Méphistophélès

Au temps ou l'on redoutait l'invisible et que les âmes cherchaient le repentis dans l'épaisseur d'une Bible ou entre les lèvres à peine ouvertes d'un prêtre lors de la messe, un homme avait mis de côté, sans pour autant l'abandonner, ce premier livre noir au profit d'un autre, qui portait dans la lourdeur de ses pages quelques promesses de mort. Non pas que le livre ait une volonté propre, que celui-ci se serait soulevé contre son passionné lecteur, mais le tenir a visu aurait fait de Faust la victime d'une Eglise arbitraire.

Faust se cachait de la surveillance permanente de ceux qui pensaient manger leur Dieu, et conservait jalousement le manuscrit qu'il craignait voir partir en miette. Le précieux document recevait toutes les grâces de la part de Faust. Il accaparait son attention, son intelligence, sa réflexion – enfin, toutes ces petites choses qui composaient sa vie. Il y avait ces fois, alors que la nature humaine de Faust revenait lui chatouiller l'esprit, où il se mettait à parler au livre, attendant une réponse de sa part, croyant peut-être s'adresser à une personne faite de chair et d'os.

Etrangement, les discutions se faisaient de plus en plus courantes, le livre adoptant une voix grave et profonde dont Faust doutait de l'existence sans pour autant la renier. Faust était tombé sur cet ouvrage plein de ténèbres lors d'un voyage qui avait pour but l'observation des étoiles : la lunette de l'astronomie s'était éclipsée pour celle de l'astrologie – la différence reposait sur ce qui suit : l'un est enseigné par les savants, l'autre par des esprits plus espiègles.

Faust avait volé le livre, dans une pulsion qu'il n'avait pas imaginé pouvoir retenir, cet appel soudain du mouvement de son bras n'avait semblé être remarqué par personne. Le comité de savant avait ce livre en leur possession depuis longtemps, caché aux yeux des mortels du peuple, confié par l'Eglise, afin de prévenir des maux et du Mal. Un livre fermé, enchainé, dont on ne craignait que la couverture sans pouvoir être encore plus effrayé par son contenu.

Obnubilé par cette chaine qui entourait étroitement le livre, Faust, à l'insu de ses pairs, avait pris le risque de répondre à l'invitation silencieuse de cette bible impie : il la vola, la dissimula sans que les aspirants de cette peur sourde ne s'en rendent compte ; Faust eut même l'impression que la disparition inaperçue du livre avait apaisé le reste des hommes présents. Et portant ses nouvelles chaines, Faust se retrouva chez lui, s'empressant de libérer les pages inédites du manuscrit si bien conservé pour ne pas être lu.

L'avidité de Faust pour cette science interdite s'accrue considérablement, prenant des proportions que lui-même n'arrivait pas à gérer. Il ressentait cette morsure subite, qui surprend le passionné pour le nouveau sujet de ses occupations, pour cette interminable fascination de la nouveauté qui réside dans l'inconnu.

Le monde des morts, de la magie, celui du destin : les mystères de l'univers étaient là, réunis et enchainés ! Perdu dans le silence par la tyrannie de la bienfaisance, par l'impartialité de la morale, par l'absolue suffisance d'une Voix.

Eloigné de tout, fuyant les questions de peur que quelqu'un ne découvre l'existence du livre, Faust avait déserté l'église de la ville, ne parlait plus avec le prêtre ; pis encore, Faust avait abandonné tout le romantisme qu'il avait construit avec la jeune Rose. Car voici depuis quelle passion Faust s'était laissé tomber, celle qu'il nourrissait pour une femme, que tous les hommes connaissent un jour, le seul envoûtement toléré par les détenteurs du « sacré ». Faust avait oublié le visage de celle qu'il avait eu pour habitude d'appeler « sa bien-aimée », et Rose désespéra de le revoir un jour revenir à l'église pour la choyer de ses regards insistants, certaine que la science que possédait Faust avait fini par le dévorer, comme le prêtre l'avait déjà prédit dans ses messes basses.

