Chapitre 31 : Onze couverts (non corrigé)
J'étirai un bâillement, tandis que nous franchissions les grilles rouillées de la propriété. Le toit du chalet, une dizaine de mètres plus loin, était coiffé d'un panache de fumée âcre, ce qui ne signifiait qu'une chose. Le repas était sur le feu, et Kenfu et moi ne tarderions pas à nous délecter de ce délicieux goût de cendres. Sans la moindre ironie. L'âtre de la cheminée saupoudrait chaque soupe, chaque viande d'un goût si unique que même nous, qui pourtant n'étions pas adeptes de la consommation de protéines, ne pouvions nous en passer. Et puis Zénith était un cuisiner hors pair.
- J'ai trop hâte de voir ce qu'il a préparé, susurrai-je, l'eau à la bouche.
Kenfu me jeta un regard inquisiteur :
- Marie toi avec lui, tant que tu y es.
- C'est vrai que ça serait un bon échange. Un grognon jaloux contre un cuisinier plutôt beau gosse.
Ma réplique lui arracha un rire, et j'enroulai mon bras autour de sa taille. Les meilleurs instants demeuraient ceux où Kenfu ne s'était pas levé du pieds gauche, c'était indéniable. Nous pouvions plaisanter, rire, nous provoquer sans qu'il ne s'emporte d'exaspération.
Nous passâmes la porte du chalet, tout sourire, et le doux parfum d'une délicieuse nourriture nous parvint, ravivant une joyeuse flamme au creux de mon coeur emballé. La perspective de célébrer mon anniversaire avec la famille de Kenfu, auprès d'un repas concocté expressément pour moi me réjouissait. En vérité, j'étais tout particulièrement curieuse du cadeau promis par Kenfu. En mon fond intérieur, bien que je savais pertinemment que cela n'arriverait pas, j'espérai une chose concrète -pour une fois. Une demande en mariage ? Peut-être souhaitait-il que nous fondions une famille ? Lui prenait-il l'envie que nous bâtissions une habitation rien qu'à nous, à côté du chalet ? Toutes ces choses qui m'enchanteraient tant, mais dont Kenfu était incapable d'envisager. Aurore et moi en avions longuement rit et discuté ; il ne s'agissait pas que de lui, mais de l'ensemble de la gente masculine. Ils ne savouraient que l'instant présent, ne songeaient pas à l'avenir : ce que je ne pouvais évidemment pas leur reprocher. Mais s'ils avaient l'amabilité de...
- Pommes ! égaya une petite voix, me coupant à court de mes pensées.
Nous abaissâmes les yeux vers Rose, qui agitait des petits bras excités dans ma direction.
- Comment est-ce qu'on peut aimer les pommes à cet âge là ? se renfrogna Kenfu, tout en tirant de son sac l'un des fruits.
Il déposa le reste des courses au pieds du passe-plat, et je l'imitai avant d'attraper l'enfant sous les aisselles pour glisser un bras derrière ses genoux. Je talonnai ensuite Kenfu, qui s'engageait dans la cuisine.
- Salut ! nous sourit Zénith, torchon à l'épaule, aux fourneaux.
- Salut, fîmes en chœur Kenfu et moi.
Il tira du tiroir un couteau, qu'il emmena jusque la table à manger pour éplucher le fruit et le découper en petits cubes. Je pris place sur une chaise à ses côtés, Rose sur mes genoux, et cette dernière poussa un cri de joie en attrapant les morceaux de pommes entre ses petits doigts.
Au même instant, la porte fut poussée de nouveau et Aurore déboula sur le seuil, les cheveux redressés en un chignon lâche :
- Désolée pour le retard !
- Tu es pile à l'heure, au contraire ! assura Zénith. Kenfu et Sinna sont allés faire les courses, j'ai pu finir la cuisine !
Cette nouvelle raviva le sourire d'Aurore, qui pivota vers nous et esquissa un sourire conquis devant Rose :
- Elle est trop mignonne. Où est sa mère ?
- Partie chercher son nouveau mec, se renfrogna Kenfu, les sourcils haussés.
Il n'en disait rien, mais il n'y en avait pas besoin. Son expression le faisait à sa place. Je lui jetai un regard de reproche et il leva les paumes en signe d'innocence ; qu'il fasse, si cela l'amusait. Je ne le blâmerai pas ici, mais il m'avait promis. Et il était incapable de demeurer souriant et gai plus d'une dizaine de minutes, ce qui avait le don de m'agacer.
- Au fait, me sourit Aurore, joyeux anniversaire, ma chérie.
- Merci beaucoup.
