Chapitre 24 : l'Offisme du Tourisme

Alors que je jouais des épaules pour me frayer un passage parmi la foule, j'entendis Jeane se précipiter aux côtés de George :

-Eh, comment t'sais tout ça sur la France, toi ?

-Je l'ai lu, lui sourit son ami. J'allais tous les soirs à la bibliothèque pour lire sur les Mondes. Tout un chapitre portait sur la France.

Elle plissa les yeux, songeuse, et George poursuivit, emporté par son élan :

-Tu savais que Phoenix était très influencé par la France ? Tu vois ces machines de métal qui courent sur le béton ? Bientôt, elles arriveront à Phoenix.

-Qu'est-ce que c'est, d'ailleurs ? s'enquit Sinna tout en promenant son regard sur les alentours.

-Les Enohriens les appellent des voitures. Chaque Homme en possède une. Ils les utilisent pour se rendre où ils veulent et circulent avec dans les villes. C'est une sorte de navette mais beaucoup plus petite et qui roule sur quatre roues entourées de caoutchouc. Je crois qu'ils en ont déjà sur certaines îles de Phoenix.

-Elles fonctionnent de la même manière que nos camions ? l'interrogea à nouveau la jeune femme.

George opina du chef, fier de pouvoir enfin déverser toutes ces connaissances accumulées.

-Oui, c'est la même chose, mais eux ne l'utilisent pas que pour la guerre.

-Sérieux ? pouffa Jeane, presque impressionnée.

-D'où est-ce que tu crois que nous vient l'électricité, les moteurs, les avions ? sourit George. Là ça prend plus de temps à être exporté parce qu'on doit les adapter pour qu'elles puissent se déplacer sur l'eau.

-Il y a autre chose qui nous vient d'Enohr ? demanda Sinna, curieuse, alors que nous bifurquions dans une nouvelle rue.

-Nos prénoms nous viennent d'Enohr, acquiessa-t-il. Ils ont même une signification particulière, ici. Sauf celui de Kenfu, qui est Phoenicien.

Je lui lançai un regard par dessus mon épaule, un sourcil arqué :

-Vraiment ? Mon prénom a une signification en Phoenicien ?

-Pourquoi Kenfu il a un prénom Phoenicien et pas nous ? s'indigna Jeane, me coupant dans mon élan de curiosité.

George eut un sourire amusé :

-Seules les familles royales portent un nom Phoenicien. Je m'étais toujours demandé pourquoi Kenfu en avait un ; maintenant, on sait.

Je me renfrognai ; inutile de me rappeler que j'étais le petit-fils du Roi d'Erkaïn.

-Ça veut dire que les familles royales de Phoenix parlent le Phoenicien ? en déduit Sinna, songeuse.

George hocha vivement la tête :

-Oui. Autrefois, elle était parlée par les plus grandes puissances de Phoenix, mais certaines îles ne la pratiquaient pas. Quand Kaï est arrivé au Trône, il a fait de la Langue Commune la langue officielle. Mais les grandes familles de Phoenix la parlent toujours.

-Et donc, que veut dire mon nom en Phoenicien ? m'impatientai-je, tout en surveillant les alentours d'un œil frustré.

Pourquoi n'y avait-il donc aucun endroit où trouver une carte à Paris ?!

-Si je me souviens bien des cours que j'ai pris, fit George, les yeux plissés sous la concentration, ta première syllabe ''Ken'' est un dérivé de ''Cenn'' qui signifie directement ''Espoir'' en Phoenicien.

Ma gorge se noua ; voilà qui commençait bien.

-Ensuite, poursuivit-il, ''Fu'' est une sorte de terminaison à fonction adjective. C'est pour indiquer le dernier, celui qui reste. Si on assemble le tout, ça fait ''l'espoir dernier'', ou ''le dernier espoir''.

Je serrais les dents ; évidemment. C'était trop simple. Pourquoi n'aurais-je pas un nom normal, qui rapporte à une plante, un nuage ou une autre chose stupide que les parents aiment accorder à leurs enfants ? Visiblement, les miens ne faisaient pas parti de ces derniers.

Agacé, j'accélérai le pas ; les trois autres suivirent le rythme, peu surpris par ma manière de réagir à cette nouvelle. Tant mieux : il n'aurait manqué que cela, qu'ils s'indignent de ma réaction. Qu'ils s'imaginent qu'il est facile de porter un nom tel que celui-ci.

