Je levai les yeux au ciel, promenant sur mes reins deux mains exaspérées. Mon dos commençait à me faire souffrir ; voilà longtemps que nous étions debout et que Kameryna dialoguait avec les dirigeants étrangers.

Si j'en croyais leur expression concentrée, il allait de soi que mon cas n'était pas des plus simples à régler. Rogers semblait prendre mon parti tandis que les autres Directeurs étaient visiblement plus méfiants. Sûrement cela était-il du au fait que j'étais à moitié un animal. Un Erkaïn, une créature magique qui, comme si cela ne suffisait pas, possédait un Don, était Roi d'un des peuples les plus puissants des Huit Mondes et Elu d'une Prophétie. Voilà qui n'était pas une mince affaire.

-I'm sorry, siffla la directrice aux cheveux poivres et sels, but we'd be taking too much risk to let a half-dragon animal run wild that could decimate entire armies with a single move !

J'attendis la traduction de Kameryna, mais celle-ci n'en fis rien. Je me redressai, les sourcils froncés, tandis qu'elle pointait un doigt accusateur sur l'assemblée :

-You want to go to war, right?! You want to provoke a war of the Worlds ?!

Les dents serrées de devoir l'interpeler ainsi, je tapotai l'épaule de ma traductrice :

-Qu'est-ce que vous êtes en train de dire ?

-Shut up ! s'emporta-t-elle en chassant ma main d'un geste brusque.

Je jetai un regard interrogateur à George, qui haussa les épaules. Il semblait tout aussi perdu que moi. Le représentant à la cravate bleue frappa sa table du poing et beugla :

-In the meantime, we risk much more than a war! We risk the end of our coalition if we let this animal run free! It must remain under the control of the Embassy !

Je fus pris d'un mouvement de recul ; celui-ci souhaitait ma mort. Je le lisai dans ses yeux, de même que son animosité plus que palpable dans sa voix le trahissait. Une nouvelle femme se leva alors, brisant le brouhaha de la salle de ce simple geste silencieux. Ses traits tirés donnaient à son visage pâle une expression sévère et menaçante. Vêtue d'une robe rouge, ses yeux plissés se posèrent sur moi et avalèrent la moindre petite parcelle de mon corps.

-My friends, croassa-t-elle. we are going around in circles. The Defense of the Subject does not seem very perceptive as to its role to play in the magical future of our World. It is becoming clear that he does not pose a real threat to us...

Elle quitta son banc pour serpenter entre les petits drapeaux, traînant sur son sillage une aura glaciale qui dissuadait quiconque de la contredire. Seule Kameryna trouva le courage de lui sourire et d'incliner le menton :

-Thank you, Lady Kan, for your...

-... But, la coupa brutalement l'intéressée, this does not prevent him from being King of Erkain, from possessing a Gift and from being a Chosen One. It goes without saying that it is our duty to carry out the Prophecies, thereby banishing the arbitrary decisions of the Travelers.

-Tu comprends quelque chose ? me souffla George d'une voix à peine audible.

J'eus un long soupir :

-Je comprends rien du tout.

Elle arrêta son pas et l'écho de ses talons résonna à travers la grande pièce. Puis, lorsque le silence s'accrocha finalement à toutes les lèvres pour les nouer solidement, la représentante en robe rouge braqua son regard sur moi et conclut :

-So we have to keep the Subject at the Embassy. Not as a prisoner, no, but as a political and magical instrument whose mission would be to ensure the future of the Worlds. I believe that it is not for nothing that the Book of Prophecies is here at the Embassy. It is our role to ensure that they are carried out, while ensuring the security of nations.

Je fronçai les sourcils : j'avais un mauvais pressentiment.

-Vous ne pouvez pas faire ça ! rugit soudainement Kameryna. Ce n'est pas parce que vous possédez le Livre des Prophéties que cela vous donne de garder le Roi des Erkaïns à l'Ambassade ! Vos arguments ne tiennent pas !

George m'agrippa solidement le bras tandis que je m'élançai vers le rebord des murets de bois, prêt à proférer une marée d'insulte. La colère et la frustration étaient montées si vite que je n'avais même pas eu le temps de réaliser que mes ongles s'enfonçaient déjà dans la rambarde et que j'avais violement bousculé Kameryna. Désormais je me dressai à sa place, gonflé de rage et d'impatience de ces longues heures où j'avais été témoin de mon jugement sans que je ne puisse y prendre part.

-Sales humains égoïstes ! hurlai-je alors que George tentait vainement de me tirer vers l'arrière, les yeux écarquillés. Vous n'avez aucun droit sur moi ! Je ne suis pas un animal ! Je ne suis pas votre propriété ! Je lèverai une armée pour vous anéantir !

-Kenfu, calme toi, insista mon ami, les dents serrées. Tu leur donnes raison en t'emportant ainsi !

Mais je me dégageai de sa poigne d'un geste sec et me tournai vers Rogers :

-Et vous, vous allez les laisser faire ? Même après tout ce que je vous ai dit ?!

Il tenta une parole, mais aucun son n'en sortit. Personne ne voulait donc me soutenir ?! Ne pouvaient-ils pas trouver ne serait-ce qu'un peu de courage pour oser se confronter à la femme en rouge ?!

L'homme à la cravate bleue leva les paumes en signe de paix et temporisa :

-Please, in English... Speak in English...

-Non ! beugla Kameryna à son tour. Ce procès est terminé ! Vous n'avez aucun honneur, aucun sens des responsabilités, seulement de l'égoïsme !

-Speak English... insistait l'autre.

-La vérité, c'est que vous voulez garder les pouvoirs de Kenfu pour vous tout seul ! Vous voulez en faire une arme ! Dominer Enohr !

-Please, speak English !

Elle marqua une pause, hors d'haleine, avant de lui cracher au visage :

-Fuck you !