Le grincement des escaliers fit trembler la maison, et Elly débarqua à son tour dans la pièce en lâchant :
- Aube et Ewan ne vont pas tarder à arriver, je pense.
Elle dévisagea Rose sur mes genoux et me lorgna d'un regard méfiant. J'étouffai un soupir dans ma gorge, les doigts crispés sur la table, et n'en retournai rien. La petite protégée d'Elly était en sécurité sur mes genoux, il n'y avait pas de quoi s'inquiéter. Mais cette vieille chouette n'en avait que faire, puisque Rose n'était pas auprès d'elle, tout ce qui s'approchait représentait à ses yeux un danger.
- Zénith, croassa-t-elle ensuite, les sourcils haussés. Où est Neva et ses gosses ?
Son fils lui jeta un regard d'avertissement :
- Maman, soit gentille avec elle, s'il te plaît. Je l'aime vraiment. Elle fait faire le tour aux petits.
Elly passa une main délicate dans la touffe de cheveux bruns de Zénith et soupira :
- Ne t'en fais pas. Simplement, elle est beaucoup plus vieille que toi, et elle a déjà deux enfants...
- Elle n'a que vingt-sept ans, lui rappela-t-il. Et Eren et Riven sont extra. J'espère qu'ils rejoindront bientôt la famille.
En retour, il n'eut qu'une grimace médusée d'Elly. Kenfu et moi échangeâmes un regard lourd de sens, tandis que Rose terminait ses pommes en quelques bouchées. Sa grand-mère se pressa pour la prendre dans ses bras, et Kenfu m'aida à dresser la table pour le repas. Les rajouts relevés, nous pûmes installer onze couverts. Bientôt, la porte d'entrée s'ouvrit sur Aube et un grand jeune homme blond, prénommé Ewan. Il me souhaitait un joyeux anniversaire et s'en retourna saluer sa future belle famille. Aube, quant à elle, me sauta dans les bras en pépiant :
- Meilleur anniversaire du monde, Nana !
J'entourai sa taille et la pressai contre moi, tout sourire :
- Merci !
Elle s'écarta, salua Kenfu d'un vif geste de la main et se précipita aux côtés d'Ewan, qui faisait déjà la conversation avec Elly. A nouveau, le seuil de la maison fut franchit -cette fois pour la dernière fois- lorsque Neva, suivie d'un grand garçon brun, sûrement Riven, et d'une fillette, Eren, perchée sur des petites bottines, dont les tresses rousses tombaient sur ses épaules. Elle nous dévisagea un à un, intimidée, et glissa ses petits doigts entre ceux de son frère. Je leur fis signe d'approcher, et ils obéirent vivement.
- Bonjour, souffla Riven. Joyeux anniversaire, madame.
Je passai deux doigts délicats dans ses cheveux emmêlés et lui sourit tendrement :
- Merci Riven. Tu peux m'appeler Sinna.
- Moi aussi ? minauda Eren.
- Bien sûr.
Leurs joues rosirent de plaisir, et tout naturellement, ils pivotèrent vers Kenfu.
- Tes yeux ils sont comme les arbres, pépia la fillette en dévoilant une jolie rangée de dents blanches.
La remarque amusa Kenfu, qui croisa les bras sur sa poitrine :
- Vraiment ?
- Oui, oui !
Eren lâcha la main de son frère et se précipita vers sa nouvelle connaissance pour fixer son regard, concentrée.
- Woaw, murmura-t-elle, bouche grande ouverte. Riven, Riven, Riven, le monsieur il a de l'herbe dans ses œil.
- Eren, pouffa Neva, qui s'était détachée d'Elly pour se précipiter à notre hauteur. N'embête pas Kenfu et Sinna, s'il te plaît.
J'ouvris la bouche pour la rassurer, mais à ma plus grande surprise, Kenfu me devança :
- Ne t'inquiète pas. Elle ne fait rien de mal.
Je battis des paupières, stupéfaite. Kenfu venait-il réellement d'accepter qu'un enfant, une fillette trop curieuse, s'approche de lui et lui parle ? Avait-il, à l'instant, refoulé les inquiétudes d'une mère pour qu'Eren s'amuse davantage avec lui ? Voilà qui était plus que surprenant. Mon coeur s'en était tout retourné, non pas de dégoût, mais d'amour. A l'observer ainsi, qui faisait tant rire la petite, cela éveilla une drôle de question au creux de ma langue. Celle la même que j'avais cru impossible il y a quelques minutes. Cette idée de fonder une famille, de l'agrandir davantage s'était ancrée en moi comme une sangsue à sa proie. Je ne savais seulement dire si cela annonçait du positif, ou source de problèmes entre Kenfu et moi.
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