Chapitre 26 : Être amoureux et ridicule (non corrigé)

Lorsqu’Elly se fut enfin calmée, elle s’écarta et s’en retourna à son travail. Sinna, Jeane, George et moi l’imitâmes dans le plus lourd des silences. J’avais l’impression qu’il demeurait des choses inavouées, qu’il aurait pourtant été préférable que je sache, aussi je me pressai d’atteindre la hauteur de ma tante pour réprimer une toux :

- Et Aube... est ce qu’elle sait tout ça ?

Elly haussa les sourcils et pouffa :

- La moitié, pour ainsi dire. Ma fille est trop bête pour comprendre ce genre de choses.

La soudaine brutalité de ses paroles manqua de m’étouffer. Que lui prenait-elle ? Se sentait elle faible d’avoir ainsi pleuré sur mon épaule ?

- Vous vous croyez à ce point supérieure pour dire de telles choses ? crachai-je, méprisant. Aube n’est pas stupide.

Ma tante jeta une gousse de maïs au fond de son panier et me lorgna d’un regard exaspéré :

- Ne fais pas l’aveugle, Kenfu. Aube n’a pas la lumière à tous les étages, c’est évident.

Elle reprit sa besogne et laissa échapper un soupir.

- Quand elle était petite, elle avait du mal à l’école. Je l’ai emmenée voir un médecin -un Mage caché dans le monde des humains-, et il a simplement dit que son surplus de Magie avait débordé sur le cerveau. Ce qui veut dire qu’elle ne réfléchit pas comme nous.

- Cela ne fait pas d’elle quelqu’un de stupide, rétorquai-je, davantage agacé.

Elly se montrait si dédaigneuse envers sa dernière qu’un instant je crus que ça n’était pas ma tante, qu’elle avait été remplacée par une autre.

Elle s’éloigna, fredonna un air qui m’était inconnu et les rayons du soleil, perchés au sommet des gousses de maïs, me parurent soudain bien chauds. Il me frappèrent les joues, le crâne, à m’en faire perdre l’équilibre. Mon mal de tête s’intensifia, ainsi que ma nausée. Les gueules de bois ne me réussissaient donc jamais. En même temps, m’exaspérai-je intérieurement, je ne connais personne à qui ça réussit. Et cette petite voix stupide qui cogitait dans mon esprit disait vrai. Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même.

***

Aurore m’indiqua une chambre où coucher et me précisa que je la partagerai probablement avec George -puisque la famille ne disposait pas suffisemment de chambres. Mais il n’y avait qu’un lit double, aussi le jeune Erkaïn se précipita pour céder sa place à Sinna. Jeane et lui se fichaient bien de partager une chambre s’ils pouvaient caser leurs deux meilleurs amis ensemble.

Cependant, nous n’étions qu’en début d’après-midi, aussi seule une sieste s’imposait. Aurore m’aida à faire les lits, et aussitôt fait, je me glissai sur les couvertures encore transpirant, malodorant et crasseux dans mes vêtements.

Lorsque j’ouvris finalement les yeux, la première chose que j’aperçus fut un plateau d’argent déposé sur un vieux buffet de bois verni qui me faisait face. Un frisson me saisit l’échine ; il ressemblait fort à celui d’Enohria. Et pourtant aujourd'hui, tout me séparait de l’école.
Je battis des paupières, les muscles lourds et endoloris, puis m’assis sur les oreillers. Je fronçai les sourcils, perplexe, lorsqu’un léger bruit de frictions à répétition me parvint de la pièce d’en face. Je glissai sur le lit, réprimant un grognement, afin d’entrevoir la silhouette en face du lavabo. Une chance que nous ayons une salle de bain annexée à la chambre ; je ne voulais pas à avoir à visister George et Jeane chaque soir.

Mais là, il s’agissait de Sinna, qui avait noué ses cheveux en un chignon lâche et qui frottait activement ses dents devant le miroir. Un sourire gagna mes lèvres, que je m’empressai cependant de chasser. Il ne fallait pas non plus que je m’abandonne à sa contemplation. J’aurais l’air tout simplement idiot.

Elle finit néanmoins par s’apercevoir de mon réveil, et son regard s’illumina :

- T’es réveillé ! égaya-t-elle en prenant garde à ne pas cracher de mousse. George t’a amené un sandwich, il est sur le buffet.

Je remarquai soudain qu’elle portait toujours ses vêtements sales, et mes traits se tirèrent dans une grimace hébétée :

- Quelle heure il est ?

Ma voix semblait être celle d’un ours sortant à peine de son hibernation.

- Vingt-et-une heure, gloussa-t-elle, manquant cette fois-ci d’asperger le tapis de dentifrice.

- Et tu te laves les dents avant de prendre ta douche ? grimaçai-je, feignant volontairement le dégoût.

Cette fois-ci, un filet de mousse ruissella sur son menton et elle poussa un grognement frustré.

