Chapitre 25 : Abandonnée (non corrigé)
Si cela n'avait tenu qu'à moi, nous ne serions jamais rentrés. J'aurais continué à l'embrasser des heures entières, sans être capable de me détacher de ses lèvres, de son corps, de son odeur, d'elle toute entière, et de la paix qu'elle faisait régner dans mon esprit. Plus de voix, de doutes, de peurs, plus de Magie ni de Dragon. Elle me libérait.
Seulement vint le moment où elle se détacha, les joues rosies de plaisir, et passa doucement ses doigts dans mes cheveux :
- On doit rentrer.
Je réprimai un grognement :
- J'ai pas envie...
Mais elle ne m'autorisa pas à exprimer mon avis et m'obligea à la suivre. Nous poursuivîmes ainsi notre chemin sous la pluie, main dans la main, et soudain je vis le monde d'une toute autre façon. Comme si auparavant je ne l'avais jamais regardé. Il me semblait si différent qu'il me fallut quelques minutes pour comprendre que ça n'était qu'illusion, car nous n'avions pas bougé. Nous étions toujours au même endroit.
Alors, sans que mon esprit n'eusse donné le moindre ordre, mes joues se tirèrent vers mes oreilles, et un sourire se dessina sur mes lèvres sans que je ne puisse le chasser. À mes côtés, Sinna semblait se retenir de sautiller de joie. Combien de temps cela faisait il ? Si nous étions toujours à Enohria, où en serions nous aujourd'hui ? À la moitié de notre seconde année.
Et voilà que je souhaitais demeurer sur Enohr ? Comme si ce passé, si naïf, si innocent, datait d'il y a des années. Comme si j'avais seulement le choix. Je veux avoir le choix. Et c'etait probablement la première raison pour laquelle je voulais tant rester aujourd'hui. Ainsi Aube n'aurait pas à mourir. Ainsi Sinna ne tomberait pas enceinte. Ainsi George et Jeane ne sombreraient pas dans la colère, la peur et la rancune.
Ainsi Kaï ne mourrait pas. Pas si je ne me rendais pas au Palais.
Nous aperçumes finalement les grands pins qui bordaient le chalet. Épuisé, je n'avais qu'une hâte : me glisser dans un lit et soulager mes muscles endoloris. Pourquoi sont ils endoloris, d'après toi ? railla une voix mesquine, tout près de la grotte du Dragon. J'esquissai une grimace. Ce n'était pas une question à poser.
- Kenfu ?! s'étouffa une silhouette à quelques mètres.
Elle déboula devant nos yeux épuisés, nos mains liés, et fit jongler son regard entre Sinna et moi.
- J'ai manqué un épisode ou quoi ? lâcha Jeane, stupéfiée.
Sinna se glissa dans mon dos pour masquer le rouge qui lui montait aux joues. Je fus pris par l'envie d'attraper une branche pour masquer mon propre visage écarlate, mais la situation était suffisamment ridicule.
- Vous nous avez laissé tomber, grondai-je, désireux de changer de sujet.
- Bah ça vous a arrangé, on dirait, ricana notre amie en plaquant une main sur sa bouche, sous le choc. P'LUCHE ! COME !
Le chalet frissonna lorsqu'une masse imposante débarqua à nos côtés. Il comprit aussitôt la sitation lorsqu'il discerna la silhouette de Sinna dans mon dos, et se mit à sautiller sur place :
- Par Akala ! PAR AKALA !
- PAR AKALA ! reprit Jeane tout en lui agrippant le bras.
- Qu'est ce qui se passe ici ?! s'affola Elly, qui apparut dans l'encadrement de la porte. Kenfu ? Où est ton... Oh, je vois.
Elle arqua un sourcil, médusée, et s'accouda à l'entrée.
- Vous avez passé une bonne nuit, à ce que je vois.
Mon regard se durcit et je toisai ma tante d'une oeillade mauvaise :
- Alors comme ça, vous saviez déjà pour la Prophétie ? Pourquoi ne pas l'avoir dit ?
Elle se redressa, tout sourire envolé, et réprima un long soupir.
- Zénith a besoin d'aide aux champs. J'allais justement y aller. Venez avec moi et je vous expliquerai en route.
Elle s'engouffra sous son toit et n'en ressorti que quelques minutes plus tard pour me jeter un chiffon bleu :
- Enfile ça, m'ordonna-t-elle.
Toute sa joie s'était évaporée, aussi vite qu'elle était apparue. J'obéis sans discuter, et elle nous entraîna sur un sentier au devant du chalet. Nous serpentâmes entre quelques pins, dévalâmes une coline aux cheveux verts ébouriffés et trouvâmes un chemin boueux qui faisait face à une étendue de champs jaunes.
- Vous travaillez aux champs tout le temps ? l'interrogea George, curieux.
