Chapitre 5 : le Lourd Passé d'un Ours Optimiste (non corrigé)

L'Ile d'Eleya se révéla être bien plus petite que ce que j'avais imaginé. En effet, elle devait, au diamètre, mesurer près d'un kilomètre, tout au plus. Cependant, elle n'en demeurait pas moins fortement battue : elle était entourée d'un épais mur de fer surélevé par de lourds poteaux noirs. Des pics tranchants transparaissaient des murs, et l'on avait construit le début d'un dôme tout autour, n'offrant qu'une seule possibilité d'accès : les airs, vers le dessus de l'Ile.

A mes côtés, Jeane poussa un cri d'hystérie totale :

-C'est méga stylé !!! Je kiffe déjà c't'endroit !

A ma gauche, Kaï ne semblait pas si enthousiaste. Il contemplait sa propriété d'une mine triste, comme chargé de regrets et d'un lourd chagrin. Etait-ce lié au fait qu'il l'avait auparavant acheté dans le but d'y vivre ? Devait-il s'y épanouir au lieu de la transformer en une véritable forteresse inexpugnable ?

Je reportai mon attention sur cette dernière et laissai le vent fouetter furieusement mes cheveux, chasser les dernières traces de larmes de mon visage.

-Elle me fait peur cette Ile, risqua George, au péril de nos moqueries. Quand même, je la trouve vraiment sombre...

Jeane et moi lui accordâmes un sourire moqueur, et il nous tira la langue.

-Tu as raison, souffla cependant le Roi à mes côtés, le regard toujours fixé sur les épais murs d'enceinte. Elle est macabre, cette Ile.

J'arquai un sourcil ; Kaï ne semblait plus être lui même, depuis un certain temps déjà. Je songeai à son air calme et amusé qu'il abordait toujours naguère, et à la mine sombre et abattue qu'il trainait aujourd'hui sans cesse. Mon cœur s'arrêta un instant : avait-il prédit la mort de mon père ? Etait-il déjà au courant de tous les évènements qui allaient suivre ?!

Je déglutis ; le vieux Roi avait entre ses mains toutes les réponses que je cherchai depuis bien longtemps. Et malgré ça, j'étais dans l'incapacité de les obtenir. Pire encore : je ne pouvais même pas les lui demander, au risque de me prendre un savon de sa part. Il allait me baratiner sur les conséquences spatio-temporelles, que j'en savais déjà suffisamment, voire trop... Non, le silence demeurait bel et bien ma seule option.

Le navire approcha de l'obscure enceinte, et je sentis mes cheveux se dresser sur ma nuque : nous n'allions quand même pas foncer droit sur le mur ?!

-Monsieur, appela une voix grave, qui m'arracha un sursaut. On vous demande à la salle de contrôle.

-Je viens.

Le vieil homme s'écarta sans un regard pour nous et talonna le soldat, comme vidé de toute énergie. Je reportai ensuite mon attention sur les flots, en prenant bien garde à ne pas jeter un regard en contre-bas. La guerre n'effaçait pas les vieilles peurs. Je songeai alors à mes prodigieux sauts que j'effectuai toujours alors que je vivais encore à Erkaïn, entre les œufs. N'avais-je pas déjà cette peur oppressante du vide, à l'époque ? Il me semblait que si, alors... ? Sûrement connaissais je chacun des recoins du quartier, alors la hauteur ne m'effrayait plus. J'eus une grimace : il me semblait à présent deviner que tout ce qui m'était inconnu me procurait un sentiment désagréable de mal être, de peur. Etais-je aussi trouillard que George ? Je pouffai silencieusement ; non, voyons, il ne fallait pas exagérer non plus.

Néanmoins, je ne pus empêcher mes mains se crisper sur le plat-bord lorsque nous ne fûmes plus qu'à quelques mètres du rempart.

-Demande d'autorisation de passage en cours, lança une voix mécanique, sortie de nulle part.

A mes côtés, George se ratatina sur lui-même :

-Ils ont des intelligences artificielles, ici ?! Comme sur Enohr ?!

-Non ma p'luche, railla Jeane, moqueuse. C'est une voix préenregistrée, comme avec des portails électriques, tu piges ?

Son ami se renfrogna ; encore une fois, son instinct méfiant -plutôt apeuré- avait prit le dessus sur son optimisme. George était plutôt lunatique, à la réflexion. Tant positif qu'horrifié à chaque menace, il ne se gardait néanmoins jamais de nous lancer une pensée profonde sur nos manières exagérées d'agir. Etait-il sans cesse prit de doutes pour agir ainsi ? Non, j'étais sans cesse assaillis par la peur de l'échec et de me tromper, et je ne me pensai pas aussi hésitant dans ma manière d'être. Du moins, je l'espérai.

-Demande d'autorisation de passage validée, poursuivit la voix, et le mur se scinda en deux dans un lourd bruit sourd.

