Chapitre 42 : Dénouement final (non corrigé)

Et sa fourrure se hérissa, fit courber l'échine de toutes les créatures présentes au pied du Palais des Lumières. Il montra les crocs, la foudre jaillit, ses yeux émeraudes balayèrent l'assemblée et le sol s'ébranla à nouveau. Alors, l'armée de Erkaïn dans son dos, qui n'attendaient que le signal de leur Roi, rugirent d'une seule et même voix avant de se jeter sur leurs adversaires. Leur terrifiant meneur mena la danse, et envoya une puissante patte frapper le visage du premier venu.

Quant à moi, je n'étais réduite qu'à mes larmes, qui ruisselaient sur mes joues. Ca n'était pas lui. Ca n'était pas Kenfu que je voyais là. Le visage d'un Dragon, d'une colère sans frontière, d'une peur glaçante ou le sang d'une cruelle royauté. Comme celle que portait Aïru et Orhond. Et pour la première fois depuis plus d'un an, je compris la douleur d'Elly ; je sus pourquoi son coeur s'était déchiré à ce point, pourquoi elle avait supplié son frère de rester auprès d'elle. Pourquoi est-ce qu'elle n'était jamais revenue. Pourquoi Aïru avait caché ses véritables origines à son fils.

Le sang de la Lignée Erkaïn était noir et écarlate de mort et de vile cruauté. Il était corrompu, assoiffé de rage et de vengeance. Il était arrogant, hautain et lâche. Pourtant, Kenfu n'avait jamais été cette créature là. Peut-être ne savais-je pas tout. Ou bien peut-être m'étais-je simplement trompée.

Je chassais l'eau de mes joues d'un revers de manche, reniflai bruyamment et pris ma forme animale. Je m'ébrouai, étirai mes muscles dans une grimace. Comme cela m'avait manqué ! Je serrai les crocs et, dans un bond prodigieux, me jetai sur les épaules d'un Semi-Elfe pour lui mordre la nuque. Il s'écroula au sol dans un râle, mais à peine son visage ce fut-il écrasé sur les marches que j'avais déjà entaillé les cuisses d'un second. 

Que pouvais-je donc bien faire d'autre ?! La mort, le chaos, le sang, voilà tout ce qu'il restait de ce Monde autrefois régit par la paix et l'amour. Pourquoi cela avait-il changé ? Je n'en avais pas la moindre idée. Au fond, personne ne saurait jamais. Ca n'était qu'une histoire de chaise dorée. De Trône.

J'écarquillai brusquement les yeux, le souffle coupé, après avoir brisé la nuque d'un Changer. De Trône. Le vide m'aspira, me plongea dans une éternelle chute vertigineuse. Pourquoi ce mot me secouait-il de frissons ? Kenfu visait faux, j'en étais certaine. Il y avait des choses que nous ne savions pas, des éléments évidents que nous n'avions pas reliés. Le puzzle était monté à l'envers.

Kaï est un Voyageur. Kaï... est un Voyageur.

Je pivotai lentement sur moi-même et vis le regard bleu du vieux Roi à travers la foule. A travers le sang, la mort, la guerre, le chaos, la douleur et la souffrance, à une dizaine de mètres, son visage esquissait un faible sourire coupable. Il me dévisageait, me fixait, et semblait lire en moi comme dans un livre ouvert.

Qu'avons-nous oublié ? Qu'avons nous manqué ? Cette guerre avait bien commencé quelque part. Cette guerre avait un terme. C'était un fait. Mais où avait commencé la Prophétie de Kenfu ? Comment se terminait-elle ? Quel était l'objectif de Voyageur de Kaï, outre ses devoirs d'Erkaïn et de Roi de Phoenix ? 

La voix de Kenfu fit écho dans mon esprit et me plongea dans une plus grande stupeur "Kaï, Sinna. Kaï, c'est moi qui vais le tuer. J'ai vu la dague, j'ai vu le Palais des Lumières en ruine. Je me suis vu tuer Kaï au Palais.". J'achevai un Changer d'un coup de patte bien placé, me baissai juste à temps pour éviter la lame tranchante d'un sabre. Je bondis de cadavre en cadavre, m'élançai jusqu'aux escaliers. Une fois dressée plus en hauteur, je pus reprendre mon souffle et m'assurer de ma stabilité mentale.

Kenfu allait tuer Kaï. Mais Kaï était un Voyageur. Si Kaï souhaitait que Kenfu le tue, alors Kaï n'avait eu qu'une idée en tête depuis leur rencontre à la bibliothèque.

- KAÏ ! hurla une voix grave et dure à travers la marre de sang et de combat.