- Aurore est professeure dans une école dans le village voisin. Zénith est vétérinaire quand il en a envie. Et Aube, eh bien... c'est Aube.
- Attendez mais ça veut dire ils sont allés à l'école genre ici ? s'étrangla Jeane. Dans c'village là bas ? Sur Enohr ?
Elly opina du chef, tandis que nous passions entre deux haies de cultures secouées par les rafales de vent.
- Et vous vous changez jamais en Panda-Roux genre ? reprit Jeane, qui n'en revenait toujours pas.
- Non, pas vraiment. Mes triplets sont à demi Lynx, pour commencer. Et puis si un humain nous voyait...
Je fronçai les sourcils :
- Daniel est un humain, non ?
Ma tante réprima un soupir :
- Oui. Aube est déjà tombée enceinte de plusieurs garçons différents. Mais leur gosse sont morts pour la plupart.
J'en eus la chair de poule :
- Pourquoi ?
- Les humains n'ont pas de Magie en eux. Et Aube a l'un des Dons les plus puissants qu'il existe. Ses enfants ne survivent pas plus de quelques années à cause de leur métabolisme qui n'est pas capable de supporter toute la Magie qu'ils possèdent.
Je songeais à la petite Rose, dont s'occupait Daniel lorsque nous sommes arrivés. Était-il un parmi tant d'autres ? Finirait-il par partir ?
- Tous ces hommes, ils connaissent l'existence des Erkaïns ? s'enquit Sinna.
- Oui, bien sûr. Aube le leur dit.
Je lus l'agacement dans le timbre d'Elly. Elle n'avait pas l'air d'approuver la vie amoureuse de sa dernière.
- Et pour la Prophétie ? ajoutai-je, le ton sec.
Ma tante me jeta un regard hésitant, tandis qu'elle s'immobilisait au milieu des jeunes pousses. Elle se mit à détacher les fruits des tiges pour les déposer dans un panier qu'elle venait d'attraper au vol. Nous l'imitâmes, distraits. Tout ce que je souhaitais, c'était qu'elle réponde à mes questions. Je voulais savoir si Sinna disait vrai. Si elle tenait vraiment à me voir rester.
- Non, ils ne savent pas, fit-elle finalement. Personne ne sait jamais. Et tu n'aurais jamais dû l'apprendre, Kenfu.
Je haussai les épaules, agacé :
- Comme si j'avais eu le choix.
Elle pivota brusquement dans ma direction et pointa un doigt accusateur sur ma poitrine :
- On a toujours le choix, c'est compris ? Toujours.
Elle se remit calmement au travail avant de poursuivre :
- Et ta mère le sait. Elle le disait toujours.
- Ma mère est morte, grondai-je, les dents serrées. Et, excusez moi, mais vous vous trompez.
À dire vrai, je n'étais absolument pas désolé. Même si elle me dévisageait, horrifiée par mes paroles, il n'y avait pas une once de culpabilité en moi. J'étais agacé. Cette femme parlait comme si elle savait tout et connaissait tout le monde.
- Vous ne savez rien, repris-je en laissant ma langue claquer comme un fouet. Et c'est ridicule de le croire. Ma mère et mon père m'ont abandonné dans la misère, dans la pauvreté. Julie s'est noyée dans la drogue et l'alcool. Aïru a nié mon existence pendant quinze ans. Alors non, elle ne croyait pas que nous avions toujours le choix.
Je fis un pas vers ma tante et la fusillai du regard :
- Dites moi maintenant comment est ce que vous avez appris l'existence de la Prophétie d'Aube.
Elle ravala ses larmes, sécha ses joues et, sous les yeux ronds de mes amis, lâcha d'une voix rauque :
- Julie et Aïru ont vécu cinq ans ici ensemble avant de t'avoir. Ils souhaitaient ne jamais quitter cet endroit. Quand j'ai accouché de Aube, j'ai failli y laisser la vie. C'est là que j'ai reçu sa Prophétie et que j'ai compris que c'est toi qui allait la tuer. J'en ai parlé à Julie. J'étais d'avis que vous restiez, ainsi nous pourrions contrôler la situation. Mais elle n'était pas d'accord, et Aïru non plus. Alors vous êtes partis sur Phoenix. Mon frère m'avait promis qu'il reviendrait, qu'il reviendrait me chercher. Mais il n'en a jamais rien fait.
Elle lâcha son panier et planta ses doigts dans mes épaules :
- Kenfu, reste ici avec nous, je t'en supplie. Tu as le choix. Tu peux rester. Nous pouvons épargner la vie de ma fille.
Elle se mit à sangloter :
- Ne m'abandonne pas toi aussi. Pas après Jack, Julie et Aïru. Reste, je t'en prie.
Elle déposa sa tête sur mon torse, secouée par les pleurs, et je ne sus que faire.
Mes parents ne souhaitaient pas quitter Enohr.
Et c'était tout ce que j'avais entendu et retenu de ses mots.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top