Chapitre 3 : Avalanche (non corrigé)

Mon cœur s'arrêta.

Thiflea.

Mon esprit matérialisa son cadavre et le sol se déroba sous mes pieds flageolants. L'obscurité prit un instant le dessus, mais une main puissante m'attrapa le coude et me redressa férocement :

-Kenfu ! s'étrangla Jeane, qui passa un bras sous mon épaule pour me soutenir.

-Elle n'est pas encore morte, rectifia l'Ours, coupable devant ma mine abattue.

-E-Elle n-n'est-n'est pa-pas encore mo-morte ? répétai-je, la voix empreinte d'une haine certaine, secoué de sanglots. Tu te fous de ma gueule ?! Je peux savoir quelle est la différence, à part qu'elle est en train d'agoniser ?!

Il abaissa le regard et Jeane lui jeta un regard noir ; cependant, elle n'avais pas aidé à corriger les propos de George. Je me débattis violement et me débarrassai de leur poigne sans prêter attention à la brusquerie de mes gestes. Qu'ils me foutent la paix, s'ils étaient simplement là pour alourdir davantage la charge de mon cœur !

Je pris la porte, que je claquai derrière moi avec toute la force qu'il me restait. Elle s'ébranla et hurla un écho qui fit vriller mes tympans, avant de dérailler et de s'écrouler devant un George et une Jeane effarés.

Je leur tournai furieusement le dos et titubai au détour du couloir, le cœur meurtri. Tout ceci avait ravivé l'image d'Aïru, tout fraichement imprimée dans mon esprit. Je me demandai, pour la première fois, où avaient-ils bien pu mettre sa dépouille. Mais cette seule pensée m'arracha un hurlement, et je dus me stopper, avachi contre le mur, pour calmer mes tremblements. Thiflea avait droit à de beaux adieux. Je lui devais au moins ça.

Les échos de pas précipités me parvinrent, et je sus que j'approchai des cabines dédiées aux blessés. Je rassemblai le peu de forces qu'il me restait pour me redresser, aveuglé de souffrances insupportables, tant physiques que mentales. 

Je virai alors à droite et fis subitement halte devant les agitations. J'avais devant les yeux une fourmilière d'uniformes blanc, de sots de sang, de plateaux regorgeants de nourriture ou bien d'instruments chirurgicaux. Prit de nausée, je me faufilai entre les silhouettes, le cœur enragé que je lui impose un spectacle aussi macabre.

Je passai subtilement le menton à travers les portes entrebâillées. A chaque nouvel essai, mon coeur manquait un battement, de peur de tomber sur la bonne. Cependant, mes espoirs furent vains car, au fin fond d'un couloir obscur et silencieux, je trouvai étendue sur un maigre lit la jeune femme. A ses côtés, le visage marqué par les larmes, Sinna tenait la main frêle de la mourante. Je déglutis ; Thiflea était si blafarde qu'on aurait pu croire qu'elle était déjà partie à Divinity.

Je passai la porte silencieusement, le coeur meurtri de douleur de la voir ainsi. Je me stoppai derrière Sinna, le regard fixé sur les yeux vides de l'Humaine. Elle fixait le plafond, la bouche entrouverte. Ses membres pendaient sur ses côtés, inanimés. Sinna releva le menton dans ma direction, comme perdue :

-Elle est partie, Kenfu. Il y a quelques minutes.

Je tombai sur le lit, anéanti, et les barreaux de métal grincèrent sous mon poids.

-Je m'en veux pour Aïru, murmura la jeune Erkaïn à mes côtés.

Je préférai fermer les yeux, secoué de sanglots silencieux. Tout était si loin. Le bonheur, la liberté, tout ceci n'était plus qu'un pâle souvenir. Une denrée, un pauvre rêve que l'on fait lors d'une triste nuit.

L'aura funeste de la mort flottait dans l'air, englobant nos deux cœurs détruits qui battaient encore. Les choses s'enchaînaient si vite. Je peinai à suivre la cadence, à comprendre les évènements tragiques qui défilaient devant mes yeux. Quand tout ceci cesserait-il enfin ?

-Thiflea m'a tout expliqué, souffla Sinna d'une voix à peine audible.

Ses paroles me tirèrent violement de mes pensées, et je me raidis. Pourquoi déclarer cela dans une telle situation ?! Ne pouvait-elle pas comprendre que la dernière chose dont j'avais besoin actuellement, c'était d'amour ?! De cœurs brisés, d'âmes déchirées de son égoïsme face aux situations que je traversais ?!

