Chapitre 15 : La pluie, cette eau maudite (non corrigé)

Les champs succédèrent à la forêt. Jeane n’avait de cesse de se plaindre, de gémir et de prétendre éprouver une douleur nouvelle à tous les mètres passés. George et Sinna discutèrent des couleurs, des arômes délicats de l’endroit.

Outre les rugissements lointains des voitures, les lieux étaient d’un calme appréciable. Les chants d’oiseaux étaient de concert avec le craquement de la litère sous nos pieds, ainsi que la voix mélodieuse des arbres qui grattaient les cordes de leur violon.

Quant aux odeurs, elles étaient étrangement délicates. Le pin et les feuilles mortes en décomposition donnaient au lieu une atmosphère automale tranquille. Dans un tout autre contexte, il aurait été agréable de se promener ici.

Mais nous étions sur une route inconnue, vers une destination lointaine sans savoir comment nous y rendre. Aussi attendions nous d’apercevoir poindre à l’horizon l’ombre d’une ville éveillée.

- J’ai faim, grogna Jeane, tandis que la forêt disparaissait sous nos chaussures boueuses.

Les arbres s’envolèrent, cédèrent leur place à une étendue de champs à perte de vue. Les yeux plissés, les cheveux battus par le vent, j’observai les courants d’air glisser sur la couverture de blé doré. Tout était si paisible, si beau. Les larmes me noyèrent les yeux ; l’avenir n’était pas radieux. Le présent était bordélique. Le passé mentait, encore et toujours. Je n’en pouvais plus de mener une telle vie. De refouler mes sentiments envers Sinna. De fuir sans cesse. De porter sur mes épaules de tels enjeux politiques et magiques. Et, au passage, de devoir toujours, sans répis, prendre garde à garder close la porte de la grotte du Dragon. Mes parents étaient morts. Mon grand-père était mort. J’avais peut-être une sœur cachée. Encore des secrets. Je n’avais aucune idée de l’état de Phoenix, de l’avancée de la guerre. De ce que je ferais une fois de retour.

- Les gars ! souffla Jeane, coupant à court mes pensées. Regardez... le ciel il chiale !

George releva le nez et étira un sourire dans un murmure :

- Je ne savais pas que tu savais faire des métaphores.

Notre amie lui jeta un regard amusé mais s’abstint de toute réplique. Mes paupières battirent furieusement lorsque de grosses gouttes s’écrasèrent sur mon visage, lavant les larmes qui tentaient de me gagner. Sinna, non loin, eut un faible rire et leva les paumes pour constater la pluie. Elle tombait de plus en plus fort.

Bientôt, ce ne fut pas un simple pleurt que le ciel nous envoya, mais bien de longs et amères sanglots ; la rafale d’eau qui chuta nous trempa jusqu’à l’os.

- On devrait trouver un endroit où s’abriter ! hurla George, pour couvrir les cris des torrents d’eau.

- Allons jusqu’à la route et demandons à quelqu’un de nous emmener à la ville la plus proche ! suggéra plutôt Sinna.

J’hochai d’un vif coup de menton et ils se précipitèrent sur le sentier. Je plaçai le sac au dessus de ma tête, les yeux plissés pour discerner parmi les épées translucides les silhouettes de mes amis et les bras chancelants des blés des champs.

La boue accrocha nos pentalons, nos chaussures, nos visages et nos t-shirts, l’eau s’engouffra sur notre nuque, et les nuages gris empéchèrent toute lumière de nous éclairer le chemin. Nous courûmes ainsi quelques minutes, jusqu’à apercevoir non pas la route tant attendue mais l’orée d'une forêt semblable à celle que nous venions de quitter. Peut-être n’y avait-il simplement pas de route dans le coin.

Jeane et moi relachâmes un grognement de frustration d’une même voix.

- Putain... jura Sinna, une grimace épuisée au visage.

Les mains sur les genoux, les poumons comprimés, j’eus grande peine à reprendre mon souffle. L’eau qui ruisselait le long de l’arrête de mon nez n’arrangeait rien.

