Chapitre 9 : être une marionnette dans l'équation des Voyageurs (non corrigé)
Mais le monde ne bascula pas, l'air ne se comprima pas pour n'y laisser qu'une peur considérable ; cette fois-ci, seule l'incertitude demeura, ainsi que l'incompréhension.
Cette vieille Voyageuse ne pouvait pas être à la fois la préceptrice et la relève de Kaï. Il lui faudrait pour cela être deux personnes à la fois, ou bien...
-Vous êtes revenue d'entre les morts ? m'étouffai-je, les yeux ronds.
Elle éclata d'un grand rire qui fit trembler la maison :
-Non, non ! Nul être n'est capable de revenir de Divinity -si l'on excepte Neelya...
Mes sourcils se froncèrent, tandis que mes yeux s'écarquillèrent. Il ne s'agissait plus d'être choqué ou perdu face à ses paroles. Ce qu'elle racontait n'avait littéralement aucun sens.
-Alors là, soupirai-je, alors là... Là je... Bah je... Je voilà ! Je comprends rien ! C'est impossible. Rien n'a de sens.
J'eus la soudaine envie de sauter sur mes pieds pour attraper la vieille femme par les épaules et la secouer comme un pommier, histoire qu'en tombent enfin les pommes. Mais je gardai les poings serrés et l'observai vagabonder dans l'espace sans but, les mains tendues devant elle pour prévenir des obstacles.
-Un jour viendra où tu comprendras, affirma-t-elle d'une voix sage.
Je me pris le visage entre les mains. J'avais le sentiment que tout m'échappai. Pourquoi m'attendre ainsi des années durant pour finalement ne rien m'apprendre ? Elle enchaînait les phrases trop rapidement, sans les relier entre elles, sans s'expliquer. L'on passait du coq à l'âne sans raison. La seule chose qu'elle m'avait correctement expliqué était le phénomène des Boucles Temporelles. Chose qui n'était pas si difficile à comprendre.
-Vous pourriez pas être un peu plus claire ?! sifflai-je entre mes dents. Pourquoi vous vouliez me parler exactement ?
Elle se stoppa au centre de la pièce.
-Je suis une Voyageuse, Grand Sauveur. Je ne peux délivrer toutes les réponses d'un seul coup...
-En gros je ne suis qu'un pion, compris-je soudain. Vous sauvez les Mondes. Vous détenez tous les secrets de l'univers. Vous contrôlez tout. Et moi je ne suis qu'un chiffre dans votre équation.
En revanche cette fois-ci, le choc m'avait coupé la respiration. Le monde m'apparaissait bien différemment, tout à coup. Nous n'étions rien, pauvre Élus que nous sommes, à simplement devoir agir comme le voulaient les Voyageurs. Le souvenir du livre de Kaï sur la Magie me revint en mémoire, ainsi que la définition du terme ''Élu''.
-''Esclaves de la Force Mère''... murmurai-je. Les Voyageurs sont le Temps. Sommes-nous esclaves du Temps ? La Force Mère est-elle le Temps ?
La vieille femme pivota dans ma direction, alors que mes yeux s'embuaient de larmes :
-Sinna avait tord, soufflai-je d'une voix rauque. Je n'aurais jamais le contrôle de mes actions. Je ne déciderai jamais de mon destin. Je serais sans cesse amené là où je dois être comme une marionnette.
La Voyageuse fit quelques petits pas vers moi, le visage tout à coup blème :
-Grand Sauveur, écoute mes paroles. Il y a dans ces Mondes des forces si grandes que personne ne peut comprendre. Au cœur de cette Magie surpuissante, il y a les Voyageurs. Et il y a toujours eu les Voyageurs. Et bien que l'on puisse croire être esclaves de leur volonté, en vérité ils sont eux mêmes esclaves.
Au prix d'un terrible effort, elle s'agenouilla à mes pieds et serra ses vieilles mains ridées sur mes cuisses pour garder l'équilibre :
-Tu veux connaître un secret ? Nous n'aurions jamais dû exister. Ni moi, ni Kaï, ni les autres. Les Voyageurs sont le fruit d'un être terrible, tout comme tous les autres malheurs. A l'aube de la naissance des Mondes, il eut les Huit Créateurs, les Premiers Élus. C'est ce que dit l'Histoire. En vérité, il n'en n'eut qu'un seul.
Le vide m'aspira, et un seul mot parvint à quitter mes lèvres :
-Enory.
-Exact. Enory. La Force Mère fit de lui son jouet.
Le sang battait à mes tempes. La vérité. Voilà ce qu'elle m'offrait à ce moment même, et je ne parvenais pas à y croire.
Elle reprit son inspiration et je sentis ses doigts se crisper :
-Il est l'origine de tout. Il est le Premier Voyageur.
-La Force Mère a fait du Premier Élu le Premier Voyageur ?! m'étranglai-je, pris de vertiges.