Mais le prêtre brulait ironiquement d'une envie de savoir lui aussi, peut-être moins honorable que celle que possédait naturellement Faust.

A la fin de la messe du dimanche, tous remerciant leur Père pour ses prières, le prêtre rattrapa la jeune femme, merveilleux bourgeon naissant de la beauté et de la pudeur, elle fuyait, comme à son habitude, la foule observatrice.

- Rose ! apostropha le prêtre, attendez, mon enfant !

Ces yeux, abrités du mal, se tournèrent alors en sa direction, accompagnés de ces cils qui battaient tendrement la vertu.

- Faisons quelques pas ensemble, je dois m'entretenir avec vous... N'ayez crainte, il ne s'agit pas de votre exemplarité ! ajouta-t-il en voyant le doute s'inscrire sur ces doux traits.

Elle sourit alors, rassurée, et ils entamèrent les premiers pas.

- J'ai entendu parler de Faust, ces derniers jours : personne ne l'a vu depuis un temps indéterminé.

A l'entente de ce prénom, la jeune Rose fut comme prise au dépourvu, presque gênée.

- Je sais ce qu'il éprouvait pour vous : un amour certain, n'est-ce pas ? respectueux, il est vrai, mais des sentiments qu'il ne taisait pas.

- Oh, commença alors Rose, je ne sais quoi vous répondre, c'est...

- Encore une fois, n'ayez crainte, cela n'est pas contre vous. Mais Faust ne répond à personne, et je me disais que vous envoyer chez lui serait peut-être une solution pour le faire sortir de là ! Qu'en dites-vous ?

Confuse, Rose ne sut quoi répondre.

- Mes parents seront surement réticents à ce que j'aille chez Faust, et, seule, en plus...

- Même si cela est pour une bonne œuvre et qu'elle vous est demandée par votre prêtre ? tenta-t-il avec un espèce de sourire malin et sympathique.

La jeune femme rosit légèrement, et religieuse comme elle l'était, se retrouva dans l'embarra de devoir dire « non » au prêtre.

- Allez, faites ce que vous pouvez, mais il faut que Faust revienne : voyez, il ne se montre même plus à l'Eglise ! Je crains, vous savez, continua-t-il sur le ton de la confidence, qu'il ne soit pris par quelques esprits malins qui le fassent s'éloigner de notre Maison.

Rose s'offusqua silencieusement, et soudainement inquiète pour son courtisant, elle en vint rapidement à acquiescer aux évidences du prêtre.

- Enfin ! coupa-t-il alors qu'ils arrivaient non loin de chez elle, je vous laisse le sort de ce pauvre Faust. Je suis là pour toute question, et surtout... n'hésitez pas à venir me voir pour me dire ce qu'il se passe la dedans !

C'est sur cet élan familier que le prêtre s'en alla, laissant Rose à son bouleversement interne. C'est sans rien dire à ses proches que la jeune fille fut contrainte d'obéir à ce bon Père, à qui, par-dessus Faust lui-même, les richesses de ce dernier manquaient incontestablement aux caisses de l'Eglise.

Et lorsqu'elle se présenta à la porte de Faust, criant son nom, appelant à la fois l'homme et le scientifique, elle ne reçut aucune réponse. Faust ignorait cette apparition qui n'était autre qu'un signe : Rose était la première menace d'une longue lignée ; quelqu'un avait dû se douter qu'il avait pris le livre... Mais Faust avait prévu cet instant, et observant silencieusement Rose qui semblait insister, tous les savoirs du monde rassemblés dans la paume d'une main, pendant à moitié dans le vide, l'épais ouvrage se tenait prêt à être ouvert par son propriétaire.