Soudain, pour la première fois depuis des mois entiers, l'esprit malfaisant qui guettait ma colère s'éveilla. Son grognement fit écho sur ma poitrine comprimée, m'arrachant des tremblements incontrôlables. Tout mon être réclamait de relâcher cette rage intérieure, de libérer les fauves de douleur qui rugissaient en moi. 

Je ne supportai plus leur arrogance ! Leurs sens des priorités face à mon désarroi, leurs répliques exaspérées alors que je me démenai pour sortir d'un deuil qui ne cessait de me rattraper ! Sinna et ses histoires de cœurs, Kaï et sa manie de sacrifier des gens "pour les Huit Mondes", George et Jeane, leur indifférence face à mes souffrances. Quant à mon père ou Thiflea qui n'avaient pas fait mieux, voilà qu'ils s'en étaient allés pour un monde meilleur !

Je bondis sur mes pieds, les yeux fous, parcourant la pièce du regard à la recherche d'une chose à briser. A écraser, à jeter le plus loin possible. Je serais les poings, et la colère s'infiltra dans mes veines. Plus moyen de la contenir. De plus, pourquoi le ferais-je ?! J'étais en droit d'être égoïste. D'être enragé. Ils l'étaient bien, eux !

-Kenfu ! s'étrangla Sinna en se relevant maladroitement.

Elle s'agrippa à mon bras mais je la dégageai brutalement, les yeux brouillés de larmes :

-Fous moi la paix !

-Mais...

-FOUS MOI LA PAIX !

Elle fut prise d'un mouvement de recul, horrifiée, et la douleur se mêla à la rage. Voilà qu'elle aussi avait peur de moi, à présent.

Incapable de rester plus longtemps en place, je la bousculai violement et pris la porte en prenant soin de la claquer avec force. Secoué de spasmes, je détalai à travers les couloirs, ignorant les échos assourdissants de mes pas sur les murs. Qu'ils s'éveillent tous ! Qu'ils soient tirés de leur sommeil, qu'ils voient la souffrance à laquelle je faisais face !

Je percutai le personnel de l'infirmerie sans aucune délicatesse, ne leur jetai pas un regard tandis qu'ils titubaient au sol, les yeux écarquillés.

Je les haïssais tous ! Tous autant qu'ils étaient ! Je ne voulais plus de cette vie, de ces morts, de ce cauchemar qui n'en finissait plus !

Soudain, je percutai de plein fouet une silhouette et m'écroulai en arrière, lâchant un cri de surprise. Le dragon quitta ma gorge pour s'en aller aux tréfonds de sa grotte, me laissant seul m'écraser contre la porte qui s'ouvrit à la volée. Je roulai au sol, écrasé sur le seuil de la petite pièce. L'odeur du sang envahit mes narines, et je lâchai une toux rauque.

-Kenfu ? fit une voix frêle, humide.

J'émis un grognement avant de me redresser, les côtes et les épaules douloureuses. J'avais oublié que mes plaies n'avaient pas encore été traitées. 

Je balayai la pièce du regard, inquiet d'entendre une telle tonalité dans cette voix attristée. J'aperçus alors un vieil homme, écrasé sur une chaise de métal. Ses épaules et son dos voûtés trahissaient de sa profonde fatigue. Je relevai les yeux vers son visage masqué dans l'ombre, cherchant une trace familière dans son regard. J'écarquillai les yeux, le reconnaissant soudain :

-Kaï !

Ahuri, je chancelai ; comment avais-je fait pour ne pas le reconnaître ?

Puis, l'hébètement fit place à la rage : je n'avais pas oublié les dernières révélations de mon père. Même si mon cœur se serra à sa pensée, cela ne m'empêcha pas de pointer un doigt menaçant et tremblant sur le vieux Roi :

-C'est ta faute ! C'est ta faute s'ils se sont...

Mais il ne me regardait même plus. Son regard avait dérivé sur une chose qui semblait bien plus intéressante derrière moi. Les larmes inondaient son regard bleu, noyé dans une tristesse infinie.

Je pivotai lentement, soudain inquiet de le voir ainsi. Ca ne lui ressemblait pas...

Je fus alors pris d'un violent choc. La gifle de l'effroi engagea toute sa puissance lorsqu'elle me percuta. Là, sur deux lits différents, reposaient les cadavres mutilés de Jack et Bört.

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