Chapitre 41 : Le Roi d'Erkaï (non corrigé)

Mes paupières ne se rouvrirent qu'une infinité de secondes plus tard. Pourtant, peu de temps s'était en réalité écoulé. Car lorsque la lumière perça cette profonde noirceur, tirée par les voix de Jeane et George, nous étions toujours cernés par les combats. Seulement, nous nous tenions plus en hauteur, sur les escaliers fissurés qui menaient aux ruines du Palais. Je levai un regard grimaçant dans la direction de ces tuiles d'or brisées et ma gorge se noua. Comme dans la vision de Kenfu.

- ACCROCHEZ VOUS ! s'époumona Kaï, à un mètre de là, et ce rugissement m'arracha un violent sursaut.

Sans peine, il trancha le cou d'un soldat Semi-Elfe qui bondissait sur lui. Ses alliés ne tardèrent pas à faire de même, et George, Jeane, Jano ainsi qu'une Ours que je devinai aussitôt être Myosotis, et Macke, le frêle Loup, se prêtèrent alors aux combats. Je tirai sur mes muscles, la respiration hachée, les oreilles ensanglantées des lourds fracas, hurlements et explosions qui tonnaient tout autour. Mes jambes étaient secouées de spasmes.

Brutalement, je reçu un corps de plein fouet, qui m'agrippa les cheveux et nous fis rouler sur les escaliers. J'étouffai un cri de terreur, ma tête heurta une marche et le monde tangua ; mais cela ne m'empêcha pas de faire volte-face et d'attraper le poignet ennemi juste à temps. La pointe de sa lame m'érafla la joue et vola sur le marbre brisé.

Mon assaillant poussa un grognement et abattit son poing sur ma figure, ivre de rage. Le goût métallique du sang se répandit sur ma langue tandis que j'attrapai férocement son visage pour enfoncer mes pouces dans ses orbites. Il poussa un hurlement de douleur, s'écarta dans un bond et roula jusqu'en bas des escaliers pour tomber raide mort.

Il me fallu toute la force du monde pour me redresser. Que venait-il de se passer ? Mes doigts tremblants affichèrent sous mes yeux de grosses tâches écarlates, et la bille jaillit au fond de ma gorge. Comment avais-je pu appuyer sur ses yeux de la sorte ? User d'un geste aussi sauvage, aussi brutal ?

J'eus un mouvement de recul lorsque Kaï se pencha sur moi pour m'aider à me relever ; le vieil Erkaïn avait le don d'apparaître à mes côtés sans que je ne le remarque.

- On est en train de perdre ! hurlai-je, les poumons comprimés.

Mon souffle lui-même m'avait délaissé pour s'enfuir loin, quitter cet enfer au plus vite.

- Ils arrivent, crois-moi, me murmura le Roi en plongeant son regard dans le mien.

Je vis l'éclat luire sur leurs reflets bleus, et un doux sourire gagna ses lèvres. Il est un Voyageur. Il sait. Mais une grimace ne tarda pas à remplacer cette délicate expression rassurante, et il sauta deux marches pour achever un Changer. Au même instant, la terre s'ébranlait et quelques débris dévalèrent la pente jusqu'en bas pour faucher quelques soldats, alliés et ennemis confondus. Cependant ici, ça n'était pas le piège de Kaï qui s'actionnait à nouveau. Il s'agissait de lourds pas, traînés dans les ruelles de la ville, et de souffles de guerre grognés sur la sueur d'une peau tendue par l'approche du combat. Mon coeur s'emballa, se gonfla et sembla prêt à exploser. Soudain, le tonnerre gronda, et je levai le menton au ciel ; de sombres nuages s'aggloméraient face à cette sanguinolente bataille, et quelques éclairs d'un vert électrique jaillirent. L'odeur âcre de la Magie gagna les lieux, fit se dresser tous les poils sur mon corps. Tout autour, les combats cessèrent, et les yeux écarquillés par la terreur, comme l'espoir, pivotèrent vers les sombres rues qui se voilaient de brouillard.

Un frisson traversa mon échine, mes épaules se resserrèrent sur ma nuque et j'entendis mes os grincer sous la pression de l'instant. Alors, enfin, une ombre grandit, se mouva entre les édifices en ruines. Deux yeux verts émeraude s'ouvrirent, férocement plantés sur l'assemblée, et le pelage noir lustré de Kenfu, sous lequel saillaient de puissants muscles, apparurent aux yeux de tous. Je fus prise d'un vertige, sous le choc, lorsqu'aux fenêtres, aux murs, au ciel et dressés derrière lui, des centaines d'Erkaïns montraient crocs, griffes et serres. Les fourrures se secouaient dans l'ombre, avançaient comme une seule et unique créature.

Pourquoi Kenfu ne m'avait-il jamais paru aussi grand, aussi puissant ? Ainsi relevé, les moustaches frétillantes de Magie, il était un grand Panda-Roux puissant aux larges épaules et au profond pelage noir, comme l'on en avait jamais vu.

Le ciel rugissait pour lui, le sol écumait de fumée verte. La Magie fit reculer chacun des habitants de ce bas Monde, qui pris par un féroce sentiment de vulnérabilité, voulu s'incliner au pied de ce colossal et royal animal.

Tous le suivaient.

Tous l'attendaient. 

- Le Grand Sauveur, murmurai-je, le souffle coupé.

- Non, souffla Kaï, les yeux rivés sur la grandeur et la prestance de Kenfu.

Il redressa fièrement le menton et réprima un frisson :

- Il est leur Roi.

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