C'était ainsi : il possédait Faust, tant et si bien que lorsqu'il se réveillait, il ne savait plus s'il avait rêvé de lui ou s'il l'avait vraiment lu entre les yeux de la nuit, coincé dans un creux de temps. Rose avait été effacée de l'espace et de la temporalité, morceau de poussière jeté dans le vide de l'univers. Il était temps pour le savant de ne plus apprendre et connaître le savoir, mais de le posséder à son tour. C'est lorsque Rose partit, que Faust se précipita dans la salle principale de sa petite maison et qu'il dressa au milieu de la table les différents objets qui lui serviraient alors : un bec de corbeau, une tête de chèvre fraichement coupée de la veille, des pieds de porcs bouillis dans de l'eau, et du sang, celui de n'importe quel animal du choix du sacrificateur.

Faust clarifia sa voix, chassa de sa gorge tout balbutiement possible, et ouvrit le livre à la page sélectionnée au préalable :

« Ita rursus ostendit tuum, et criminalibus non est nec mentiti sunt mihi, et ego servus tuus et magister vester erit. »

Un silence suivit cette incantation, qu'il avait traduite presque à la perfection. Il s'attendait peut-être à l'avènement d'un temps nouveau, à un tremblement de terre, à la chute du ciel... Mais rien ne se passa, la maison ne s'effondra pas, Faust possédait toujours ses membres, et son âme ne lui fut pas arrachée dans une éternelle douleur.

Il y eut pourtant quelque chose, une chose simple et douce. La voix d'une femme, qui ressembla d'abord à un murmure timide. Faust se dirigea immédiatement vers la fenêtre, croyant que Rose était revenue.

- Faust, dit le souffle venteux de cette voix méconnaissable.

- Qui est là ? demanda-t-il en tournant sur lui-même.

- Viens, viens, c'est ton esclave, celui des hommes, le tien aujourd'hui, susurra-t-elle en toute réponse.

Faust ne sut quoi répondre, et il se mit alors à chercher frénétiquement dans chacune des pièces, en vain. Il se dirigea ensuite à l'étage, et en arrivant face au miroir de sa chambre, il eut un instant ou il ne remarqua rien ; puis son cœur bondit dans sa poitrine, se rapprochant dangereusement de sa trachée pour tomber de sa bouche.

Ce n'était pas son reflet que projetait le miroir, mais celui d'une femme, ou d'un homme, il n'arrivait pas à faire la différence ; la peau grisonnante et épaisse, le regard fixe, le visage parfait et symétrique, ses cheveux lui tombant langoureusement sur les épaules, d'épaisses cornes dressées au dessus de son front ; voilà l'image que renvoyait le miroir, faisant douter le savant de son propre reflet. Faust fit plusieurs pas en arrière, et se prenant dans ses propres chevilles, il tomba sur le sol.

La créature qui habitait maintenant le miroir se mit à rire dans un son léger, comme si cet éclat avait roulé sur de la soie de chine.

- N'aie crainte, Faust, dit l'Être avec un certain cynisme. J'ai répondu à ton appel.

- Qui es-tu ? questionna-t-il.

- Je suis Méphistophélès, et je suis venu sur ta demande, terrestre créature.

Le démon adressa un étrange sourire à Faust, et, celui-ci, prit dans un étrange ressenti se releva pour faire face à l'androgyne du miroir.

- Je suis venu, maintenant que tu as tout perdu ; même cette femme que ton cœur prisait. Que désires-tu, maintenant que tu n'as plus rien ?

Faust, après s'être doucement redressé, s'approcha du miroir en dévisageant son habitant.

- Je veux tout, répondit Faust. Montre-moi ton vrai visage, ordonna-t-il.

- Mon visage ne sera que le représentant de tes désirs, Faust. Je peux me présenter de la façon que tu souhaites.

Et le reflet prit l'apparence de Rose, si bien représentée que Faust sursauta tout de suite et se retourna pour s'assurer qu'elle ne soit pas dans son dos.

