Chapitre 36 : les Archives

J'entendis un long rugissement, succédé par l'odeur électrique de la Magie. La fumée verte envahissait les lieux tandis que je serais les poings. Bientôt, la fourrure se dessina sur mes membres et mon visage s'allongea. Les directeurs poussèrent des cris d'horreur et je montrai les crocs.

Une Sorcière Noire, fille de Kaï qui plus est, complotait dans mon dos pour me tuer. Ses supérieurs tentaient désormais de faire de moi leur arme. Jeane était seule dans leur quartier général, blessée et sans défense. Nous l'avions abandonnée, tout cela dans l'unique but de subir un procès des plus inutiles opposant deux espèces différentes qui ne parlaient même pas la même langue. Et voilà que j'étais tiraillé entre toutes ces mains qui s'acharnaient à me traîner de situations en situations plus catastrophiques les unes que les autres.

Mon pelage se gonfla et mes griffes se plantèrent fermement dans la rambarde de bois. Alors que les vents se levaient et que les lumières vacillaient, j'aperçus Sinna qui se changeait à son tour en Erkaïn avant de bondir dans ma direction.

-Kenfu, arrête ! me hurlait-elle.

Je feulai :

-Ils le méritent !

Elle resta pétrifiée, l'échine hérissée et la queue fouettant nerveusement l'air. Du coin de l'oeil, je vis que George mutait en un puissant Ours musculeux. A sa vue, les dirigeants perdirent de leurs couleurs et s'éparpillèrent en hurlant dans la grande salle.

Soudain, une puissante détonation perça les hurlements et je me recroquevillai sur moi-même, les oreilles rabattues. Mes tympans gémirent une note aigüe alors que l'on m'attrapait par la patte pour me descendre de l'estrade.

-Kenfu ! gémit une voix lointaine. Kenfu, fais un effort !

Les chocs s'accumulèrent autour de moi. Le paysage se mouvait plus rapidement que la lumière, trop intense, qui m'aveuglait. J'étais perdu. Le Dragon s'était envolé aussitôt que le bruit sourd avait déchiré l'air. Où était-il allé ?! J'avais besoin de lui !

-KENFU ! hurla à nouveau la voix. PUTAIN MAIS REVEILLE TOI !

Le monde chuta sur ma truffe et je redressai brutalement le regard. Sinna se démenait pour me traîner vers la sortie alors que nous étions bousculés de toutes parts par l'émeute que j'avais déclenchée. J'aperçus çà et là des dizaines de soldats en uniforme miliaire, armés jusqu'aux dents de leurs grands pistolets. Au centre de cette zizanie, Kameryna s'était dressée dans les airs, ses poings levés dressant des sphères de fumée violette. Son regard haineux scrutait la foule de fourmis grouillantes que nous étions. Je devinai sans mal qui elle tentait tant bien que mal de débusquer. Elle voulait ma peau et ma fourrure pour s'en faire un manteau.

-KENFU ! s'époumona Sinna une nouvelle fois.

Je reportai aussitôt mon attention sur elle et me relevai en titubant. Je ne savais même pas comment est-ce que j'avais bien pu faire pour me retrouver assis.

George, qui nous protégeait de son imposante carrure, nous poussa de la truffe et nous déguerpîmes. Le cœur battant, je franchis les portes sous les puissants cris de rage de Kameryna. Mais à peine avions nous quitté la salle de Conseil que Sinna m'attrapait déjà la patte pour me stopper dans mon élan ; la Sorcière Noire venait d'incendier notre seule porte de sortie.

-Les fenêtres ? cria George pour que sa voix couvre les cris.

-Elles sont trop hautes ! contesta notre amie, le regard sautant d'un endroit à un autre.

Je pouvais presque sentir son cœur battre à mille à l'heure, sa respiration se hacher sous la peur qui lui prenait chaque muscle, chaque parcelle du corps. Je la fixai un instant. Nos regards se croisèrent, et mon pouls ralentit. J'eus une soudaine envie de la serrer contre moi, de lui hurler qu'il n'y avait qu'elle qui comptait à mes yeux. A cette pensée, je fis un pas en arrière et pris une direction au hasard ; surpris, les deux autres me talonnèrent. Sans réfléchir, je virai à gauche, pris une porte et manquai une chute avant de débouler dans un long couloir.

Je n'étais qu'un idiot. Un idiot qui était tombé amoureux. Un idiot qui ne pouvait se permettre d'aimer.

Les crocs serrés, j'ouvris une nouvelle porte à l'aveuglette. Je voulais que les cris dans mon dos disparaissent, se muent dans un silence calme et reposant. Je ne savais d'ailleurs même pas comment tout ceci était arrivé, le cheminement de cette brusque attaque soudaine. La succession du procès, des conflits explosifs dus au désaccord quant à mon avenir à Enohr, puis l'insulte de Kameryna et finalement l'éveil du Dragon, avant que la Sorcière Noire ne décide de révéler sa véritable nature. Tout c'était passé si vite.

Je ralentis ma course avant de me stopper net ; la pénombre m'avalait, et seul nos souffles hachés comblaient le lourd silence qui régnait.

-Où est-ce qu'on est ? murmurai-je, agacé.

Pourquoi n'étais-je donc pas capable de me concentrer plus de quelques secondes dans une situation aussi critique que celle-ci ?

-Dans les archives, souffla George. C'est écrit sur la porte.

Mes oreilles s'agitèrent. Comment lui dire que j'avais détalé ici sans réfléchir ? Même si nous étions suffisamment éloignés de la pagaille du hall principal, je percevais toujours au loin les cris et le rugissement de la Magie en œuvre.

