Chapitre 7 : Voyage dans le Temps (non corrigé)

Mon regard sautait sur Kaï et ma mère, tour à tour. Oui, ils étaient bien là, en chair et en os, à se tenir devant moi, côte à côte. La gueule ouverte, je peinais à réaliser. J'avais vu le corps de ma mère, brûlé et noirci par l'explosion.

-C'est impossible... soufflai-je, titubant.

Kaï m'agrippa la patte et m'entraîna quelques mètres plus loin.

-Surtout ne lui dis pas qu'elle est morte, grinça-t-il entre ses dents.

Je sursautai, les yeux écarquillés. Le cerveau en ébullition, je compris soudainement que ce n'était pas le Kaï d'aujourd'hui. Ni la Julie enterrée derrière la tente du Roi. Tous deux venaient du passé.

Le vieil homme remarqua mon air ahuri et expliqua à voix basse :

-Nous devons te montrer quelque chose. Mais Julie ne sait pas qu'elle va mourir dans ton hier.

Je fus pris de vertiges : tout ceci était bien trop compliqué.

-De quand venez-vous ? questionnai-je soudain, effaré.

Kaï déglutit et finit par m'annoncer :

-Nous venons de 1995.

La nausée me prit.

Au prix d'un effort considérable, je parvins à ne pas dégobiller sur les pattes de mon interlocuteur. Ils venaient de quinze ans en arrière. À leur époque, je n'avais que cinq ans. Mon père... Mon père venait tout juste de nous abandonner.

Mais une autre question me tourmentait.

-Je sais que ça te fait mal... bredouilla l'autre, le regard triste.

-Mais pourquoi l'avoir emmené pour me montrer ? rétorquai-je d'une voix sèche, agacé que Kaï ne pense qu'à lui et non pas à mes sentiments.

Revoir ma mère n'était en effet pas une partie de plaisir, surtout si je ne devais rien lui dire à propos de "mon hier"...

-Pour vous montrer à tous les deux, corrigea-t-il. Ce qu'elle va voir sera l'élément qui va la faire changer d'avis.

-Et à quel sujet ? sifflai-je, comme un mauvais pressentiment enfoui dans ma gorge serrée.

Il hésita un moment, pensif, puis grimaça, comme déjà au courant de ma réaction :

-Sa décision de t'envoyer à Enohria.

Le choc me fit tituber vers l'arrière : ainsi tout ceci n'avait été qu'un complot. Une suite non pas hasardeuse de malheurs, mais un enchaînement orchestré par cette vieille tortue Voyageur et Roi, qui plus est. Malgré le fait que j'étais déjà au courant de cette information, je n'avais néanmoins pas su que mon entrée à Enohria se préparait depuis si longtemps.

Je montrai les crocs et plaquai les oreilles en arrière ; j'avais soudain l'impression que mon véritable ennemi n'était en vérité que Kaï et sa volonté égoïste !

Mais c'est alors que Julie surgit entre nous, agacée :

-Kenfu, arrêtes un peu tu veux ? me houspilla-t-elle.

Mon cœur cessa de battre, et je me recroquevillai au sol. C'était bien trop douloureux pour moi. Au prix d'un terrible effort, je ravalai mes larmes et me redressai, évitant ma mère du regard.

-Bien, on peut y aller, temporisa Kaï en me lançant un regard sévère. Transformez-vous en Erkaïn, ordonna-t-il après un instant de réflexion.

Julie obtempéra et je demeurais immobile, puisque j'étais déjà un panda-roux. Kaï nous alors agrippa la patte.

-Videz votre esprit, murmura-t-il. Nous allons dans le futur, alors restez concentré pour ne pas vomir, et gardez des yeux attentifs à tout ce que vous verrez. Ne vous en faites pas, personne ne va nous reconnaître.

Il me jeta un regard en biais et ajouta :

-Sauf une personne.

Il ferma ensuite les yeux et mon ventre se serra d'appréhension : j'étais soudain terrorisé. Qui et qu'est-ce que j'allais voir dans mon futur ? Tremblant, je fermai les yeux et essayai à grande peine d'appliquer le conseil du Voyageur.

Mon cœur tambourinait à mes tympans, fou furieux, comme désireux de quitter mon corps raidit par la peur qui me consumait peu à peu. Le monde s'ébranla, la terre se secoua sous mes pattes et je forçai sur mes paupières, épouvanté à l'idée qu'elles se rouvrent et que je découvre les vents tempétueux qui semblaient ne jamais finir d'accélérer. La tête me tournait, je voulais hurler mais une force invisible contenait ma langue dans mon gosier. Mais Kaï ne me lâchait pas, empoignant ma patte férocement. Je concentrai mes pensées sur sa poigne, et non sur les étranges relus de magie qui me fouettaient la truffe.

La poussière s'engouffra soudain dans mes poumons, sans prévenir. Je m'écroulai au sol et j'ouvris les yeux dans un cri strident. Le souffle coupé, je roulais au sol et restais étendu là : si ma vision était floue, j'entendais un brouhaha monstrueux. L'odeur âcre des flammes et de cendre qui s'étendaient sous ma truffe plaquée au sol me donnait la nausée. On m'attrapa le coude, me força à me relever mais je n'étais plus qu'un pantin de poil ébouriffés, incapable de faire un geste, paralysé par la peur, les odeurs nauséabondes qui me secouaient de haut-le-cœur.

