Chapitre 19 : Désagréables Nouvelles (non corrigé)

Étendue au creux des maigres couvertures de mon lit de camp, je laissais mes yeux exorbités se promener sur les silures du tissu de la tente. Mon coeur battait à une vitesse folle, et ma respiration peinait à le rattraper, haletante.

Incapable de me lever ou de faire le moindre geste, je repassai infiniment la scène de la veille. C'était-elle réellement passée ? Les larmes s'entassèrent au coin de mes yeux, si bien qu'elles finirent par rouler sur mes joues, leur éternel silence me remplissant d'une douleur sans nulle autre.

-Sinna... murmura une voix douce, presque désolée.

Je fermai les yeux, le cœur serré.

-Laisse-moi tranquille, Thiflea, soufflai-je en retour, remarquant qu'elle ne bougeait pas.

-Sinna, on doit y aller, insista-t-elle. Les troupes nous attendent.

Je me redressai brutalement et ma camarade de chambre tituba vers l'arrière, surprise par mon geste brusque.

-Je n'irais certainement pas sur le navire avec toi et Kenfu ! sifflai-je entre mes dents, la colère et la douleur glaçant le ton de ma voix.

-Et que vas-tu faire, alors ? s'emporta ma camarade de chambre, les yeux remplis de larmes. Tu vas nous abandonner là, nous lâcher ?!

Je gardais le silence, la poitrine comprimée. Aucun son ne parvenait à sortir. Je relevai alors le menton ; il fallait que je parle à Kenfu. Que je lui fasse payer son arrogance.

Je jetai les couvertures au pied du lit de camp et me précipitai dehors, les poings serrés. La lumière m'aveugla lorsque je rejetai la toile de la tente, mais je n'y prêtais aucune attention : je plissais simplement les yeux et balayai la clairière du regard, cherchant Kenfu d'un regard haineux.

Je le repérai alors ; il semblait faire ses adieux à George et à Jeane. Je m'élançai dans sa direction, bien décidée à lui présenter mes propres adieux personnels. Je voulais qu'il voit à quel point il m'avait fait souffrir. A quel point il avait été égoïste.

Mais soudain, une main m'attrapa le bras et me stoppa net dans mon élan. Je fis volte-face, prête à faire face à l'individu qui me faisait barrière ; mais ma détermination fondue à l'instant où mes yeux se posèrent sur la mine sévère de Kaï. Une grimace coupable me monta au visage alors qu'il me serrait le bras :

-Je sais ce que tu as en tête, me mit-il en garde, tout en conservant cependant un ton calme et posé. Ne fais pas ça.

-Mais il le mérite ! protestai-je, peinée.

Il ferma les yeux un instant, secouant le menton. Puis il braqua à nouveau son regard azur perçant dans le mien et me souffla à voix basse, relâchant la pression qu'il exerçait sur mon bras à présent endolori :

-Kenfu va mal, en ce moment. Très mal.

Je me contentai de cligner des yeux, quelque peu perdue. Je savais que Kenfu n'était pas sous son jour meilleur. Mais à quel point ? A présent je me le demandais. Il n'avait pas eu l'air blessé par les propos de Nooa, ni le fait que je sorte avec lui la veille au soir. La guerre, le Dragon et la mort de sa mère l'avaient sans nul doute affecté, mais était-ce une raison, une excuse pour se comporter comme il le faisait ? J'en doutais.

Kaï baissa le regard, comme coupable de ce qu'il s'apprêtait à m'avouer.

-Il... Il a essayé de mettre fin à ses jours, murmura-t-il d'une voix si basse que je dus me pencher vers l'avant pour capter ses paroles.

Mais je fis aussitôt un bond en arrière, terrorisée et les yeux écarquillés. Mon cœur battait la chamade alors que j'étais prise de vertiges ; alors c'était donc à ce point ?! Ne pouvait-il donc plus supporté d'être en vie ?

-Quand ça ? me contentai-je de répondre d'une voix que j'espérais neutre.

-Juste après que tu ais essayé de l'embrasser, conclut Kaï, un soupir désolé aux lèvres. Je sais que tu ne pensais pas à mal. Mais ça l'a plus bouleversé qu'autre chose.

Je tombai des nues, horrifiée. Le regard dans le vide, je laissais le vieux Roi me serrer l'épaule, compatissant.

Je ne savais que penser, si bien qu'aucune pensée ne parvenait à se frayer un chemin dans mon esprit embrumé.

-Sinna, regarde, me souffla soudain Kaï.

Je relevai lentement le menton, meurtrie par la nouvelle. Quatre silhouettes se tenaient non loin, attendant visiblement quelqu'un.

Je plissai les yeux et mon coeur fit un bond dans ma poitrine :

-Papa, maman ! m'égosillai-je, plus effrayée qu'étonnée. Mais qu'est-ce que vous faites ici ?

Kaï s'évapora dans la mêlée des soldats et je pus rejoindre mes visiteurs. Les yeux écarquillés, tout comme brillants de larmes, je m'arrêtai à leurs côtés, ne sachant si je devais les serrer ou non dans mes bras.

Mon père, un homme à l'air fatigué aux yeux ambrés, se tenait courbé et amaigri. Une barbe mal entretenue souillait ses joues creusées par la fatigue. Il agrippait les manches d'une chaise roulante ; fébrilement assise sur le fauteuil, ma mère tâchait de replacer le long foulard qui lui recouvrait le crâne. Son beau regard azur se posa tristement sur moi, et un faible sourire s'étira sur ses joues pâles.