Les flots s'ébranlèrent et l'épaisse enceinte s'écartai pour dévoiler un passage vers l'île. Nous patientâmes quelques secondes, le temps que l'entrée soit suffisamment large pour laisser circuler un bâtiment aussi large que le nôtre. Puis, le navire gronda et nous porta à l'intérieur des remparts. Je plissai les yeux, le visage fouetté par un vent violent, avant de les ouvrir soudainement : j'avais devant moi une Ile grouillante de vie, telle une fourmilière. En son centre se dressait d'imposants bâtiments, encadrés de quatre tours aussi sombres que les murs d'enceinte. De plus petites tourelles avaient été placées sur toutes les rives et chacune était reliée aux grandes tours par d'étranges fils de fer où circulaient des cabines de transports. Tout autour des bâtiments centraux, on avait rasé tous la verdure, pour ne laisser qu'un sable dru sur lequel on apercevait de nombreux soldats s'entraîner. Au pied des tours, des édifices à la forme dure, carrée, sans imperfections, qui servaient probablement à loger les armées.

-C'est un véritable bunker... ! souffla Jeane, les yeux écarquillés.

Mais George semblait plus réticent :

-Euh... On est vraiment obligés d'y aller ?

Je pivotai dans sa direction, un sourcil arqué :

-Tu peux toujours sauter du bateau et aller à Stellarium à la nage, et puis tu seras pris comme otage et probablement enfermé dans un endroit pire que celui-ci.

-Bel état d'esprit, beau sarcasme, me félicita Jeane en riant.

-Putain, vous m'écoutez ou quoi ! s'emporta le jeune homme, les poings soudain serrés. Je REFUSE d'y aller !

Je fus pris d'un mouvement de recul, les yeux écarquillés : un instant, ça n'était plus George que j'avais vu, mais un Erkaïn patibulaire aux yeux fous.

-Mais... se risqua Jeane à ses côtés, l'air tout aussi hébété que moi. Mais on est avec toi, tu crains rien, j'te jure...

Il se détendit, mais ses yeux abordaient toujours le même air terrifié.

-Pas encore... murmura-t-il.

Je fronçai les sourcils : George ne nous avait visiblement pas tout révélé sur son passé. Tout ce dont je me souvenais, c'était l'avoir entendu dire que ses parents étaient morts pour une raison inconnue. Nous avait-il menti ?

-Tu veux en parler ? lui demanda gentiment Jeane en posant une main rassurante sur son épaule.

Il releva le regard, les dents serrées, et soupira.

-Mes parents et moi vivions tout au Nord d'Erkaïn, commença-t-il.

Je me raidis, les yeux écarquillés. Non, non, ça ne pouvait pas être lui... Je déglutis : je connaissais cette histoire. Oui, tous dans les bas quartiers la connaissaient, cette horrible tragédie qui avait officiellement déclaré les dirigeants Erkaïns de monstres. Ou plutôt, d'irresponsables. George parlait probablement du quartier Nord Erkaïn, dont il ne restait désormais qu'une allée putride et terrifiante d'usines militaires.

-Nous étions heureux, poursuivit le jeune homme. Mais un jour, des armées Erkaïns ont débarqué. Ils ont placardé des affiches partout et sont restés plantés là des jours entiers. Ils nous disaient de quitter le quartier, qui allait être réaménagé. Ils nous ont dit qu'on serait pris en charge par le Gouvernement, que nous allions être relogés. Mais... Mais rien ne s'est déroulé comme ils l'avaient dit. Une semaine après leur invasion, j'étais sorti acheter du miel. Mes parents avaient fini de tout emballer, de faire les valises, ne restait plus que le miel pour les sandwichs. Puis, j'ai entendu une alarme. Je n'étais même pas dans le quartier, mais je l'ai quand même perçue. Je me suis précipité chez moi, mais c'était déjà trop tard : ils avaient fait tout explosé. Ils ont refusé de me laisser passer. Il aurait fallu d'une heure, à peine. Trente minutes. Trente minutes et mes parents étaient saufs. Nous étions les derniers. Les ours sont toujours lents, tout le monde le sait. J'étais encore un gamin d'à peine treize ans, alors ils m'ont embarqué. Et comme tous ceux qui habitaient autrefois le quartier Nord, on a tous été entassés dans une espèce de grand édifice sombre et mal entretenu. On était mal nourris, on avait à peine le droit de sortir. Toutes les semaines, une famille partait : on leur avait trouvé un chez eux. Mais moi, comme j'étais tout seul, je suis resté là environ deux ans. Sauf que j'en ai eu ras le bol. Alors je me suis enfui. J'ai trouvé un boulot, loué un œuf dans les bas quartiers Est.

Il releva les yeux vers moi et eut un faible sourire :

-Je ne voulais pas aller aux bas quartiers Sud, on m'avait dit que de très mauvaises choses de là bas.

J'acquiesçai, incapable d'avoir la moindre réaction tant que son histoire m'avait touché.

-Enfin bref... soupira-t-il. Après, ç'a été. J'ai gagné pas mal d'argent, j'ai pu prendre un logement dans un meilleur quartier. Je suis retourné à l'école et j'ai finalement été accepté à Enohria.

Mon cœur se serra : l'histoire de George se révélait bien pire que la mienne. Qui étais-je pour me plaindre ? Qui étais-je pour prétendre ne pas avoir eu de chance dans ma vie ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top