-Kenfu ! hurla une voix rêche à travers les cliquetis métalliques, les lourds bruits sourds d'un feu dévorant le décor noir de sang et de poussière.

J'aperçus dans le flou obscur qui m'entourait deux yeux bleus inquiets qui me secouaient, horrifiés. Je titubai, revenant à moi et reprenant pleinement possession de mes membres. La tête me tournait horriblement, le sang battait à mes tempes mais je n'en avais que faire. Je relevai les yeux, effaré, et observais la désolation qui nous entourait d'un œil net, cette fois-ci.

Comme l'avait deviné mon odorat, les flammes consumaient le champ de bataille. Humains en combinaisons colorées souillées de sang affrontaient d'horribles créatures à l'allure de fantômes squelettiques, opaques et recouverts d'une cape obscure. Les esprits sombres étaient armés d'une dague d'argent en forme de griffe, prêts à égorger qui passait sous leurs effrayantes paumes.

Le ciel d'encre était ravagé par la foudre, les nuages noirs qui le traversaient secoués par une forme ailée qui les suintait. Epouvanté, je compris brutalement que cette forme n'était qu'une jeune femme portée par de puissantes ailes qui la doublaient de taille.

Plus en bas, dressé sur une colline sanglante, un homme à la belle carrure menait la foudre sur les ennemis. Une femme en tunique rouge couvrait son compagnon en déployant sur les fantômes un feu ravageur, quittant ses paumes par je ne sais quel miracle. Et d'autres en venaient encore, chacun tirant de son corps un élément distinct. Je vis une rouquine faire émerger du sol de cendre de puissantes fleurs à dents de sabre, ou encore une autre à ses côtés asperger d'eau bouillante les ennemis.

Cela n'en finissait plus. Kaï me tira au cœur de la bataille, nous passâmes sous les fantômes et les silhouettes colorées sans qu'elles ne nous prêtent la moindre attention. Mais alors que nous contournions un sévère corps-à-corps, je me stoppai subitement, les yeux écarquillés. Mon sang s'était arrêté de battre : là, à quelques mètres se battait Morgan, le Pirate Télépathe. Mais ce n'était plus un gamin de dix ans ; ses cheveux bruns lui tombaient aux épaules, et une fine barbe lui recouvrait les joues. Il enchaînait les parades avec un sabre au manche d'or, un grand sourire étalé sur les lèvres.

Mais alors que je faisais un pas dans sa direction pour l'interpeller, Kaï plaqua brutalement sa patte contre ma gueule et me retint en arrière.

-Ne fais jamais ça ! m'ordonna-t-il, les yeux fous, hors de lui.

Je gardai des yeux ronds fixés sur lui, interloqué. Jamais je n'avais vu Kaï dans cet état.

-Morgan ne t'a pas vu ainsi depuis trente ans !

J'ouvris la gueule, effaré, les yeux exorbités.

Trente ans.

J'avais voyagé trente ans en avant.

Très vite, les larmes me montèrent aux yeux. Même trois décennies plus tard, la guerre n'était toujours pas terminée. Mes pensées virèrent à la pierre tranchante dont j'avais voulu me servir pour mettre fin à ma vie. Tout ceci était-ce de ma faute ? Le Roi cherchait-il à me montrer ce qui arriverait si j'en finissais dans notre présent ?

Les individus en combinaisons colorées tombaient un à un, la mine ravagée. Kaï m'entraîna plus loin encore, et je vis que ma mère nous suivait, les larmes roulant sur son visage désemparé par toute cette violence.

Nous finîmes par déboucher au cœur de la bataille, là où gémissaient les monstres et où hurlaient de rage les plus puissants ennemis de ces derniers. Soudain, un hurlement strident déchira l'air ; je pilai, l'échine hérissée, et cherchai du regard la provenance du gémissement. Le temps s'arrêta, et tous stoppèrent leur combat. Les cris persistaient, de plus en plus douloureux.

Les combattants se rassemblèrent plus loin, inquiets, et Kaï nous y entraîna. Nous nous frayâmes un passage, mais à peine nous étions nous arrêtés pour observer la cause du mouvement de foule que la terre s'ébranla : un instant je cru que Kaï nous ramenait au présent, mais ce n'était là que le fruit d'un grondement souterrain ; quelques secondes plus tard, le sol s'éventrait pour dévoiler un imposant Dragon couleur charbon, dix fois plus gros que ceux que l'on trouvait à Fantasia. Pire, ce dernier semblait écaillé de fumée, et ses pupilles animées par des flammes obscures. Il me semblait être un esprit, un fantôme à l'apparence d'un Dragon.

Il rugit, le monde trembla et je me recroquevillai au sol, terrifié. Mais Kaï me releva le menton, m'obligeant à regarder. C'était donc là l'objet de notre Voyage. Le Dragon se dressa face à l'armée des fantômes et à celle de leurs ennemis.

-Qui, parmi vous, a osé me défier ? siffla-t-il, et la tonalité de son son me fit frissonner de la truffe à la queue.

-C'est moi, gros lézard ! hurla une nouvelle voix enragée.

Mon cœur, quant à lui, s'arrêta de battre. Non, c'était impossible. Epouvanté, je vis gravir la colline un Erkaïn à la fourrure noire, parsemée de filament blanc. Je titubais en arrière, le cerveau en ébullition. Le panda-roux noir leva de grands yeux verts émeraudes vers le Dragon et montra les crocs :

-Ose me défier et tu le regretteras ! Car je suis Kenfu, détenteur du Don de Jade !

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