-Là, Kenfu, regarde ! me héla soudain Sinna tout en stoppant sa marche rapide.

Je fis volte-face, les yeux plissés, et suivi son regard jusqu'un petit bâtiment coloré de rouge vif. Il était écrit en gros sur la façade ''Office du tourisme''. Pris dans un élan de détermination soudaine, je pris aussitôt la direction de l'édifice. Je traversai la voie de béton tout en ignorant les grands cris que poussaient les voitures en se stoppant net à ma gauche. Qu'elles râlent, si cela leur faisait plaisir.

Je bondis sur le trottoir et poussai la porte vitrée sous le délicat tintement d'une clochette. Mes trois amis me talonnèrent, quelque peu essoufflés.

Une fois à l'intérieur, je me dirigeai vers le comptoir et me penchai vers la réceptionniste :

-Excusez moi, vous n'auriez pas un plan d'Enohr, par hasard ?

Elle releva le menton dans ma direction, surprise :

-Oh ! Bonjour monsieur, en quoi puis-je vous aider ? balbuitia-t-elle, confuse.

-Auriez vous un plan d'Enohr, s'il vous plaît ? répétai-je, impatient.

Elle plissa les yeux et me dévisagea un instant :

-Je suis navrée mais je ne vois pas de quoi vous parlez.

-Une carte ! m'emportai-je en matérialisant avec de grands gestes une forme carrée. Vous avez bien une carte d'Enohr, non ?

À mes côtés, je sentis George s'agiter.

-Monsieur, répéta la réceptionniste, quelque peu brusquée par mes paroles, je n'ai aucune carte de ce que vous appelez "Enohr" ici.

-Ils ne connaissent pas Enohr, me souffla George à l'oreille. Ils l'appellent ''la Terre'', ou ''la planète''. Demande si elle n'a pas un planisphère.

Je soupirai longuement et coulai un regard noir vers mon ami ; comment avais-je pu l'oublier ?! Et surtout, pourquoi avait il attendu si longtemps avant de m'en avertir ?

-D'accord, feignai-je de sourire, la mâchoire crispée. Dans ce cas, est-ce que vous auriez un planisphère pour moi, s'il vous plaît ?

Je gardai sur mes lèvres un sourire crispé, si faux que je ne crains qu'elle ne nous chasse du bâtiment. Je vis du coin de l'œil mon ami ouvrir la bouche mais je lui écrasai violement le pied, de peur qu'il ne lâche la phrase de trop, et il s'étouffa, les yeux écarquillés, pour réprimer son gémissement de douleur.

Les muscles raides, j'entendis Jeane et Sinna pouffer derrière nous, alors que la réceptionniste nous dévisageait par dessus ses lunettes. Il est vrai que de l'extérieur, la scène devait être comique. Mais je n'avais aucune expérience des pays d'Enohr, et je n'avais pas anticipé le fait que les choses puissent être différentes ici. J'avais oublié que les habitants du Noyau ne connaissaient pas l'existence des Mondes et de la Magie. J'avais été vraiment sot sur ce coup là.

La femme derrière le bureau soupira et s'en alla farfouiller dans les étagères derrière elle, concentrée. Elle finit par en tirer un rouleau de papier rigide et se rassit sans se presser, le visage las. Elle déposa ensuite la carte sur le comptoir et lâcha nonchalamment :

-Voilà votre planisphère. Il me faut juste cinquante centimes.

J'écarquillai les yeux, pris de vertiges ; l'argent. Je n'avais pas d'argent Enohrien.

-Cinquante ?! soufflai-je d'une voix à peine audible, hébété.

Je me penchai alors vers George :

-Pourquoi c'est aussi cher ?!

Il haussa les épaules, soudain pétrifié :

-Je ne sais pas. Mais je n'ai pas d'argent français sur moi.

Nous levâmes la tête vers la réceptionniste d'un même geste. George transpirait d'embarras et de peur. Immobiles, nous dévisageâmes la femme derrière le comptoir quelques secondes durant, et elle arqua un sourcil, visiblement ennuyée.

Soudain, j'attrapai le rouleau et détalai vers la sortie ; mon ami réprima un cri de surprise et accouru à ma suite. Je pris violement la porte, trébuchant sur les coins relevés du tapis sous les cris de protestation de la réceptionniste, et nous bondîmes à l'extérieur, prenant nos jambes à nos cous, filant à toute allure sur le trottoir bétonné.

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