Chapitre 56 : Une colle de retard (Corrigé)

Je quittai la bibliothèque en traînant les pieds, plus perdu encore que lorsque j'y étais entré quelques minutes plus tôt. J'avais déboulé sans réfléchir pour inonder l'endroit de questions auxquelles personne ne pourrait apporter de réponses. Kaï n'était qu'un pauvre Roi tout aussi perdu que moi, dont les pattes ne cessaient jamais de trembler. Et voilà que je repartais avec un vide plus grand encore, un brouillard chargé d'acide qui m'empêchait de voir plus loin que le bout de mes orteils. En quittant l'enceinte du bâtiment, l'air qui me frappa au visage me parut si glacial que l'envie me prit de rester simplement là, à claquer des dents, pour trouver un sens à tout ça. Mais à cet instant précis, avancer me semblait tout aussi absurde que de rester sur place.

-Kenfu ! m'interpella une voix autoritaire.

Je ne pris pas la peine de répliquer et attendis que la silhouette atteigne ma hauteur. Un grand homme aux cheveux noisettes, soutenus par d'élégantes broches d'argent, finit par débarquer dans mon champ de vision. Il me toisa d'un regard ambré peu amical, qu'il me fut aisé de reconnaître :

-Professeur Alwis, cinglai-je, le ton froid. Vous allez peut-être me reprocher d'aller à la bibliothèque, cette fois ?

Il eut une grimace mauvaise et arqua un fin sourcil soigneusement taillé :

-Ne jouez pas au plus malin avec moi. Je suis venu pour vous rappeler que les épisodes récents n'ont pas annulé votre colle.

-Ma quoi ?! Ma colle ?! répétai-je, ahuri. Je reviens d'un coma d'un mois. Je ne crois pas que...

-Dans ce cas, vous n'auriez pas dû sauter d'une fenêtre non plus, me coupa-t-il, l'air hautain et méprisant. Ni même grimper sur le toit. Vous devriez être à l'hôpital et ronfler tranquillement dans un lit douillet. Au lieu de ça, vous êtes revenu. Alors, je présume que votre état s'est amélioré ?

Mais il ne me laissa pas répondre :

-Bien. Alors vous allez respecter votre colle. Vous deviez prendre un cours particulier avec votre père une fois par semaine, vous souvenez vous ?

Je me raidis, les yeux écarquillés. Plutôt retourner à l'hôpital que devoir rester seul avec mon père. En particulier après ce que j'avais vu dans le bureau.

-Malheureusement, poursuivit Alwis tout en m'entraînant vers la tour réservée aux cours, votre père n'est pas disponible.

J'eus grande peine à retenir un rire sarcastique.

-Je me demande bien à quoi il doit être occupé... raillai-je d'une voix à peine audible, nauséeux.

Alwis me jeta un regard excédé et réprima un long soupir :

-Aïru se sent mal par rapport à ce qu'il s'est passé à l'hôpital.

Nous avalâmes les escaliers menant aux grandes portes et pénétrâmes dans la tour. Il me conduisit sous les escaliers d'or jusqu'à trouver dans un coin une grande porte aux reliures rouges. Il dégaina une clef, qu'il tourna deux fois dans la serrure. Quant à moi, je l'observais manipuler la poignée entre ses paumes délicates. Ainsi, mon père se sentait mal ? Comment Alwis pouvait-il le savoir ? Aïru le lui avait-il dit ?

-Il m'a demandé de le remplacer pour une durée indéfinie, ajouta-t-il sous mon regard méfiant.

-Mon père est un gamin, sifflai-je entre mes dents serrées. Il ne se sent pas mal, il a juste peur d'affronter ma colère et ma haine envers lui. C'est un lâche.

A ma plus grande surprise, je vis naître sur le visage du le professeur de Lettres un sourire las. Il parvint finalement à ouvrir la porte et nous entrâmes.

-Vous le savez aussi bien que moi, on dirait, insinuai-je, les yeux plissés.

Il me décrocha un regard excédé et s'arrêta un instant :

-Ecoute moi bien, Kenfu. Ton père a de nombreux défauts, c'est vrai. Mais il n'en reste pas moins l'une des créatures les plus respectables de Phoenix à mes yeux.

Même si il lui en coûtait visiblement de l'avouer, Alwis ne se découragea pas et plaça une main sage sur mon épaule :

-Et toi et moi savons qu'affronter ses regrets et aller de l'avant est la plus dure des épreuves. Alors soit indulgent envers lui.

Il me serra brièvement avant de se détourner. Je plissai les yeux, perdu ; face à Myra, il y a une heure environ, il avait semblé haïr mon père. Et voilà qu'il prenait sa défense ? C'était à ne plus rien y comprendre.

Nous dévalâmes de nouveaux escaliers, taillés à même la pierre. Sans rampe ni muret pour empêcher la chute cette fois-ci. Une fois en bas, il alluma les premières LEDs, qui grésillèrent dans un léger grincement. Il me laissa observer l'endroit d'un oeil impressionné pour s'en aller activer le reste des lumières. Ces dernières éclairèrent tour à tour l'endroit d'une vive lueur blanche. Les lattes du parquet avaient été soigneusement vernies, et cela sur les cinquante mètres de long. La largeur ne devait t'être que d'une quinzaine de mètres, de même que la hauteur du plafond.

-Bienvenue à la salle d'entraînement, me sourit Alwis, qui paraissait plutôt satisfait de ce qu'il voyait sur mon visage. L'endroit où ton père donne ses cours d'IMAG.

Ma bouche ouverte, tirée par mes yeux écarquillés, se promenait tout le long de la salle. Le mur de droite était carrelé de portes coulissantes aux reliefs quadrillés et lourdement cadenassés. Les armes et matériels devaient y être rangés.

-D'après ce que j'ai vu pendant la bataille de la bombe, enchaîna-t-il tout en s'avançant vers elles pour les déverrouiller, avant de les ouvrir d'un grand geste du bras, ton niveau en matière de combat est loin d'être aussi élevé que je ne le pensais.

J'arquai un sourcil et croisai les bras, irrité :

-Ah, vraiment ?

-Ton père nous avait dit que tu étais un excellent combattant.

Il fit soudain volte-face et un long bâton élancé vola à travers la pièce. Je le réceptionnai maladroitement, surpris. Le professeur de Lettres en fit danser un second entre ses mains tout en poursuivant :

-Tu t'es battu avec une poutre, il me semble ? Un choix judicieux, dans la mesure où tu n'avais pas d'armes. Mais elle t'a plus alourdie qu'autre chose.

-Vous avez eu le temps de m'observer tout en vous battant ? pouffai-je, sarcastique.

Pensait-il vraiment que j'étais suffisamment dupe pour y croire ?

-Concentre toi ! rugit-il brusquement.

En une fraction de seconde, il avait tourné sur lui-même et frappé mon arme de la sienne ; à présent j'étais, stupéfait, les mains vides. Le bâton s'en était envolé cinq mètres plus loin. Alwis releva le menton et abaissa son instrument et coinça sa seconde main dans son dos.



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