-C'était un jeu. Et Enory n'avait pas de Prophétie sur laquelle veiller, alors il utilisa son Don pour sa propre volonté. Lorsqu'il devint trop puissant et que les Boucles créées à répétions devinrent trop dangereuses, les jumeaux Sana et Az, des Dieux conteurs d'histoires, lui inventèrent une Prophétie dans le dos de la Force de Mère. Ils l'appelèrent la Première Prophétie. Elle força Enory a trouver sept autres Élus aux capacités magiques plus grandes que les autres, à leur trouver une Pierre pour qu'ils puissent y renfermer leur Magie. Mais il se lia d'amour et d'amitié avec eux et le moment venu, lorsqu'ils se sacrifièrent pour créer les Mondes, Enory eut si mal, puisque c'était en partie de sa faute, qu'il répandit le mal partout autour de lui. Il massacra des villages entiers. Il était invincible, grâce à son Don. Les Dieux comprirent alors que le Don du Voyage était bien trop puissant, trop dangereux, mais que désormais qu'il existait il faudrait l'encadrer. Akala et le Dieu du Temps Nian, ainsi que leurs enfants Sana et Az créérent l'Ordre des Voyageurs. Ils sacrifièrent une grande partie de leur Magie pour fonder des règles au Voyage, qui punirait le Voyageur chaque fois qu'il les enfreindrait. Ils utilisèrent le reste de leurs pouvoirs divin pour tuer Enory et séparer son âme en deux. Ils le forcèrent à liguer son Don à la personne qu'ils avaient choisie, qui devint le nouveau Voyageur.
-Pourquoi est-ce qu'ils n'ont pas simplement supprimé le Don du Voyage ? demandai-je, la gorge sèche, tandis que la vieille femme se relevait.
-Parce qu'ils en avaient besoin.
Elle s'appuya sur le coin du bureau et regarda le plafond quelques secondes durant :
-En effet, Grand Sauveur, le rôle de l'Ordre des Voyageurs n'est pas simplement un groupe qui fixe des règles. L'Ordre des Voyageurs a pour mission d'éliminer la Force Mère.
-Mais c'est impossible... soufflai-je, pris d'une migraine. La Force Mère contrôle tout.
-Tout, sauf sa création, me sourit la vieille femme en se rassayant sur sa chaise. Le Voyageur est la seule chose qui lui échappe.
-Comment est-ce qu'ils comptent la détruire alors ?
Elle garda soudain le silence. Perplexe, je battis des cils et la dévisageai. Elle finit par soupirer :
-La patience.
-La patience ? répétai-je, sarcastique. Vous croyez battre la plus grande force qu'il existe avec la patience ?
-Oui, pouffa-t-elle. Pour cela, les Voyageurs n'ont qu'à eu lire l'avenir pour y trouver celui où la victoire était assurée. Celui où l'on détruisait la Magie.
J'écarquillai les yeux, comprenant soudain :
-Pour détruire la Force Mère, on doit détruire la Magie ?
Puis, je me rappelai qu'elle ne croyait pas cela possible et plissai les yeux. On ne m'avait pas encore tout dit.
-Voilà le problème, dit-elle en hochant la tête. On ne peut pas la détruire.
-Pourquoi ?
Elle arqua un sourcil :
-Les Boucles Temporelles, Grand Sauveur. Les Boucles Temporelles.
Je réfléchis à ses paroles, perplexe. Je ne comprenais pas. Comment les Boucles pouvaient être un problème ? La vieille femme s'avança, tâta le vide et trouva mon épaule :
-N'essaie pas de comprendre. Tu ne sauras que le moment venu. Et puis, il est de ma responsabilité de trouver une solution à cette équation. Dans laquelle cette fois-ci, je te l'accorde, tu n'es qu'un pion...
Elle s'esclaffa, moqueuse, et fus prise d'une quinte de toux.
-Allez, va retrouver tes amis.
Hébété, je demeurai immobile :
-Vous me délivrez une grande vérité, me parlez du plus gros enjeux des Mondes et la seconde d'après, vous me demandez de partir ?
-Oui oui.
Elle attrapa mon t-shirt d'une poigne ferme et m'obligea à me lever.
-Allez, j'ai tout mon temps mais toi non.
Surpris, je fixai ses yeux aveugles un instant. Voilà une phrase que la jeune Voyageuse avait déjà dite.
Elle me jeta vers la sortie et je m'engageai sur le seuil, me préparai à tourner la poignée quand je stoppai mon geste :
-Je peux savoir votre nom ?
Je me retournai pour lui faire face. De nouveau sur sa vieille chaise poussiéreuse, elle releva le menton vers moi et sourit :
-Mya. Mya Spaïce.
Les vertiges ne furent plus qu'une simple illusion ; je crus même que la porte allait casser lorsque je chancelai et m'écroulai au sol, sous le choc. Spaïce. Comme Morgan Spaïce. Comme Neelya Spaïce.
-Vous êtes la fille de Morgan ? bredouillai-je.
Elle hocha lentement le menton :
-En effet. Je suis la fille unique de Morgan, tout comme je suis la petite-fille de Neelya.
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