Mes deux frères l'entouraient, deux jumeaux parfaitement identiques, la mine attristée. Leurs cheveux bruns tombaient sur leurs oreilles, ébouriffés, et leurs yeux ambrés cherchaient du réconfort dans les miens.

-Sinna, fit Danny de sa petite voix, placé à droite de ma mère, tu vas partir à la guerre ?

-Nous on veut pas, ajouta son frère, Ethan.

Mes yeux tombèrent sur leur regard embué de larmes, suppliants.

-Je n'ai pas le choix, répondis-je simplement d'une voix impassible.

Je portai ensuite mon attention sur ma mère, Helia ; si frêle sur sa chaise roulante, elle paraissait avoir une centaine d'années. Était-elle blessée ? Pourquoi mon père était-il forcé de la traîner sur cette chaise ? Je fronçai alors les sourcils ; elle qui avait toujours détesté porter des foulards, voilà qu'elle en avait enroulé un bien épais, ne laissant paraître aucune mèche de ses cheveux. Elle paraissait presque malade...

Le souffle me manqua : m'avait-on caché quelque chose ?

-Ma puce... murmura-t-elle. Je suis désolée...

-Pourquoi tu es désolée, maman ? soufflai-je, craignant la réponse.

Mais elle leva le regard vers Samuel, mon père, incapable de répondre. Les lèvres pincées et les larmes s'amassant aux coins de ses yeux, elle semblait à tous prix vouloir éviter les miens.

Son mari pencha la tête sur le côté, inexpressif, comme lointain :

-Ta mère a un cancer, Sinna.

L'information circula à travers mon esprit, ce dernier peinant à déchiffrer ce que venait d'annoncer Xavier. Lentement, une boule se créea au creux de ma gorge et je tombai aux pieds de la malade, incapable de dire le moindre mot ou de faire le moindre geste autre que de me perdre dans le néant infini qu'est la douleur. Je n'arrivais d'ailleurs même pas à réaliser.

-Pourquoi vous ne me dites ça que maintenant ? parvins-je à articuler d'une voix que j'espérai neutre.

-Pour ne pas te faire du mal, tenta mon père, qui se voulait rassurant.

Je haussai les épaules, la poitrine secouée de sanglots, comme coincés à l'intérieur.

-Tu peux pas juste dire "désolé" ? soufflai-je, de petites gouttes froides roulant à présent sur mes joues.

Il baissa le menton, se frottant honteusement l'arrière du crâne.

-Tu sais, commença ma mère d'une voix rauque, on pensait au début que ça guérirait, avec le traitement, l'opération, le temps...

-Mais en fait non, termina Samuel, quelque peu dur pour une annonce aussi difficile à encaisser.

-Alors... bafouillai-je, la voix tremblante, tu vas mourir ?

Helia hocha la tête, l'air triste et désolé.

-Je suis navrée de n'avoir pu t'en parler avant, s'excusa-t-elle.

Je détournai le regard, les dents serrées. Je ne pouvais pas la regarder. Je ne pouvais plus lui parler. Cependant, je relevai les yeux lorsqu'un appel résonna sur la vaste place, ordonnant aux retardataires combattants de rejoindre leur escouade au plus vite.

Ma mère s'en allait, et je faisais de même. Tout du moins, je courais à bras ouverts vers la mort. Peut-être était-ce pour cela que son état critique ne m'affectait pas plus que cela. Peut-être savais-je que je la reverrai dans peu de temps.

Je pivotai vers ma famille, aussi silencieuse que les larmes qui roulaient sur mes joues.

Danny et Ethan se jetèrent au creux de mes bras et je me contentai de les serrer contre moi, respirant leur odeur familière pour ce qui me semblait être à présent la dernière fois.

Je me retirai ensuite de leur étreinte et m'avançai vers mon père. Je me blottis quelques secondes dans ses bras, les souvenirs déferlant en moi dans une puissante vague.

Nous avions toujours habité une maison au Nord de l'île des Erkaïn, si bien que la neige se plaisait à s'installer deux ou trois mois de plus chez nous. Je me souvenais de ces journées passées à l'extérieur, de ces innombrables batailles de boules de neiges ou jeux. Nous y étions tous, ma mère, mon père, mes frères... Sans que jamais l'un soit mis à l'écart.

Peu douée en cours, j'avais cependant bénéficié de leur soutien à l'école. Chaque soir, sur la table de la salle à manger, Samuel et Helia finissaient par se disputer sur l'une de mes leçons qu'ils étaient tous deux incapable de comprendre correctement.

Nous n'avions pas d'autre famille. Je n'avais pas de grands-parents, ni d'oncles ou de tantes. Nous passions alors toutes nos vacances au creux de notre vieille chaumière, sans nous en séparer. Peu riches, nous ne voyagions jamais.

Ainsi, lorsque j'atteins l'âge de quitter la maison, mes parents m'offrirent un cadeau des plus précieux : l'argent et le passeport permettant d'entrer à Enohria. Ma mère y ayant travaillé pendant de longues années en tant que professeur d'Histoire des Peuples, elle avait pu m'obtenir une place.

J'étais donc partie, sans regrets ni peurs.

Cependant, lorsqu'arriva la guerre, que je fus blessée, j'eus grande peine à supporter le fait qu'aucun d'entre eux ne soit venu me rendre visite. Peut-être n'avaient-ils pas assez d'argent. Peut-être n'en avaient-ils pas envie, ou bien pas entendu un seul mot.

Ainsi s'achevait mon ancienne vie, innocente et tranquille.

Comme si ce n'était pas suffisant, j'avais passé le cap accompagnée de la guerre et de la mort.

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