-Je sais lire tu sais, sifflai-je entre mes dents, les moustaches agitées. J'ai pas besoin qu'on...

-Kenfu, on sait, t'inquiète pas, me coupa Sinna, visiblement exaspérée par mon comportement.

-Vous ne comprenez pas ! m'emportai-je en faisant volte-face dans leur direction. Vous croyez vraiment que j'ai besoin d'une leçon de morale maintenant ?!

Je leur décrochai un regard noir. George voulut répliquer, mais je l'interrompis :

-"C'est écrit sur la porte", l'imitai-je grossièrement tout en me détournant de leur mine hébétée. Sans blague.

Je roulai des yeux, agacé. J'étais frustré par ma position dans cette délicate situation. Je devais trouver un moyen de nous sortir d'ici. Je reportai mon attention sur la pièce, d'avance dépité par le peu de solutions qui s'offrait à nous. Je poussai soudain un hurlement de terreur et titubai vers l'arrière, les yeux écarquillés d'épouvante : face à moi se dressait Kameryna, qui brandissait sur ses lèvres un sourire machiavélique.

Elle releva sèchement la main et Sinna et George furent projetés en dehors de la salle ; leur hurlement surpris résonna en parallèle avec le claquement sec de la porte. J'étais pris au piège. Et j'étais seul.

Je déglutis ; au fur et à mesure que les secondes tombaient, que la Sorcière gravitait autour de moi comme un prédateur se préparait à bondir sur sa proie, une seule et unique solution s'imposait. Je devais libérer le Dragon. Il me faudrait combattre la Magie par la Magie.

-Tu t'attendais à ce que ce duel arrive, n'est-ce pas ? susurra-t-elle en lâchant un rire méprisant. Comprend bien que je n'ai pas le choix, Roi Erkaïn.

J'eus une grimace ; je n'appréciais guère ce nom. Je m'ébrouai, chassant cette pensée de mon esprit. Ca n'était pas vraiment le moment.

-Tu n'aurais pas dû faire ça, feulai-je en montrant les crocs.

Ma queue fouettait l'air, menaçante, tandis qu'un grognement montait au creux de ma gorge.

-Tu crois pouvoir être ce héro qui sauve les pauvres humains d'une attaque d'une Sorcière Noire assoiffée de pouvoir, c'est ça ? ricana-t-elle, hilare.

Je plissai de la truffe ; dit ainsi, il était vrai que cela paraissait bien cliché. Mais n'était-ce pas le cas ?

-Si tu veux pas tomber dans les stéréotypes de base des histoires pour enfant, grondai-je, alors arrête de vouloir me tuer.

Son sourire fondu aussitôt, et elle se stoppa. Elle pointa un doigt accusateur dans ma direction :

-Fais attention, misérable Panda-Roux, me mit-elle en garde. Tu ne sais rien de moi. Tu ne sais rien de ma vie. Tu n'as aucune idée de ce que j'ai vécu et ce que je vis chaque jour de mon existence.

Mais ça m'était égal.

Toutes griffes dehors, je m'élançai vers elle et en un bond prodigieux retombai lourdement sur ses épaules. Alors que nous roulions au sol, je plantai férocement mes griffes sous sa clavicule. Mais elle se contenta d'esquisser un sourire sournois ; la seconde d'après, j'étais projeté dans les airs comme une simple marionnette de bois. Je chutai lourdement au sol, le souffle coupé. Mes muscles refusaient de m'obéir tant le choc m'avait paralysé. Mes poumons se soulevaient à peine.

-Abandonne, soupira-t-elle, comme lasse. Je suis une Sorcière Noire. Tu ne peux rien faire contre moi.

Je tentai une réplique cinglante, mais aucun son ne parvint à quitter ma gorge. Je grimaçai ; la douleur me prenait chaque parcelle du dos. Je me redressai tant bien que mal devant son air moqueur, les pattes tremblantes.

Etait-ce donc ainsi que j'allais mourir ? Kaï ne m'aurait pas envoyé ici si j'allais y mourir, songeai-je en grognant sous l'effort de me relever.

Les larmes voulaient poindre au coin de mes yeux, mais je devais les en empêcher. Pas question de pleurer avant de mourir. Mais je savais ce qui m'attendait. C'était inéluctable. Alors, je plantai mes appuis au sol, les moustaches agitées, et tendis l'élastique. La pression de l'air monta, tandis que la pièce se secouait de tremblements. La fumée électrique se répandit sous l'oeil brillant de Kameryna ; lorsque mon croisa ses yeux bleus, le nœud de ma gorge se resserra. Allais-je réellement tuer la fille de Kaï ? Je n'avais guère le choix.

Dévoilant mes crocs et gonflant mon pelage, les vents se levèrent et la pièce fut éclairée par quelques éclairs de Magie verte. J'entrevis de longues allées d'étagères dans la pénombre faiblement éclairée par ces pics de lumière. J'allais anéantir, brûler, des années de registres.

La pierre tomba au fond de mon estomac alors que le Dragon prenait possession de mes membres ; le sol s'éloigna, et les fuseaux de Magie émanèrent de moi comme la foudre pique les nuages d'encre lors d'un orage. Le sourire de Kameryna disparut lorsque l'un d'entre eux la frappa à l'épaule et qu'elle fut projetée quelques mètres plus loin.

Une grimace de haine naquit sur son visage et le bâtiment fut saisi d'un puissant séisme ; ma vision se brouilla, les sons s'évanouirent et, terriblement inquiet, je laissai le Dragon faire le reste.

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