Mes poils se hérissèrent lorsque le silence tomba sur le champ de bataille. Les silhouettes se mouvèrent précipitamment et creusèrent un chemin d'un Roi à un autre.

- Kothra, sourit l'interpellé, les yeux brillants, tout en faisant tournoyer le manche de son épée au creux de sa main.

Il tira une révérence qui me parut trop respectueuse pour être vraie :

- Roi Changer.

- Nous sommes venus reprendre ce qui nous revient de droit, jura ce dernier.

D'un geste sec, il retira son casque et envoya ses cheveux blonds vers l'arrière pour révéler deux grands yeux bleus gorgés de haine. Mon sang ne fit d'un tour. La ressemblance était frappante. "Il est le père des triplets d'Eleya, qui sont d'ailleurs : l'une des figures les plus importantes du gouvernement Changer, et...". Kenfu savait. Tout cela ne serait donc qu'une histoire de famille ? Kaeryna, Kothra...

Et pour la première fois, Kaï semblait résolu à ne plus mentir, car il laissa son arme au sol et dévisagea son fils :

- Ne t'en fais pas pour le Trône et sa légitimité. Tu es son héritier direct.

Une violente vague de choc percuta l'assemblée, et le Roi ennemi eut une grimace pétrifiée :

- Quoi ?

- Sais-tu réellement pourquoi est-ce que tu te bats ? demanda Kaï, tout à son aise.

Les murmures volèrent d'un côté comme de l'autre, et les fourrures se secouèrent, mal à l'aise. Elles avaient toutes la même impression que moi, désormais. Cette impression d'être dans le mauvais camp.

Kothra pouffa, méprisant, et joua de son éloquence auprès des armées :

- Me prendrais-tu pour un idiot, vieux Roi ? Aurais-tu l'audace de te moquer de moi et de mon peuple ? Il y a cinquante ans, quand je suis né, une guerre faisait déjà rage à Phoenix. Une Guerre des Trônes. Mon grand-père, Pakk, s'était allié avec ton Roi, Kroak, dans l'espoir de renverser la dictature Akkazonienne. Or, quand nous l'avons enfin vaincue, Kroak a préparé une attaque surprise et a massacré mon grand-père et son armée. Il s'est emparé du Trône, où il y est resté quelques jours avant d'être lui-même assassiné. Ce Trône nous revient. Il nous a été volé !

Il pouffa un hurlement de rage, leva un poing menaçant vers le ciel orageux et leva une marée d'acclamations, de cris de guerre.

- Tu te trompes, mon fils, clama Kaï, dont le ton avait brusquement durcit.

Kothra pivota sur lui-même, le visage soudain blême.

- Qu'as-tu dit ?

- Vous tous ! hurla le vieil Erkaïn, qui m'arracha un sursaut. Vous tous, écoutez moi ! Tout ce que l'on vous raconte, tout ce que vous croyez n'est qu'un tissu de mensonges. Je suis le seul et unique responsable de tous ces massacres.

Une grimace méprisante, comme je n'en avais jamais vue auparavant, se dressa sur le visage ensanglanté de Kaï tandis qu'un silence effrayé accueillait ses paroles.

- Il y a plus de cinquante ans, j'ai été promu au grade d'espion personnel du Roi Kroak, poursuivit-il en dévisageant chacun des visages tour à tour, les bras levés pour accentuer ses paroles. Kroak était la plus cruelle de toutes les créatures. Il voulait le pouvoir et la richesse plus que tout. Aussi, il fut très facile à manipuler. Il ne visait pas bien haut, à vrai dire. Il se contentait de détournements de fonds et de vol à son propre peuple. Alors je l'ai poussé à harponner un plus grand rêve. Le Grand Trône de Phoenix.

Mon coeur s'emballa. Le Trône n'appartenait-il pas déjà aux Erkaïns à cette époque ?

- Mais le Trône n'était pas nôtre, enchaîna-t-il, le nez plissé de colère. Le Trône appartenait, depuis plus de cinq mille ans, à l'une des plus pures lignées de sang royal. L'héritage du premier Roi de Phoenix, le Changer Lokku. Celui là même dont parle la célèbre légende. Celui qui a sauvé les Phénix de l'extinction et qui a reçu un Don magique en retour. Ce Don a fait son chemin jusqu'à toi, Kothra. Jusqu'à ta grande sœur, Kaeryna Phénix. Vous qui êtes les enfants de la Princesse Maudite, Eleya.

- Ma mère, Eleya ?! se moqua Kothra, que la peur venait pourtant de saisir, comme nous tous. N'importe quoi. Eleya a eu des triplets.

- Exact. Ta dernière sœur, Kameryna, vit sur Enohr. Je l'y ai confinée lorsqu'elle a découvert quelles étaient ses véritables origines.

