Chapitre 35 : Une poignée d'or sur un chemin de gravas (non corrigé)

J'envoyai mon poing frapper un innocent végétal du jardin, et en retour, il gifla mon visage de ses veuilles acérées ; je réprimai un grognement enragé et me hissai sur la poutre pour atteindre le toit du chalet, cet espace éloigné de toute vie dans lequel j'aimais venir me réfugier. Or aujourd'hui, ça n'était pas pour m'y calmer, y faire une sieste. Il s'agissait de faire le point sur une situation désastreuse. L'on voulait de moi que je rentre à Phoenix, que je mène des armées et prenne la place de Roi ; du haut de mes vingt-deux ans, pouvais-je seulement y prétendre ? Bien sûr que non. Le nouveau George au crâne rasé et la nouvelle Jeane téméraire se voilaient la face. D'ailleurs, qu'est-ce que la guerre avait-elle bien pu leur faire pour qu'ils en reviennent tant changés ?! Je ne reconnaissais plus ceux qui avaient été autrefois mes meilleurs amis, et cela me brisait le coeur.

Je me laissai tomber sur les tuiles dans un long soupir et mon regard divagua sur les champs alentours. Naguère, c'était une étendue de ruines, de pourriture et de misère qui s'étendait sous mes yeux. Puis, ce fut au loin un océan turquoise qui se dessinait. Voilà désormais qu'il ne s'agissait que d'usines alimentaires, de grands hectares de blés, de maïs et terres en jachères. Drôle de transition.

Soudain, mes poils se dressèrent sur mes bras, et mon échine fut prise d'un frisson ; une légère brise secoua mes cheveux et, le souffle coupé, je coulai un regard à ma gauche. Là, assis à mes côtés -comme si elle s'était toujours trouvée là- une silhouette encapuchonnée se perdait sur le paysage. Elle réajusta ses gants nacrés, se râcla la gorge. Si je ne pouvais détacher mon regard des tissus noirs enroulés sur son corps, elle prit en revanche son temps pour se décider à parler. Lorsqu'enfin elle pivota dans ma direction, ce fut un sourire que je crus discerner sous son masque :

- Un peu largué, hein ?

Je détournai aussitôt les yeux. Un instant, mon esprit avait omis le fait qu'elle était une Voyageuse, qu'elle connaissait tout du passé comme du futur. Qu'elle savait pertinemment quels serpents s'enroulaient à mes souvenirs et mes pensées.

- Pourquoi il y a toujours un ou une Voyageuse qui apparaît quand je suis perdu ? grinçai-je, les dents serrées.

Ne pouvais-je dont jamais prendre seul mes décisions ? Pourquoi fallait-il toujours qu'elles soient influencées par une quelconque vision du futur ?

- C'est notre métier, murmura-t-elle, tout en reportant son regard sur l'horizon. C'est notre devoir. Encore plus lorsqu'il s'agit de Grands Sauveurs, comme toi.

A nouveau, un courant d'air balaya les tignasses verdoyantes des grands pins et souffla à mes oreilles une lugubre complainte.

 - Tu veux que je parte, n'est-ce pas ? déglutis-je, le coeur lourd.

Evidemment. Il était inutile de se voiler plus longtemps la face. Pourquoi donc souhaiterait-elle que je demeure ici, coincé entre deux lattes de bois et des paniers d'osiers garnis de maïs, alors que Phoenix croulait sous le poids de la guerre et de la mort ? Et que j'étais visiblement le seul à pouvoir l'en sortir ? Un vertige m'agrippa les yeux, et en un battement de cils, le ciel coulissa sans un bruit. Les arbres se replièrent sur eux-mêmes, les tuiles s'envolèrent et l'herbe détala sous les pierres. Mon sang se glaça lorsqu'à nouveau un long frisson fit claquer mes os. Les petits graviers gravitèrent jusqu'à nous, s'arrangèrent en un chemin au milieu du vide. L'odeur âcre de la Magie envahissait peu à peu les lieux, agitait mon vieux Dragon dans son antre.

- Qu'est-ce qu'il se passe ?! m'étranglai-je en sautant sur mes pieds.

Le paysage se métamorphosait littéralement sous mes yeux. La Voyageuse se redressa, comme lasse, et s'engagea sur le chemin flottant. Sans avoir besoin d'en dire davantage, je la talonnai et tâchai de ne pas risquer un regard en contrebas. J'eus le sentiment d'abandonner toute rationalité derrière moi. Jamais je n'avais assisté à un tel spectacle, assis dans une loge si proche de la scène. Trop proche, peut-être même.

La cape de la Voyageuse gicla sous une rafale, la foudre frappa les gravillons et une double porte se dessina face à nous. Je songeais alors à ce que penseraient les Hommes s'il leur était donné de voir une telle chose. Une porte volante, un chemin fumant de Magie et une étrange silhouette vêtue de capes obscures.

Cette dernière retira un gant, dévoila de petits doigts frêles aux ongles éventrés. Elle déposa délicatement sa paume sur la poignée d'or, libérant un halot de lumière sur notre voie de graviers. Je portai une main à mon front, aveuglé, tandis qu'elle poussait la porte pour ensuite m'inviter à y entrer. Sans réfléchir, je l'y suivis, la gorge nouée, en me demandant quelle vision m'imposerait-on cette fois-ci.

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