-Ben alors, on fous quoi ? demanda Jeane, les larmes aux yeux.

Le lapin blanc lui serra la main, et je me surpris à penser à Sinna. Elle avait d'ailleurs appuyé sa tête contre mon épaule, et ne disait rien depuis un long moment déjà. Kaï et Aïru étaient assis l'un à côté de l'autre, le teint livide, et nous observaient discutailler en silence. A gauche étaient assis Jeane et son lapin, tout deux en mauvais état, et George leur faisait face, pas plus en forme qu'eux.

-On pourrait essayer les pourparlers ? proposa ce dernier.

Je levai les yeux au ciel et rétorquai, agacé et froid :

-Oui, on pourrait aussi leur apporter un bouquet de fleurs au passage.

J'entendis Sinna pouffer à mes côtés, et j'eus presque envie de sourire moi aussi ; mais la vision de ma mère me donnant une claque affectueuse à l'arrière du crâne pour que je rentre ma grande langue me donna plutôt les larmes aux yeux, et je sentis une boule douloureuse se former dans ma gorge.

-Ou alors, poursuivit l'ours, déterminé, on leur fait croire qu'on veut leur parler en paix, discuter d'un arrangement, alors qu'en vérité on déploie des troupes tout autour, bien cachées... 

-Et on les attaque une fois qu'ils ont baissé leur garde pour les surprendre, compléta Kaï, les yeux brillants.

Tous levèrent les yeux vers lui ; à présent il se dressait là, au bout de la table, majestueux, et il ressemblait plus que jamais à un Roi. Droit et fier, il faisait sauter son regard sur chacun de nous, pensif, et soudain il déclara, les yeux plissés :

-Il nous faut trois escouades.

Il fouilla dans un bureau non loin et en tira une carte, sur laquelle était représenté Phoenix. Il l'étala sur notre table et se concentra sur Stellarium.

-La première prendra la mer avec des navires de guerres, commença-t-il en nous désignant la mer qui bordait la rive Nord.

-Mais comment l'atteindre sans qu'ils nous voient ? grimaça Aïru.

-C'est simple, rétorquai-je sous la surprise générale. On envoi la troupe sur l'île Delta et elle réplique dès que l'on lui ordonne.

-ça veut dire que nous allons être séparés, alors... murmura Sinna.

Le silence tomba ; le nœud dans ma gorge se resserra. Je n'étais pas sûr de pouvoir livrer bataille alors que mes proches se battaient loin de moi, sans que je puisse les aider si l'un d'eux se retrouvait dans une situation délicate.

-Je crains que nous n'ayons pas le choix, mes amis, souffla Kaï. Quoi qu'il en soit, nous essayerons de faire en sorte que chacun d'entre vous se retrouve au moins avec l'un de ses amis.

Je levai mes yeux vers Kaï. Alors voilà que nous étions amis ? Ou bien la vieille tortue ne se comptait-elle pas dans le lot ? Je soupirai et reportai mon attention sur la carte :

-Je présume que les deux autres escouades se tiendront des deux autres côtés ? 

-Non, se serait bête, me coupa George. Plutôt faire en sorte qu'une escouade attaque par la voie des airs et que la dernière parle avec l'armée ennemie pour faire diversion, non ?

La proposition de l'ours fut accueillie dans un silence pensif. Quant à moi, je me demandai pour la énième fois pourquoi les Aquass s'étaient ralliés aux Changers. Et si ces derniers avaient beaucoup d'alliés, alors il nous en faudrait aussi.

-Oui, c'est une bonne idée, conclut Kaï en s'asseyant, le menton appuyé sur son bâton. 

Jeane nous dévisagea et eut un sourire :

-Ben, quant 'est-ce qu'on les butte alors ?