Les couleurs s'envolèrent du visage du Roi Changer.

- Où en étais-je ? toussa Kaï, les yeux plissés, avant de claquer des mains, son énergie retrouvée : ah, oui ! Ce Trône était trop occupé, trop plein, pour qu'un Roi Erkaïn puisse seulement y poser une moustache. Alors j'ai convaincu Kroak de m'envoyer au Palais des Lumières. Je m'y suis rendu, je me suis fait passer pour un riche marchand et j'ai rapidement intégré la cour. Là, j'ai rencontré la Princesse. La fille unique, le joyaux, le trésor le plus précieux de Pakk, Eleya. Quelques semaines plus tard, sans la moindre difficulté, j'étais dans son lit -dans le plus grand secret, bien sûr.

Je tombai assise sur les marches, répugnée, et Kothra serra les poings. Combien de temps lui faudrait-il avant de se jeter sur son rival ?

- Elle m'a donné toutes les informations dont j'avais besoin, continua Kaï. Avec ça, j'ai pus aisément planifier l'attaque. Le jour J, lorsque j'ai révélé à Eleya mon véritable visage, j'ai appris qu'elle portait mes triplets. Mais cela n'a pas perturbé mes plans. Kroak et moi avons assiégé Stellarium. Cependant, pas même une semaine plus tard, l'alliance des Akkazones nous détrônai. Nos trois armées se sont longtemps combattues. Sept mois plus tard, Eleya s'est jetée du haut de sa tour après avoir donné naissance à ses enfants. Elle s'était, entre-temps, arrangé un mariage avec un riche entrepreneur Changer. A la mort de sa promise, il n'a gardé que l'unique fils, toi, Kothra, et a chargé à deux de ses soldats d'emmener les filles. Mais oh ! chance, un navire les a intercepté. Bien entendu, j'étais à bord, et je souhaitais récupérer mes filles. Je suis allé voir Pakk et lui ai -le plus gentiment du monde- demandé d'associer son armée à la nôtre. Il a bien entendu refusé. Mais lorsque je lui ai présenté ses héritières et ai menacé de les tuer s'il n'obéissait pas, il a conclut que la bonne décision à prendre était de conquérir Stellarium à mes -euh non, à nos côtés. Le reste, tu le connais. Tu t'es simplement trompé sur un point. Non, deux. Tout d'abord, je suis allé de moi-même assassiner Pakk dans son sommeil et mes hommes ont massacré son armée. Ensuite, ton grand-oncle, le frère de Pakk ; tu sais, celui qui est mort ici même il y a plus d'un an, après avoir fait explosé une bombe dans les quartiers. Lui connaissait toute l'entière vérité. Longtemps il a cherché un moyen de se venger de moi. Mais il n'était pas Roi. Il n'était que le chef de l'exécutif, le chef des armées. Et ton beau-père Kothra haïssait le frère de Pakk. Mais qu'importe. Il savait tout. Finalement, il a enfin trouvé un moyen. Il a, par je ne sais quel moyen, eu en sa possession la Prophétie du Dragon de Jade. Prophétie que je possédai également. Lui comme moi savions que l'Elu de Jade déterminerait la fin de toute cette histoire, tout ce massacre. Mais, manque de chance pour lui, j'avais anticipé la situation. Je m'étais déjà lié d'amitié avec le père de l'Elu et avait donc grande influence sur leurs choix. J'ai gardé l'héritier du Trône d'Erkaï, l'Elu de Jade, sous mon aile pendant longtemps. Le frère de Pakk a même été tué par le Dragon de Jade. Cela m'arrangeait bien.

Sous un long silence pesant, menaçant, dans lequel l'on ne percevait pas même un battement de coeur, Kaï s'avança jusqu'à son fils et lui souffla un rictus mauvais :

- Maintenant, tu as perdu. J'aurais dû te tuer dans le berceau. Comme j'ai tué Kaeryna, il y a plus d'un an, lorsqu'elle a découvert la Vérité.

Kothra écarquilla les yeux et les larmes perlèrent sur ses joues. Soudain, une voix stridente poussa un hurlement qui me glaça le sang. Kaï recula d'un pas et son fils tomba à genoux, vidé de ses couleurs comme de son sang. Une dague ornée de rubis rouges, luisant sous la foudre et l'orage, était plantée sous sa mâchoire.

Il s'écroula au sol dans un bruit sourd, quelques hurlèrent à nouveau. Kaï attrapa la dague et se détourna du cadavre sans la moindre expression dessinée au visage. Il fendit la foule, qui s'écarta sur son passage, me frôla l'épaule lorsqu'il avala les marches, n'accorda pas un regard à quiconque et disparut derrière les ruines du Palais.

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