- Toujours, répliqua-t-elle en s’essuyant.

Je reculai sur les oreillers, pensif, et jetai un regard au plateau. Je n'avais pas faim. Je voulais prendre une douche et dormir. En fait, je voulais que Sinna vienne dormir et que la dernière image qu’il me soit donnée de voir avant demain matin soit son visage perdu sur les oreillers, à mes côtés.

- Woaw, grommelai-je pour moi-même, les yeux écarquillés. C’est super bizarre, Kenfu. Super bizarre comme pensée.

Je l’entendis cracher, et il me fallut un effort prodigieux pour ne pas me pencher à nouveau pour l’observer. Cela ne me ressemblait pas. Pas le moins du monde.

- Elly était en colère, aujourd'hui, fit-elle depuis la salle de bain.

Mon corps entier fut saisi de spasmes lorsque la porte coulissante de la douche signala son ouverture.

- Je sais pas, grimaçai-je, hésitant.

- Bah t’étais pas là, en même temps, pouffa-t-elle.

L’eau quitta le pommeau et je fis volte-face pour me jeter sur le plateau d’argent. Peut-être finalement valait il mieux manger.

- Ce matin elle s’est déchaînée contre Aube, me souvins-je soudain.

Cet épisode m’était sorti de la tête.

- Vraiment ? s’étonna-t-elle.

À présent, elle se lavait. Pourquoi diable avait-elle laissé la porte ouverte ?! Le malaise qui me prenait l’esprit et le corps me forçait à avaler plus vite. Les deux fenêtres qui bordaient la chambre me hurlèrent d’ouvrir leurs battants, de laisser l’air et la fraîcheur de la nuit pénétrer la pièce. J’avais terriblement chaud. Sans même me voir, je savais mon visage affreusement rouge et écarlate.

Je compris alors que le silence s’éternisait, et je bredouillai précipitemment :

- O-oui, oui. Elle... euh... elle m’a dit un truc sur un médecin...

Nouveau silence.

- Apparemment, Aube ne réfléchit pas comme nous. Elly pense que c’est pour ça qu’elle est stupide.

Je l’entendis s’agacer contre le mur de douche :

- Réfléchir autrement ne fait pas d’elle quelqu'un de stupide.

Je haussai les épaules, puis me ravisai aussitôt. Elle ne pouvait pas me voir. C’était stupide.

- C'est ce que je lui ai dis.

J’attrapai mon visage entre deux paumes moites et me retins de m’envoyer des claques. Je poussai un hurlement silencieux, mais me redressai brutalement lorsque les portes coulissantes braillèrent à nouveau. L’eau ne coulait plus.

- Habille toi, implorai-je avec les lèvres.

Il ne m’en fallait pas plus pour quitter la pièce. J’ignorai jusqu’alors que les sons pouvaient être si imagés.

- Kenfu ? lança-t-elle, et mon cœur s’emballa.

Arrête de t’enflammer pour ça, sanglotai-je intérieurement, épuisé. J’étais si idiot. Si ridicule.

- T’as pas pris ta douche ?

Mes poumons recrachèrent l’ensemble de leur air, me coupant la respiration sous le coup.

- Non, pourquoi ? parvins-je cependant à articuler.

- Je sais pas...

Je coulai un regard vers la salle de bain. Elle s’accouda à l’encadrement de la porte, un sourire amusé aux lèvres, et un cri de joie manqua de m’échapper. Elle était habillée. Tout allait mieux.

Je haussai les épaules et ne trouvai rien à répondre.

Elle s’en retourna dans la salle de bain, son sourire envolé. Je fermai les yeux, et serrai un poing devant mon visage crispé. J’étais la parfaite définition d’un imbécile. Incapable de parler, de prendre des décisions ou de se contrôler. Un imbécile.

- Tu devrais aller prendre ta douche, fit-elle. Faut qu’on dorme. Demain va falloir parler à George et Jeane et prendre une décision.

- Pour... ?

- Pour savoir si on reste ou pas ! s’agaça-t-elle. Fait un effort, bordel !

Elle m’apparut de nouveau, les mains sur les hanches. Recroquevillé sur mon plateau, rouge, sale et transpirant, je devais avoir l’air sacrément pathétique. Elle qui portait un jean bleu et mon t-shirt...

Le plateau d’argent manqua de s’écrouler au sol :

- T’as... t’as pas pris ta douche ?

Elle eut un sourire moqueur :

- Non, c’est la douche de Aube que t’as entendu. Elle a la chambre juste à côté.

Elle se glissa doucement jusqu'à moi et m’ôta le plateau temblottant des mains. Elle me fit les yeux doux et me supplia d’une petite voix triste :

- Viens avec moi, allez...

J’aurais souhaité dire non. Conserver un minimum de dignité et de respect. Mais j’en fus tout simplement incapable.



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