Le docteur s'approcha du miroir, curieux de voir si la chair de cette illusion serait celle de la jeune femme. Il eut l'impression qu'avec son propre reflet, Rose s'avançait vers lui, pour venir à sa rencontre, le regard changé et l'allure plus assurée, et l'expression de cet étrange désir sur le visage. Elle lui tendit une main, bien réelle, bien tangible, celle que Faust s'apprêtait à attraper, avant que la beauté qui était dans le miroir redevienne une parfaite incongruité. Faust eut un léger mouvement de recul, sortit de son hypnose par un retour brutal à la réalité.

- Je serai tout, reprit Méphistophélès dans son image avec une voix qui se trouvait entre la sienne et celle de Rose, seulement lorsque nous aurons notre accord.

Faust reprit une distance suffisante qui lui servirait à se concentrer plus dignement.

- Que réclames-tu, alors ?

- Crains-tu la mort ?

Faust eut ce moment de latence, cette réflexion qui accapara tout l'esprit et l'espace, la question de Méphistophélès s'étendant dans le temps, Faust craignant un piège de sa part.

- Il n'est ni prêtre, ni homme de loi pour brider tes paroles en cet instant.

- Je ne sais que penser de la mort.

- J'exige ton âme, après que tu aies eu toutes les satisfactions de ce monde. Tu auras le savoir, la richesse, les autres t'adorerons, tu feras des découvertes incroyables et tu seras reconnu pour cela. Tes richesses feront s'engraisser l'Eglise, et tu seras couvert de tout par tes dons extraordinaires. Tu auras toutes les chairs que tu désires. Tu seras l'homme le plus puissant d'Allemagne, et tu auras avec toi toutes les réussites possibles, ou du moins, celles que tu veux. La mort, continua le démon, ne fait peur qu'à ceux qui n'ont rien dans la vie. Si tu as tout ici-bas, que peut bien pouvoir représenter une tombe ? Un prêtre ne vaut rien de mieux qu'un mendiant qui mangerait son père si on lui disait que c'était permis par la loi.

Alors, Faust, la véritable question n'est pas : que penses-tu de la mort, mais que penses-tu de la vie ?

Une femme, un démon, un homme, un Dieu ; tout était là, entités et pensées rassemblées dans ce bout de maison, sous le nez d'un être qui n'était ni pieux ni prêtre : il était simplement un homme dont le regard accrochait un miroir banal.

- Réfléchis, Faust, mais tu n'as pas une vie pour donner ta réponse : cette vie, tu la passeras soit à mes côtés, avec la puissance et l'opulence pour compagnons de route, ou tu la termineras seul, tout le monde autour de toi finira par découvrir ton méfait, tu seras pendu ou brûlé, puni pour ton crime. Prend tout de cette vie, et donne moi ton âme lorsque tu n'en n'auras plus besoin ; ou perd tout ici et dans l'au-delà. Que t'ont-ils apporté, tous autant qu'ils sont ? Un prêtre qui veut ton argent, une femme qui ne veut pas de ton cœur, des patients qui font naître des rumeurs sur ta personne ! Des hypocrites, des gueux, des trompeurs, abusés ils t'abuseront jusqu'à ce que tu sois sous terre ! Et même là, tu te rendras compte qu'ils n'étaient rien d'autre que des charlatans grassement payés par un peuple crédule.

Voilà un démon qui parlait avec beaucoup d'assurance, un démon qui ne cachait pas ses lèvres et qui ne dissimulait pas ses yeux. Un démon, somme toute, qui avait le verbe franc.

- Tu n'as qu'un mot à dire, Faust, et l'univers se posera dans ta paume.

Ainsi, la puissance ne s'obtenait que dans la parole...

- J'accepte, déclara alors Faust.

