Chapitre 28 : La peur (non corrigé)

Quelle douceur, quelle lumière, quel bonheur ce fut d'ouvrir les yeux sur le visage de l'être aimé. De parcourir du regard les courbes des traits de Sinna, de sourire de ses cheveux en bataille et de sa position bien moins glamour qu'hier sous la douche.

Je quittai les couvetures le plus silencieusement possible, me vêtis d'un t-shirt et pris la porte sur la pointe des pieds. En traversant le couloir, je nouai mes cheveux dans une queue lâche et passai deux doigts sur mes paupières. Mes articulations me faisaient souffrir, tout comme les cicatrices de la bataille contre les Changers sur la plage, il y a de ça quelques mois.

Je m'immobilisai quelques secondes, étirai un bâillement, puis m'engageai dans les escaliers. Je pris garde à ne pas tomber ; les marches étaient bien maigres, aussi je craignai que ma malchance ne me brise un os ou autre blessure qui me clouerait au lit pour des mois.

- Tiens, Kenfu ! égaya Zénith, aux fourneaux à la cuisine. Bien dormi ?

Torchon à l'épaule, il râclait des œufs brouillés dans le ventre d'une vieille poêle.

- Ouais, grommelai-je, aveuglé par la vive lumière des fenêtres grandes ouvertes.

Derrière le passe-plat, George dévorait un bol de céréales d'une couleur brune tout à fait incongrue. Je pris place face à lui, et ses petits yeux se plissèrent lorsqu'il me sourit :

- Chalut chat !

J'esquissai un sourire forcé, écœuré par les manières du jeune Erkaïn. Ça n'était pas tout à fait le genre de spectacles auxquels j'aimais assister en me levant.

- Jeane dort encore ? demandai-je plutôt, secoué par un désagréable frisson.

Le grand blond secoua négativement le menton et enfourna dans son gosier une cuillère gorgée de lait et d'aliments marrons.

- 'Partie courir, articula-t-il avec peine.

J'haussai les sourcils. J'ignorai que Jeane aimait le sport.

- Vraiment ?

- Changée en Erkaïn, précisa George. Elle voulait se dégourdir les pattes.

Mon regard tomba sur les plaines derrière la vitre, et je me pris soudain à l'envier. Si un Humain apercevait un grand Lapin galoper à travers champs, il s'étonnerait de la taille de ce qu'il prendrait pour un lièvre. En revanche, s'il voyait un Panda-Roux au pelage noir et au large museau gambader de la sorte, je n'étais pas certain qu'il trouve cela tout à fait habituel. Dans le meilleur des cas, il s'imaginerait qu'un ours mutant ou défiguré poursuivait une proie.

- Alors ? railla George, l'œil taquin.

Nul besoin de plus de précisions pour comprendre ce que mon ami entendait par là. Je haussai les épaules, mal à l'aise. Je ne savais que répondre à ça. Que pouvais-je bien lui dire ? Je n'allais certainement pas lui confier que nous avions pris notre douche ensemble, que nous avions sagement dormi sans rien tenter de plus. Premièrement, il serait terriblement déçu par cette inactivité romantique ; et secondement, il s'empresserait de le raconter à Jeane. Le sujet s'étalerait, tout comme ce qui était censé être, au départ, des informations personnelles et strictement confidentielles. Et puis je n'étais pas certain que Sinna apprécie que je révèle à George ce type de détails.

- Allez quoi, grogna-t-il, agacé par mon silence. Raconte moi ! Je suis ton meilleur ami, oui ou non ?

Nouveau haussement d'épaules.

- Je compte rester ici, George.

Il me dévisagea. La cuillère s'était immobilisée au seuil de ses lèvres. Je me dandinai de droite à gauche, les dents serrées ; il semblait presque avoir aperçu un fantôme.

- Quoi ? gronda-t-il, déposant son couvert avec soin sur sa serviette. Tu as dit quoi ?

Son ton soudain menaçant ne fit que m'irriter davantage.

- Je ne te demande pas ton avis, cinglai-je. J'ai pris par décision. Je reste ici. Je ne retourne par sur Phoenix.

Pensait il vraiment être en droit de m'imposer son point de vue, de sous entendre des menaces dans un regard noir ?

- Tu es conscient que tu n'as absolument pas le droit de faire ça ? s'emporta-t-il, les poings serrés. On n'est pas en vacances, Kenfu.

Il frappa le meuble de la paume, visiblement hors de lui, sans que j'eusse la moindre réaction.

- Grandis un peu, bordel ! rugit-il.

À l'entendre ainsi, l'on pourrait presque croire que mon père était revenu pour le posséder.

- Tu as des responsabilités, là bas ! Ils meurent tous en attendant que tu viennes les sauver !

Un soupir m'échappa, et mon regard se détâcha du jeune Erkaïn. Ce qu'il s'entêtait à me dire ne m'intéressait plus. Il ne savait pas tout, et là était le problème. Il ne pouvait pas comprendre mes véritables raisons. Car il était tout simplement hors de question que je tue Kaï et détruise le Palais des Lumières. Que je monte sur le Trône d'Erkaï.

- J'arrive pas à y croire, murmura-t-il, sous le choc.

La colère s'était envolée, laissant cette fois place à l'hébétemment total. Son visage, devenu blême, affichait un parfait sentiment d'incompréhension. Dans ce sens, il visait juste. Il était incapable de comprendre.

- Je pensais que tu avais compris, poursuivit-il, le regard tombé au fond du bol, comme s'il hésitait entre terminer son repas ou vomir tout ce qu'il venait d'ingurgiter. Je pensais que tu avais changé. Que tu étais enfin devenu plus mature, moins arrogant.

Je passai une main tremblante dans mes cheveux, agacé par ces mèches trop courtes qui refusaient de demeurer attachées.

- Il y a certaines choses qui ne changent pas, murmurai-je.

George fit crisser la chaise sur le parquet et quitta la table en trombe. Il prit la porte, la claqua dans son dos, et je vis le visage de Zénith apparaître au coin du mur.

- Tout va bien ? s'enquit-il.

- Ouais, t'en fais pas, maugréai-je. Il a peur, c'est tout.

Ma gorge se noua, et mes épaules se voûtèrent. Était-ce la peur qui m'avait fait prendre une décision si hâtive ? Qui me poussait à rester ?

Sinna prétendait que j'avais le choix. Si elle m'avait convaincu que je ne lui ferais aucun mal, peut-être en allait il être de même pour Kaï et le reste des Phoenicien.
Peut-être n'était-ce pas cela qui m'incitait à rester. Peut-être étais-je tout simplement effrayé par la guerre, incapable d'y remettre les pieds, d'à nouveau faire face à la mort, au sang, aux batailles et au chaos.

Une pierre chuta au fond de mon estomac. Voilà quelle était la véritable raison. Dans un sens, je l'assumai sans honte. J'avais le droit de me défiler, d'être lâche et de refuser de prendre ce rôle de Sauveur en mains. Rôle que j'avais pourtant fini par accepter. Mais voilà, bel indécis etbeau trouillard que j'étais, je n'en étais plus si certain.

Je n'étais pas forcé d'être un héros. Pas forcé d'être le gentil de l'histoire et de tirer mon Monde de la guerre.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top