Chapitre 36 : la Citadelle Intemporelle (non corrigé)
Les éclats de lumière ne m'autorisèrent à ouvrir les yeux que de longues secondes plus tard, lorsqu'enfin la Voyageuse se décida à refermer la porte dans mon dos. A cet instant, le silence projeta ses ombres au tapis d'un long couloir de marbre blanc, dont même les talons de ma guide ne soufflaient le moindre claquement.
Mes doigts quittèrent mon front, laissèrent mes yeux s'habituer à cet étrange contraste. Je battis follement des paupières, tant mon coeur ressentait le besoin de vérifier que tout ceci était vrai. La Voyageuse face à moi s'en allait déjà dans le couloir, sans le moindre bruit, et je l'y suivis. J'avais l'effroyable sentiment d'être observé, d'être guetté, dans cet assourdissant silence dans lequel était plongé ce lieu.
- Où est-ce qu'on est, et pourquoi on est là... ? murmurai-je d'une voix à peine audible, qui m'arracha cependant un sursaut.
Mon faible souffle avait provoqué un puissant écho tout le long du couloir pour venir frapper les murs avec un effroyable hurlement, semblable à celui d'une avalanche.
- Tu te trouves en plein coeur de la Citadelle Intemporelle, déclara ma guide d'une voix neutre.
Etrangement, aucun écho ne succéda à sa parole. Cela m'inquiéta davantage, et je n'osai pas poser la question. Autrement, les murs de cette... Citadelle finiraient par s'écrouler sous la puissant de mon murmure.
- Ne t'en fais par pour les échos, poursuivit-elle, impassible. Ils ne sont là que pour prévenir des intrus. Aucune créature qui n'est pas un Voyageur n'a droit de venir à la Citadelle, normalement.
Nous nous retrouvâmes face à deux doubles portes, cette fois-ci couronnées de poignées transparentes et ornées de filament translucides. C'était tout comme si la Citadelle respirait, qu'un coeur en ces murs battait, et que dans ces fils transparents son sang circulait. La Voyageuse pivota lentement dans ma direction, attrapa ma main de ses doigts glacés et les déposa sur la poignée. Le contact m'arracha un frisson, et en un léger hochement de tête, elle m'indiqua que je pouvais ouvrir. J'obéis, le souffle court, et m'attendis à être aveuglé par un nouveau halot de lumière. Or, ce que je découvris ici me choqua davantage.
Les portes tirées, nous pénétrâmes dans une immense pièce aux moulures d'argent, qui scintillaient dans un étrange feu de magie blanche. Le marbre du sol se détachait, se fissurait pour donner lieu à des escaliers reliés par les veines de Magie de la Citadelle. Et si ça n'était que ça. Des centaines de milliers de bulles translucides, aux magnifiques reflets d'argent, se déployaient dans toute la pièce. La Voyageuse m'invita à me rendre sur la plateforme centrale, de forme ronde, encerclée de serpents blancs et bleus qui se mordaient la queue et me dévisageaient de leurs yeux saphirs. Ma guide me relâcha, demeura en retrait. Les bulles se mouvèrent, illuminées par une source de lumière que je parvenais pas à voir. Doucement, mes doigts glissèrent sur leur surface, effleurèrent ces reflets scintillants ; puis brusquement, un flash de lumière traversa mon champ de vision. Un rire d'enfant secoua la pièce, déploya ses ondes sur la surface des bulles. Une larme glissa sur ma joue, sans que je ne puisse l'en empêcher.
Je répétai le mouvement de nouveau, absorbé par la Magie des lieux. Le rire résonna à nouveau, et la délicate image d'une petite fille brune aux beaux yeux bleus me sourit. Se tenait un grand homme aux épaules quadrillées, moi, qui la faisait valser dans les airs. Je retirai mes doigts, les fit glisser sur une seconde. Cette fois-ci, un chant s'éleva, scandant un "joyeux anniversaire !". J'entrevis une dizaine de personnes, ainsi que mon visage au milieu de tous. Je pivotai sur moi-même, caressai plusieurs bulles successivement. Les rires, les sourires et la joie qui succédèrent couvrirent mon visage de larmes.
- C'est ce qui arrivera si tu pars, murmura la Voyageuse, à quelques mètres de là.
J'abaissai le regard dans sa direction. Mon coeur s'emballa, me comprima la poitrine, et la guide leva deux doigts au plafond. Les bulles dansèrent dans les airs, s'enroulèrent autour de la plateforme pour laisser la place à d'autres. La Voyageuse m'encouragea à répéter l'opération, ce que je fis en essuyant mes yeux d'un revers de manche. Or cette fois-ci, le choc me coupa le souffle et le lourd fracas d'un accident ravagea la sérénité du lieu. Je vis le corps désarticulé de Sinna aux pieds d'une voiture, la mort scintiller dans ses yeux. Sur une seconde bulle, ce fut un nuage électrique, aux effrayantes ombres pourpres, qui ravagèrent les cultures de blés pourris et le chalet d'Elly. À la troisième bulle, un véritable champs de ruines, de mort et de désolation s'étira sous mes yeux exorbités.
- Et ça, m'étranglai-je dans un sanglot, c'est ce qui arrivera si je reste.
L'écho de mes paroles fit hurler les murs, et mes jambes se dérobèrent sous mon poids. Mes genoux frappèrent le marbre de la plateforme, réanimant les autres bulles. Elles m'entourèrent, me blottirent dans une sphère de rires, de hurlements, de sang, de joie, de mort et de vie. J'entendis la Voyageuse hurler mon nom, mais mes mots murmurés dans un hurlement couvrirent ses paroles :
- Ce n'est pas si je reste que tout cela se produira. C'est si j'échoue. Si j'échoue, tout... tout ça arrivera. Si j'échoue.
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