Ce n'était par pur hasard qu'il avait trouvé ce livre, ce n'était pas non plus par hasard qu'il avait pu le substituer aux yeux de tous : il était destiné à accomplir de grandes choses, il en était désormais certain. Méphistophélès lui adressa un sourire qui lui fit largement s'étirer les lèvres. Dans ses mains apparurent le gros livre, dont Faust était l'heureux fortuné, il l'ouvrit sans attendre pour arriver à la dernière page. Faust en vit une se rajouter dans un bruit de feuille froissée, et le parchemin sembla s'alourdir un peu plus.

- Signe, ordonna Méphistophélès en lui tendant le livre.

La plume lui fut donnée, et Faust, docile, s'appliqua. C'est plus brusquement que le livre se ferma et qu'il disparut d'entre les mains de son nouvel esclave. Celui-ci s'inclina respectueusement, et témoigna à Faust une extrême obéissance.

Faust demanda le savoir des lettres, des chiffres, et du cosmos, il l'obtint. Il demanda à voir le monde, et son voyage fut une chevauchée d'années inédites, durant lesquelles Faust se fit oublier chez lui. Il eut, comme promis, toutes les chaires désirées, jusqu'à ne plus aspirer aux cuisses de ces délicieuses compagnes. Faust et Méphistophélès, l'un épaulant l'autre, l'un parlant pour l'autre, l'un faisant les pires bassesses pour l'autre. Faust devint riche, sans que l'on sache où il pouvait bien garder tout cet argent qu'il était sensé posséder. Et Méphistophélès s'affichait à lui avec plus de noblesse à chaque fois, comme si le servir l'embellissait imperceptiblement. Il se dissimulait sous les traits d'un pauvre, en nécessiteux, en homme riche, mais il prenait parfois l'apparence d'une femme, belle qu'elle soit riche ou pauvre, une femme attrapées par les regards qui passaient par là. Les années défilant, Faust restait vigoureux, frais, et lui-même se trouvait plus beau à chaque nouvelle décennie passée. Mais que le monde s'altérait sous les innombrables possessions, et parler à ces miroirs ou reflets dans lesquels logeait le démon lui faisait perdre patience.

- Tu n'as plus rien à m'offrir, c'est cela ? s'agaça un jour Faust. Le monde n'était donc pas assez vaste, les femmes pas assez nombreuses, les savoirs pas assez grands ! Tu m'as menti, Méphistophélès ! Tu ne me serviras pas toute ma vie, juste... juste...

- Tu ne connais plus le temps, Faust, rien de plus normal dans l'éternité, expliqua avec ironie le démon.

- Tu n'auras pas mon éternité, si tu n'es pas capable de me donner la vie que tu prétendais être en mesure de me donner !

- Une parole est une parole Faust, j'en conviens. Dis-moi alors : que désires-tu ?

Faust eut bien là l'occasion de ressentir le sarcasme dont faisait preuve Méphistophélès, et ce manque de considération le mis hors de lui.

- Il n'a jamais été question de réclamer ! Je t'ordonne de me satisfaire ! hurla-t-il alors, ne s'attendant pas à ce qui venait d'apparaitre dans le miroir.

Le silence envahit la pièce, faisant de Faust le responsable d'un crime qui le laissait interdit.

- Voilà donc le sujet de cette colère, soupira Méphistophélès en abandonnant les traits de Rose qu'il venait d'adopter. Le passé ne t'a donc jamais laissé la paix. Très bien, continua-t-il sur un étrange ton, je te ramènerai cette fille, ce soir, si tu le souhaites.

Faust ne répondit rien et détourna le regard pour vaquer à de fausses occupations. Ainsi, si Faust avait aimé une femme, il avait par-dessus tout aimé un démon. Ce dernier avait pris possession de tout ce qui pouvait composer son être, jusqu'aux battements incessants de son cœur qui se rythmaient maintenant sur les paroles de l'infernale créature. L'érudit attendit, longtemps, ne se demandant même plus quelle constellation brillait la première, et quelles autres vies pouvaient bien abriter les étoiles. Enfin une voix qui revint comme familière dépassa l'épaisseur de la porte de la maison française où Faust logeait.

