sourire lorsqu'elle raya d'une épaisse ligne de khôl son visage, passant sur ses paupières et l'arrête de son nez. Ses yeux brillants n'en devinrent que plus éclatants.
« J'ai toujours rêvé de faire ça, rit-elle doucement en se tournant vers Barbossa.
Il s'approcha d'elle avec la ceinture noire qu'elle avait portée quelques jours plus tôt pour la bataille et l'enroula autour de sa taille.
− Vous pouvez faire tout ce dont vous rêvez, désormais. »
Il noua fermement les sangles de la large ceinture dans le dos de la jeune femme. Elle songea au jour où tout avait commencé. A son père qui lui avait offert une magnifique robe tout droit arrivée de Londres et aux servantes qui avaient serré les lacets du corset au point qu'elle en avait perdu connaissance. Elle se souvint aussi de Will qui l'avait trouvée ravissante... et de Jack qui la lui avait arrachée. Ce jour-là, elle avait appris à respirer. Aujourd'hui, c'était Barbossa qui lui offrait une robe et c'était lui qui l'aidait à l'enfiler. Aujourd'hui, elle ne laisserait rien l'étouffer.
Quand il eut fini, Elizabeth se tourna de nouveau vers lui. Jaack (ndla : le singe de Barbossa) apparut de nulle part en riant presque, serrant dans ses petites mains une couronne, large et faite de tiges d'or entremêlées. Barbossa la lui prit en le remerciant puis vint la déposer dans les cheveux d'Elizabeth. Les deux pirates se regardèrent longtemps, sans un mot.
« Merci, souffla Elizabeth, ses grands yeux brillants d'émotion.
− Votre Majesté. »
Arborant un sourire aimable, Barbossa tendit le bras en baissant légèrement la tête, l'invitant à s'avancer vers la porte. Elle sourit en faisant claquer ses bottes noires sur le sol. Et elle sortit.
La tête haute, sans aucune arme sur elle, Elizabeth rejoignit Jack, suivie de près par Barbossa, et des tambours s'élevèrent alors faisant vibrer l'air au rythme de ses pas. Elle était seule, parmi des milliers. Elle était le nouveau roi des pirates, et tous étaient à ses ordres. L'idée, si effrayante, la submergea presque mais elle croisa le regard émerveillé et brûlant de Jack, et tout parut alors avoir son sens. C'était lui, depuis le premier jour, le pirate qui avait habité ses livres d'histoire et ses rêves. Et il était son héros tout autant qu'elle était le sien.
« Mon Roi, murmura-t-il en lui tendant sa main pour l'aider à monter dans la chaloupe.
− Seigneur Sparrow, souffla-t-elle en retour, glissant sa main dans la sienne. »
Elle monta dans l'embarcation, debout à l'avant, tandis que Jack et Barbossa s'installèrent derrière Pintel et Ragetti qui commencèrent à pagayer. S'en suivit une lente avancée sur l'eau, jusqu'au Pearl, au milieu des autres barques sur lesquelles chaque homme et chaque femme ôtait son chapeau et inclinait la tête. Plus Elizabeth atteignait le Pearl, plus les tambours et le refrain de la chanson des pirates résonnaient fort dans la baie.
Elizabeth observa son empire. Une nouvelle ère commençait pour le monde.
Une fois devant le Pearl, elle ne se tourna pas pour chercher le regard de Jack, ni celui de Barbossa. Ses mains s'accrochèrent à l'escalier vertical et elle se hissa à bord du navire qui avait hanté ses nuits. Elle marcha d'un pas déterminé jusqu'à la proue et quand elle l'atteignit, des milliers de voix hurlèrent son nom puis clamèrent le mot roi durant de longues minutes.
Jack voulut hurler ce nom et ce mot mais il en fut incapable. Sur la proue, ce n'était pas Elizabeth qui se tenait là, mais le jeune homme aux yeux verts. Ce n'était plus le khôl qui couvrait ses mains comme dans son souvenir mais du sang, rouge comme l'enfer. Il pleurait des larmes noires de cauchemars, ses yeux immenses suppliaient Jack de le sortir de son agonie, et ses lèvres et ses mâchoires s'animaient avec une terreur telle que Jack eut peur qu'il ne se déchire. Mais aucun son n'en sortait. Et il pleurait, le sang couvrait son corps comme la caresse d'un monstre lent et surpuissant. Bientôt, ses boucles brunes transpirèrent de sang et d'ombre, léchant à sa peau. Ses os se brisaient, leurs craquements étaient aussi forts que les percussions des tambours à travers la crique qui les entouraient. Une main, propre et à la peau claire, sans corps, se glissa presque tendrement pour couvrir la bouche de celui qui souffrait. Son être passa par-dessus bord et tomba comme une poupée dans la mer.
Jack hurla, oui - un nom qui n'était pas celui d'Elizabeth.
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