Chapitre 38 : De nouvelles séparations (non corrigé)
Kenfu était un imbécile.
Cela allait de soit.
Et l'envie me prit maintes fois, au cours de notre marche jusqu'au Portail, d'arracher cette bague à mon doigt pour la jeter au fond de ces eaux cramoisies. Mais je n'en avais rien fait, avais conservé ma main dans la sienne et avais traversé sans le moindre mot. Lorsque j'ouvris finalement les yeux, le froid me fit l'effet d'une gifle. Mais cela ne dura pas longtemps ; Jeane me lança un épais manteau tiré de son sac, et George fit de même avec Kenfu lorsqu'il débarqua à son tour. Je levai alors les yeux vers le ciel constellé d'étoiles scintillantes, éblouie par la beauté du paysage. J'avais oublié la beauté de ces montagnes enneigées, de cet immense portail de cristal incrusté de pierres et de runes.
George et Jeane nous entraînèrent en travers de la vallée, nous firent grimper les roches noires des flancs de montagnes jusqu'à l'océan, où un bateau à voile nous attendait. Il ressemblait fort à celui que nous avions emprunté pour parvenir jusqu'ici, il y a un an de cela. Cependant, lorsque nous atteignîmes sa hauteur, je remarquai qu'ils n'y en avait non pas un mais deux. Et ils étaient bien plus imposants. Et ils grouillaient surtout de monde. A notre arrivée, toutes les langues se turent, et tous les yeux braquèrent sur nous un regard insistant. Enfin, nous était un bien grand mot. Kenfu, en particulier, attirait l'attention. Il porta un regard dur sur les équipages, retira sa capuche. Les matelots Erkaïns soufflèrent d'admiration devant ses yeux verts étincelants, ses épaules quadrillées et son allure royale. Je plissai les yeux. Je ne l'avais jamais regardé de cette façon auparavant. Mais désormais que j'appréhendai leur vision d'un nouvel œil, il me fut difficile de ne pas voir à quel point Kenfu avait les épaules d'un Roi.
- Sinna, me souffla Jeane en sautillant jusqu'à moi. Je vais t'dire un truc qui va pas t'plaire.
Je pivotai vers la rouquine, un sourcil levé d'inquiétude.
- Voilà... Kenfu doit partir pour Erkaï. Avec ces gars, là...
Elle pointa du doigt la dizaine de soldats sur le pont du second navire.
- Ils vont prendre l'Palais d'Erkaï. Kenfu va hop ! dire ouais j'suis le Sauveur v'ot'e Roi machin et nous rejoindre à Stellarium avec sa toute nouvelle armée super puissante. C'est l'plan. Mais toi, Georgie et moi, on doit aller sur l'Ile d'Eleya. Y a l'vieux Kaï là bas avec les Astrelliens et tout.
- Quoi ? grimaçai-je, peinant à suivre le rythme de la jeune femme. Tu veux que Kenfu et moi, on se sépare ? Absolument hors de question. Je le laisse pas faire l'assaut d'un des Palais les mieux gardés de Phoenix sans moi.
- Pourtant, il va bien falloir, gronda une voix sage.
Je fis volte-face et reconnus Jonathan, qui serra Jeane dans ses bras en guise de retrouvailles. Il avait conservé sa touffe de cheveux blonds et son étrange moustache noire.
- Ca alors, Jano, ça fait une éternité, soufflai-je, sous le choc.
J'en avais presque oublié son existence. Mais je me repris vivement et insistai, le regard dur :
- Il est absolument hors de question que...
- Sinna, me coupa une voix triste.
Je fermai les yeux, passai deux doigts sur mes paupières et retins un hurlement de frustration. Ou bien était-ce pour réprimer les larmes ? Je n'en avais pas la moindre idée. Tout ce que je savais, c'est qu'à nouveau, Kenfu se fichait royalement de nos avis et n'en faisait qu'à sa tête. Qu'à sa propre putain de tête.
- Je dois y aller seul, reprit-il en me serrant dans ses bras.
Mais je me dégageai de son étreinte, les yeux brillants de larmes, et le foudroyai du regard :
- Alors toi, tu te fous de la gueule du monde ! Tu m'implores de rester il y a un an, tu laisses tomber tout le monde -et je le fais aussi, pour rester avec toi ! Et là, d'un coup, tu veux revenir, tu veux prendre les choses en main, tu veux devenir Roi ? Mais à quoi tu joues, sérieusement ? Pour qui tu te prends ?! Un héros ?! T'as abandonné tout le monde, bordel, espèce d'imbécile ! Tu les laisses mourir et tu reviens en force ! Tu crois que c'est courageux, ça ?! C'est lâche, putain !
Il ne répliqua rien, ce qui acheva de me convaincre. Je jetai mon gant dans la neige, retirai prestement la bague et la lui jetai à la figure.
- Va jouer les héros ailleurs.
Je ramassai mon gant et tournai les talons, ravalant un sanglot. Qui était-il ? Je ne savais plus. Qu'avais-je fais de cette année ? Je n'en avais pas la moindre idée. Vers quoi m'engageai-je ainsi en prenant part aux combats, alors que j'étais restée en retrait tout ce temps ? La mort, très certainement. Mais désormais, plus rien n'avait d'importance. Kenfu était un lâche, un arrogant égoïste qui n'avait que lui et ses propres sentiments en tête. Qu'il se trouve un chien au lieu de me traîner partout. Cela ne m'amusait plus.
Cela ne m'avait jamais amusée, en vérité. Mais il venait un moment où mes sentiments devaient battre en retraite, laisser place à la raison. Cette même raison qui me hurlait de fuir Kenfu et son égocentrisme. Cette même raison qui me rappelait ses paroles, sous la douche, il y a plus d'un an. Il ne voulait pas tuer Kaï ?! Quel idiot ! Il courait droit au Palais des Lumières. Il courait droit vers ce destin qu'il avait tant cherché à fuir.
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