Il se précipita pour ouvrir, et découvrit la vertueuse Rose, enveloppée dans une robe rouge clair, cette jeunesse et cette beauté habillant toujours cette figure, et Faust eut soudainement envie de dire « Dieu, que vous êtes belle ».

- Vous voilà enfin, Faust, tout le monde s'inquiète pour vous en ville ! Je me demandais où vous étiez passé, je ne vous voyais plus à l'église, ni nulle part ! Vous êtes partis si vite... Ne m'aimiez-vous pas ? soupira-t-elle alors.

Et Faust, transposé dans l'une de ces histoires d'amour que tout adolescent se devait d'entendre, répondit fébrilement à Rose, lui étalant son amour en mille langues différentes.

La soirée fut longue et chaleureuse, c'était ce genre de nuit que Faust regrettait, celles qui avaient survécues au début des services de Méphistophélès. C'est au matin que Faust compris que les apparences n'étaient jamais les bonnes, comme le lui avait appris son démon. Rose s'était levée, bourgeon éclatant de fraicheur, et avait lentement perdu de son image. Pris de terreur, Faust ne put s'échapper du lit en découvrant son alter-égo sortir de sa cachette, les traits plus féminins que jamais, et le regard animé par un étrange sentiment.

- Ainsi, Faust tu es resté plus terrestre que je ne l'aurais crû !

Ce n'était plus du cynisme que dissimulaient les lèvres de Méphistophélès, mais une amertume qui trahissait sa déception.

- Qu'as-tu fait d'elle ?

- Moi ? s'étonna-t-elle, rien. La vie, en a jugé autrement. Croyais-tu qu'elle resterait jeune et belle, après ces vingt-quatre ans passés à vivre dans cette misérable ville d'Allemagne ? Elle a vieilli, Faust, elle avait déjà vingt-trois ans en ces années-là, elle a en a vingt-quatre de plus. Malade et à l'agonie, voilà qui est réellement Rose : un morceau de chair en décomposition.

- Mais, il est impossible qu...

- Si, Faust, tout ce temps s'est écoulé, à ton insu, piégé dans le monde des démons et des morts. Voilà vingt-quatre ans de vie de débauche et de péchés !

- Ramène-moi en Allemagne, ordonna Faust, cachant son désappointement.

Méphistophélès laissa un instant s'écouler, et s'exécuta avec une fausse soumission, qui ne fit pas s'arrêter Faust.

- Si tel est ton désir, Faust.

Il suffit d'un claquement de doigts pour que Faust soit propulsé dans cette vieille ville, où il connaissait tout. Sa maison était restée intact, sans qu'il ne puisse expliquer pourquoi, et il ignora sa malencontreuse compagne d'une nuit qui avait retrouvé sa place première, pour se précipiter chez Rose. Mais cela ne semblait pas déplaire au démon, qui, bien au contraire, s'était marqué d'une étrange jubilation. Et Faust, jeune et beau, toqua à la porte de la maison de Rose, où la vielle gouvernante lui ouvrit sans le reconnaître immédiatement. Mais le premier visage que Faust vit ne fut pas celui de Rose, mais bien celui du prêtre, qui sursauta en le voyant. « Seigneur », souffla-t-il en tenant son habit de cérémonie. Mais Faust, animé de cette passion soudaine qu'il confondait avec son aventure non-prémédité, dépassa le prêtre et s'engouffra dans la chambre de Rose, prétendant qu'il pourrait la soigner. Ne délirant pas encore tout à fait, et le prêtre arrivé à ses côtés, Rose demanda à Faust de ne pas l'approcher, et lui affirma qu'il n'était pas le bienvenue dans sa demeure.

Car désormais, dans cette petite ville miteuse d'Allemagne, tout le monde avait eu vent des rumeurs sur la vie démonique que menait Faust, son nom étendu dans tous les coins alentours, et cette maison vide où quelque fois, quelqu'un semblait y vivre.

