Chapitre 23 : Changement de plan (non corrigé)
Les deux premiers kilomètres chantèrent le silence. La douleur, la migraine et la nausée, quant à elles, demeurèrent bien ancrées. Elles refusaient de lâcher prise, de m'accorder le moindre répit. Puis finalement Sinna, qui jouait au funambule sur la délimitation blanche derrière moi, se décida à parler.
- Tu ne demandes pas où sont George, Jeane, Aube, Zénith, Aurore et Daniel ?
Je haussai les épaules. Je n'y avais même pas pensé.
- Ils sont rentrés hier soir avec les deux motos restantes. A trois sur chaque.
Je perçus l'irritation dans sa voix. Visiblement, elle n'aimait pas l'idée que l'on nous ait ainsi abandonné en terre inconnue.
-Ils étaient pas défoncés ? grommelai-je, le menton baissé sur mes chaussures.
Je n'avais toujours pas de t-shirt, et cela me mettait terriblement mal à l'aise.
- Un peu, si. Surtout Jeane. Elle a expliqué à Aube et aux autres pourquoi on était là. Alors ils ont voulu rentrer. Mais t'étais dans... bref, t'étais pas là alors ils ont dit "Sinna, tu restes" et ils se sont cassés.
-Quelle bande d'enfoirés, sifflai-je, les dents serrées.
Non seulement ils avaient tout révélé, mais ils étaient partis sans nous. Je passai mes mains dans mes cheveux, pestai lorsque mes doigts s'y retrouvèrent emmêlés. Ils étaient gras et sales, chose qui était particulièrement désagréable. En plus de l'odeur et des cernes, je ne devais pas être bien présentable. Je plissai les yeux et relevai le menton. "Tu t'es montré très persuasif", qu'avait-elle dit. Comment pouvais-je l'être dans un état pareil ?
- Il s'est passé quoi hier soir, demandai-je, méfiant.
S'il faut, nous étions juste deux personnes qui s'étaient retrouvées nues dans une même tente par une pure coïncidence.
- C'est pas important, Kenfu, soupira Sinna, qui semblait soudain extenuée. Aube, Aurore et Zénith savaient pour la Prophétie et la Magie et tout, mais...
- Dis moi ce que j'ai fait hier, insistai-je, menaçant.
- Ils veulent rien faire, Kenfu ! s'emporta-t-elle dans mon dos. Ils fuient les Prophéties et les Dons ! Ils ont parlé d'essayer de te faire rester ici pour toujours. Je pense qu'ils connaissent le destin de Aube et croient pouvoir l'empêcher de se réaliser si elle reste ici...
Je m'immobilisai et le silence tendit son arc. Je pivotai vers Sinna, un sourcil arqué, et laissai tomber :
- Et alors ?
- Et alors toi et moi on sait qu'on doit retourner à Phoenix pour terminer cette guerre. Sauver les gens.
Elle plongea son regard dans le mien, et j'y lus une profonde détresse. Il était rare qu'elle laisse transparaître ses émotions, aussi j'en fus surpris. Mais cela ne me déstabilisa pas pour autant :
- Kaï m'a envoyé ici pour que je découvre les origines de mon Don. Mes origines sont ici. Je suis né ici.
La frustration et la colère accumulées depuis le début du voyage remontèrent à la surface et firent poindre au coin de mes yeux de grosses larmes d'épuisement :
- Je suis inutile, là bas. Je ne fais que tuer avec mon Dragon. Ici, je suis chez moi. J'ai toujours rêvé de m'y installer. Et puis rien ne m'y retiens. Ni ma mère, ni mon père. Comment est-ce que tu veux que je sauve des gens ? Je suis incapable de me protéger moi-même. Et le Trône d'Erkaïn ? Hors de question. Je ne suis pas un Sauveur, alors encore moins un Roi.
Elle baissa doucement les yeux, et je vis une larme glisser sur sa joue :
- Dis moi, qu'est-ce qui a changé ? Il y a encore quelques jours, semaines, tu y croyais. Tu étais déterminé à affronter ton destin et à faire rétablir la paix à Phoenix.
L'envie me prit de la prendre dans mes bras, mais je n'en fis rien. A la place, mon regard glissa sur les paysages et je ravalai un sanglot dans un faible souffle :
- Rien n'a changé. Et rien ne changera jamais. Que ce soit demain ou dans huit ans. La guerre, la mort, la douleur et le chaos ne partiront jamais. Alors oui, je choisis de rester. Parce que que je parte ou non, cela ne changera rien.
Et Kaï sera sauvé, poursuivis-je intérieurement. Comme toi, Sinna. Et George, et Jeane. Et tout ces gens à qui je vais causer du tord.
Je tournai les talons et repris mon chemin. Elle me suivit après avoir séché ses larmes et se râcla la gorge :
- Et pour hier soir...
Je me raidis ; j'en avais presque oublié ma demande. Etais-je vraiment certain de vouloir le savoir ? Désormais je ne savais plus. Bon sang, t'es vraiment trop indécis, grondai-je contre moi-même, agacé.
- On a couché ensemble, soupira-t-elle.
Je levai les yeux au ciel et mordis l'intérieur de mes joues pour contenir le hurlement. Pourquoi ? Pourquoi étais-je donc à ce point un idiot, un pauvre incapable qui faisait tout de travers ?
- T'entendais quoi par "tu t'es montré très persuasif" ? croassai-je, les dents serrées.
Je ne souhaitai pas entendre ce qu'elle avait à dire. Mais maintenant que le sujet était sur la table, il valait mieux éviter les mauvaises surprises. Je l'entendis réprimer une nouvelle toux, comme si aborder le sujet l'embarrassait :
- T'avais pas du tout la même gueule que ce matin, déjà...
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