Chapitre 12 : le Plan (non corrigé)
L'argent ne nous dura finalement pas longtemps : en effet, le pilote demanda à ce que l'on paye nos places et ne semblait pas enclin à marchander. Et puis, nous ne parlions pas sa langue, ce qui ne facilitait pas les choses. Une fois assis, nous fîmes le compte et constatâmes qu'il ne nous restait que la moitié de ce que nous avions.
-Peut-être que la femme nous l'a justement donné pour payer le pilote, supposa George, en haussant les épaules.
Il avait une légère moue déçue, comme mécontent d'avoir déjà presque tout dépensé. Mais ni moi ni Sinna n'avions vraiment envie de réfléchir à la question. Aussi nous gardâmes le silence et je dus m'accrocher au siège pour résister à la tentation de la regarder. La savoir juste à ma gauche, ses mains si près des miennes, suffisaient à me mettre mal à l'aise.
-Je meurs de faim, lâcha finalement George.
J'esquissai un sourire :
-Rien ne va jamais ave toi...
-J'étais sur la route... préféra-t-il fredonner en ignorant ma remarque.
Je levai les yeux au ciel, agacé. George avait bien changé depuis les bombardements d'Enohria, et je ne saurais dire si c'était en bien ou en mal. A cet instant, ses douces paroles rassurantes et optimistes ne m'aurait pas été de refus. Voilà qu'il chantait, qu'il se plaignait, qu'il était impatient et nerveux.
Je fronçai alors les sourcils et lui jetai un bref coup d'oeil. Sa jambe tressautait tandis que ses doigts s'entremêlaient, ajoutant à sa mine dépravée un air maladif. Y avait-il quelque chose que George ne nous disait pas ?
-George, tout va bien ? l'interrogeai-je, inquiet.
Sinna me dévisagea, surprise, et je me renfrognai. Je savais ce qu'elle avait en tête ; ce n'étaient pas dans mes habitudes de poser de telles questions. Me percevaient-ils vraiment comme un égoïste qui ne se souciait pas de l'état de ses amis ? Cette pensée m'offusqua.
-J'ai faim, c'est tout, répliqua le jeune homme.
Pourtant cette fois-ci, j'étais certain qu'il mentait.
-Est-ce que c'est parce que tu t'inquiètes pour Jeane ? intervint Sinna.
Je retins mon souffle, guettant la réaction de notre ami. Je l'avais déjà soupçonné d'avoir des sentiments vis à vis de la Lapine, mais ceux-ci s'étaient évaporés lorsque nous avions rencontré Myosotis. Etait-ce possible que je me sois finalement trompé ?
A notre plus grande surprise, ses yeux se remplirent de larmes et il haussa les épaules :
-Je suis fatigué, en fait. Fatigué de vivre comme ça.
Je ressentis aussitôt une intense culpabilité et baissai le menton. Tout cela était ma faute. C'est moi qui les avais entraînés là dedans.
-Je crois que comme tout Erkaïn d'aujourd'hui, ajouta-t-il, j'ai peur. Je suis terrifié.
Puis, il releva un regard humide dans notre direction :
-Mais savoir que je suis avec celui qui arrêtera tout ça me soulage, en quelque sorte.
-Arrête, le suppliai-je, les muscles crispés sous la force que j'employai pour ne pas céder aux larmes.
-Les choses vont trop vite, c'est tout, soupira-t-il. Je suis fatigué et j'ai peur. Il n'y a rien de plus.
-C'est déjà pas mal, pouffa Sinna, qui essuyait ses joues de ses manches encore trempées de sueur.
Nos regards se croisèrent et je m'empressai d'enchaîner :
-Il nous faut un plan pour récupérer Jeane.
La jeune femme croisa les bras, visiblement irritée par cette distance que je m'employai à conserver. Le souvenir de son ventre arrondi dans le Monde de l'Esprit me revint, ce qui ne fit qu'accentuer mon malaise. Si je venais à l'abandonner et lui faire du mal dans le futur, alors autant m'éloigner d'elle dès maintenant. Ainsi, peut-être que je limiterai quelques dégâts.
-Oui, approuva George en opinant du chef.
Il semblait revigoré par ce court entretien. Peut-être souhaitait-il seulement se confier. Un frisson me traversa l'échine. Pouvoir révéler ses plus sombres secrets sans que cela n'impacte l'avenir des Huit Mondes était un luxe que je ne pouvais me permettre d'avoir. À mon sens, George devrait se rendre compte de la chance qu'il avait de pouvoir choisir. De pouvoir fuir tout cela n'importe quand. Mon destin à moi était visiblement d'empoigner l'affreuse dague de rubis pour percer la carapace de Kaï ; chose qui n'arriverait pas. J'avais la conviction que j'étais toujours maître de mon destin.
-Le QG doit être gardé par des centaines de soldats, soupira Sinna, le regard dans le vague.
George approuva d'un léger hochement de menton :
-Oui. Je ne crois pas que ce sera simple... ni même possible, en fait.
Je battis des paupières. Nous faudrait-il trouver le Dragon d'Ivoire avant de retourner chercher Jeane ? Non, impossible. Nous ne pourrions trouver seuls un lieu qu'uniquement elle avait vu.
-À moins que... lâchai-je en écarquillant les yeux.
Une idée venait de poindre aux confins de mon esprit emmêlé.
-À moins que ? répéta George, le regard insistant.
Je dévisageai mes amis tour à tour, avant de me souvenir de la distance que je devais m'employer à créer entre Sinna et moi. Perdu, je ne sus où poser mon regard et mes paumes se crispèrent sur les accoudoirs. Concentre toi, bordel, grondai-je intérieurement. Ils comptent sur toi.
-Je peux toujours libérer le Dragon aux portes du QG pour créer une diversion.
George eut une grimace :
-Il me semble que le Roi des Erkaïns n'est pas en très bonne position pour le moment... les attaquer pourrait leur donner une raison de nous déclarer la guerre. Et Kaï te tuerait s'il apprenait que en plus de la Deuxième Guerre des Trônes il devait gérer une Guerre des Mondes.
Je réprimai un soupir. George disait vrai et pourtant, la frustration m'empêchait de voir plus loin que ce plan bâclé. Je n'avais pas envie de réfléchir. J'étais épuisé et j'avais faim. Mon cerveau engourdi par toutes les révélations ne demandait qu'à s'endormir pour six mois d'affilé.
-Alors quoi ? grognai-je, frustré. Je suis le seul à proposer quelque chose. Propose un truc, toi, au lieu d'être là "Nan je veux pas c'est dangereux gnagnagna".
Du coin de l'œil, je vis Sinna ravaler un rire. Qu'y avait-il de drôle ?!
-J'ai l'impression de revoir le Kenfu adolescent d'Enohria, pouffa George après avoir échangé une oeillade complice avec notre amie. Quand tu étais vraiment immature.
Je le fusillai du regard :
-En attendant, me traiter d'immature ne nous avancera à rien.
-Si ça se trouve, souffla Sinna, pensive, elle a déjà trouvé un moyen de s'échapper. Ou ils l'ont jettée dehors.
Je plissai les yeux, songeur. C'était en effet une possibilité. Plus grande encore que celle qu'ils l'aient gardée, nourrie et logée gratuitement.
J'espérai maintenant qu'elle ne se soit pas trop égarée. Autrement, la retrouver relèverait de l'impossible.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top