- Je sais que le démon vous habite, Faust.

- Doucement Rose, vous délirez, il ne s'est pas tant passé de temps que cela. Mon père, merci d'être là.

- Ma présence ne peut qu'apporter du bien à Rose, s'ingénia le prêtre, mais la vôtre n'est pas de bonne augure.

Il semblait que les défenses de Faust tombaient lentement : un homme, qui réussit tout, qui connaît tout, qui soigne par prodige, et qui traverse mers et contrées sans jamais avoir une égratignure, cela n'existe pas : les prodiges du docteur étaient connus de tous.

- Rose, se précipita Faust, croyez moi, je peux vous aider. J'ai avec moi une... un... ami, qui saura vous sauver !

- Je préfère sauver mon âme, plutôt que d'entendre encore une fois vos paroles entichées de celles de satan, soupira-t-elle.

- Non, ce sont exclusivement les miennes. Je suis coupable de votre état, laissez moi vous aider, Rose, je vous en supplie, mes deux genoux au sol !

- Allez-vous en, coupa Rose, retournez dans les bras de l'enfer.

Faust, après un instant à voir les yeux de Rose se fermer pour ne plus le voir, se leva et sortit. Il passa devant le prêtre, qui ne le salua pas, et qui paraissait alors l'accuser des pires méfaits. Faust, enragé, le dépassa, et se rendit directement chez lui. Il monta les escaliers avec conviction, et se plaça devant le miroir. Mais personne ne s'y trouvait.

- Méphistophélès ! appela Faust. Méphistophélès !

La créature, fortes comme un homme et espiègles comme une femme, apparut dans le reflet de l'ouverture de la porte, par-dessus Faust.

- Oui, Maître ? fit-il avec un air profondément narquois, persifflant ces paroles avec sarcasme.

- Qu'as-tu fait !

- Je te l'ai dit Faust : moi, je n'ai rien fait, le temps s'en est chargé.

- Tu as... abusé de moi ! bégaya-t-il presque, refusant de se rappeler de la nuit passée.

Depuis combien de temps s'était-il ainsi joué de lui, ce morceau d'enfer ? Il avait trompé sa confiance et souillé son être.

- Le prêtre sait, maintenant !

- Que dis-tu ? demanda l'être en perdant son rictus.

- Le prêtre se doute de Nous ! Il viendra, pour te détruire !

Le démon éclata de rire.

- J'ai une nouvelle, encore plus intéressante que celle-ci, répliqua le démon. Rose est morte. Et je pense, cher esclave, qu'il est temps pour toi de payer ta dette.

- Je ne suis pas mort, s'étonna Faust.

- Pas encore ! Dans la chambre de Rose, le prêtre à été assassiné. Le dernier visiteur fut Faust, celui que Rose et toute cette ville, a accusé d'avoir vendu son âme au Diable...

Ainsi la sentence avait été prononcée par Méphistophélès, et Faust n'eut pas le temps de penser qu'il entendit des éclats de voix par la fenêtre. Déjà, ils étaient venus. Faust, plus désespéré que jamais, se précipita jusqu'à sa porte pour se barricader, et n'osa aucunement demander l'aide de son alter-égo.

Lorsque l'on arriva enfin à ouvrir la porte de Faust, celui-ci avait trouvé refuge dans sa chambre, priant le démon pour qu'il le sorte de cette situation. Mais Méphistophélès se réjouissait de cette vengeance, qui était né d'une jalousie ou d'une simple manipulation de sa part, et prosterné le nez jusqu'au sol, Faust se mit à pleurer en connaissant son châtiment. Lorsque les hommes entrèrent dans sa chambre, Faust se retourna en pleine hystérie en accusant son miroir :

- C'est lui ! Tout cela est sa faute !

Les hommes levèrent lesyeux, incrédules. Mais il n'y avait personne dans le miroir, ni rire dans lereflet, si ce n'est celui complètement dément et fiévreux de Faust.

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