- Putain, faudrait vraiment qu’on trouve la route, s’agaça à nouveau la jeune femme, qui serrait les poings sur sa taille.

- On a compris ! m’emportai-je, à bout de nerf.

Sinna eut un mouvement de recul, tandis que je passai deux doigts sur mes paupières. Pourquoi fallait-il qu’il y en ait toujours un qui râle ?! Et moi, n’en avais-je pas assez de tout ça ?! M’étais-je plains un seul instant pour autant ? Je ne croyais pas être le plus chanceux dans cette situation. J’étais même très loin de l’être.

- Je dis juste qu’on doit vraiment trouver la route ! rétorqua-t-elle, les dents serrées.

George et Jeane nous observèrent, attentifs et silencieux. Ils ne loupaient pas une miette de la scène. Ni la pluie qui nous aveuglait, ni nos visages ruisselants, ni nos regards qui perçaient toute cette maudite flotte.

- Ah ouais bien sûr, tu dis juste ! cinglai-je, emporté par une colère croissante. Mais tu fais que ça, dire juste ! Et Jeane, et George aussi ! Vous passez votre vie à vous plaindre putain ! Et moi, vous croyez que j’ai pas envie de me plaindre ?! Que ça me fait plaisir d’avoir un nombre incalculable de problèmes à gérer, de Prophéties, de Dons et de Guerres ?! HEIN ?!

Le silence accueillit mes paroles.

- Sinna, repris-je, les dents serrées, effectivement, tu dis juste. Tu sers même qu’à ça, à dire juste ! T’es là pour quoi en fait, hein ?! Poser des questions ?! Te plaindre ?! Ou t’es venue juste parce que t’es amoureuse ?!

Mes trois amis me dévisagèrent, sous le choc.

- Eh ben, souffla Jeane, les yeux écarquillés. Ça faisait longtemps qu’on l’avait pas vu, celui là...

- Qui ? croassai-je en laissant ma langue claquer comme un fouet.

- Le Kenfu arrogant d’Enohria, cracha Sinna en me foudroyant du regard. Celui qui rejetait la faute sur tout le monde. Celui qui ne supportait rien. Celui qui critiquait, qui jugeait, qui était méchant et égoïste. Celui qui prétendait être trop bien pour avoir des amis mais qui nous crachait à la figure quand on prenait nos distances comme tu le souhaitais. Voilà l’ancien Kenfu. Le Kenfu détestable et arrogant.

La pluie lava les larmes qui perlèrent sur tous les visages, y compris le mien.

- Mais tu sais le pire ? hoqueta-t-elle, une grimace de douleur aux joues. C’est qu'un jour tu es gentil, un jour tu es en colère, un jour tu es détestable, un jour tu es généreux, un jour tu t’excuses et tu me tiens la main ; et puis tu es distant, tu es hautain. C’est quoi le sens de tout ça, hein ?! Qu’est ce que t’as vu dans le Monde des Esprit qui t’a retourné le cerveau à ce point là ?!

Elle pointa un doigt accusateur sur ma poitrine, sous le regard perdu de George et Jeane :

- T’es idiot ou tu le fais exprès putain ?! proféra-t-elle. T’as toujours pas compris qu’il y a un milliard de possibilités d’avenir ? Que c’est toi qui décide ? Que ce que t’as vu n’est qu’une possibilité parmi des centaines et des centaines de milliers d’autres ?!

Je baissai les yeux. La pluie ruissela sur mes joues et s’écoula le long de mon menton dans une cascade glacée. Avais-je honte ? Oui. À vrai dire, je n’étais pas certain d’avoir compris ce qu’il venait de se produire.
En revanche ce qui était certain, c'était que j’étais le roi des abrutis.

- Je suis désolé, croassai-je, peu fier.

- Eh ben j’espère bien, cingla Sinna en séchant ses larmes d’un revers de manche agacé. Parce qu’on a une route à trouver.

Et sur ce, elle tourna les talons, suivie par un George et une Jeane plus silencieux qu’une tombe.

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