Chapitre 4 : la réunion (non corrigé)
Je restai assis là un long moment. Quelque part en moi, je gardai l'espoir que lorsque je reviendrai, ma mère serait là, à m'attendre avec un grand sourire. Ou bien que Kaï remontrait le temps et je me réveillerais de nouveau dans la fontaine ; je pourrais ainsi mettre ma mère et tous ceux que j'aime à l'abri.
Mais il ne se passa rien. Le soleil se coucha dans la désolation. Il abandonna la ville à son sort, la laissa dans la tristesse et l'obscurité totale. Même les étoiles étaient masquées par la fumée. Ou bien est-ce qu'elles aussi ne voulait plus nous éclairer. La nature, les Dieux, nous avaient-ils abandonnés à notre sort ? Méritions nous donc tout ce qui se passait là ?
Les heures passèrent, lentes et douloureuses. Je passais mon temps à pleurer, à arracher les pages des livres que j'avais récupéré, à jeter rageusement les pierres au loin, espérant qu'elles atterriraient sur le crâne d'un Changer et qu'il mourrait sur le coup. Et puis, minuit venu, Aïru vint me rejoindre. Il s'assit à mes côtés sans parler, déchira les livres et pleura avec moi. Je ne sais même pas si j'aurais voulu le chasser, j'en ne n'en avais pas la force, de toute façon.
Lorsque l'aube vint, qu'il ne resta plus de livres à déchirer et que nous avions épuisé notre réserve d'eau tellement nous avions pleuré, il se leva et murmura d'une voix rauque :
-Viens, il y a une réunion de guerre.
Je me levai. Mes pieds le suivirent d'eux mêmes. Quelques fois, je trébuchai sur des débris, mais Aïru me laissa me débrouiller seul. Je lui en fus reconnaissant. Nous arrivâmes à la tente de Kaï dans un silence total. Cependant, au lieu d'entrer, je m'arrêtai sur le seuil ; avaient-ils enlevé le corps ? Je ne me croyais pas capable de le revoir, pas maintenant en tout cas.
Mais puisque mon père était entré, j'en vins à la conclusion qu'ils avaient bel et bien retiré le corps. Je n'étais pas sûr qu'Aïru soit capable de rester impassible alors que le corps déchiqueté de l'amour de sa vie était là, juste devant ses yeux... Je secouai la tête ; je refusai de penser à cela. Il fallait que je me souvienne de ma mère sous le meilleur jour possible.
Je poussais donc le tissu pour pénétrer à mon tour sous la tente. A l'intérieur, autour d'une table, ils étaient tous assis ; le teint livide, bien qu'un peu plus propre que lorsque je les avais vu pour la première fois après la bataille, ils étaient toujours dans un sale état. Le lapin à moustache avait enroulé sa patte dans un tissu noir se suie, l'avait déposé sur une chaise à côté pour la soutenir, mais la grimace qu'il affichait me montrait qu'il avait toujours très mal.
Je remarquai soudain que seul Kaï n'était pas blessé ; à part seulement une ou deux égratignures, il était indemne. Je trouvai cela injuste ; lui pouvait sauver sa carapace grâce à son Don, mais les autres avaient dû se débrouiller seuls. Ma mère était morte ; elle, elle n'avait pas de Don pour se sauver.
Sinna me fit signe de m'approcher. Je m'assis à ses côtés, mais personne ne parla. Au bout de quelques minutes de silence, je me demandais si c'était bel et bien une réunion de guerre, ou bien une réunion de deuil. Et moi qui pensais me changer les idées en venant ici. Je soupirai, puis pris la parole d'une voix rauque :
-Alors, on contre-attaque quand ?
Tous relevèrent le nez dans ma direction, les yeux écarquillés.
-Kenfu, nous ne sommes pas en état de contre-attaquer, m'expliqua George d'une voix éraillée, comme si cela semblait évident.
-Je refuse que nous restions là, les bras croisés ! Retorquai-je en haussant brusquement la voix. Vous avez vu tous ces gens, là, dehors ? Et vous voulez laissez les autres mourir ?
Silence.
Je plongeai mon regard dans celui d'Aïru ; lui, il comprendrait.
-Maman n'aurait pas voulu ça, lui soufflai-je, méprisant. Elle aurait été d'accord avec moi.
Un silence de plomb s'abattu sur la tente. Le chagrin nous accabla un instant, et personne ne fut capable de me contredire. Puis, au bout de quelques minutes de deuil, Kaï leva ses yeux vers moi et me dit tristement, d'une voix lourde de sens :
-Kenfu, nous ne pouvons pas contre-attaquer.
Je déglutis. A présent j'en avais la certitude ; nous mourrions tous dans...
-Nous devons contre-attaquer, ajouta-t-il brusquement en se levant.
Je relevai brusquement les yeux. Les autres s'étouffèrent dans leur cris de protestations, les yeux écarquillés. Mais Kaï savait que c'était notre seule solution. Mi-soulagé, mi-dubitatif, je tâchai de respirer lentement, pour me calmer. Alors là était notre seul échappatoire ? Il est vrai qu'il y a quelques secondes, j'aurais tout donné pour persuader les autres de me suivre. Mais à présent que je savais que cette guerre était lancée pour de bon, qu'aucun retour en arrière n'était possible, la peur me tordait le ventre.
-Comment va-t-on procéder ? Demanda Aïru, et je le regardai, un sourcil levé ; c'était la première fois qu'il prenait la parole depuis le début de la réunion.
-Il faut songer à un plan, c'est vrai... Murmura le Roi.
-Où sont les Changer ? questionna Jeane, la voix tremblante. Pour savoir où les attaquer... Peut-être le mieux serait-il de leur couper les vivres, ou de les tuer dans leur camp, la nuit ?
-Ils se sont réfugiés plus loin sur la côte, protégés du vent et de la marée par la falaise, lui répondit Kaï. Et ils ne sont pas seuls.
-Comment ça ? s'inquiéta George. Vous voulez dire que d'autres peuples se sont ralliés à eux ?
-Oui, soupira Aïru. Les Vampires, les Loups, les Vampires et les Aquass.
-Les Aquass se battent aux côtés des Changers ??!!! s'étrangla Sinna, les yeux exorbités. Mais pourquoi ?! Ils ont toujours été le plus neutre des peuples, avec les Licornes et les Phénix !
-Je ne sais pas... murmura Kaï, les yeux baissés.
Le silence tomba une nouvelle fois, et un frisson nous parcourut tous. Pourtant, j'étais persuadé qu'il savait. Perturbé, je me demandais pourquoi avait-il l'air si coupable, tout d'un coup, mais aussi ce qu'il me cachait. Kaï avait beau conserver tous ses secrets pour lui, quelque chose me disait que ce qu'il gardait là n'était sûrement pas un petit mensonge des plus banals... Et s'il mentait là, se pourrait-il qu'il le fasse également pour les rares choses qu'il me dévoilait ?
Je soupirai. En plus d'une guerre avec les Changers, je livrai une bataille continue avec Kaï, son passé voilé et ses mensonges.
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