Chapitre 55 : Des questions sans réponses (Corrigé)
Les coussins rembourrés de plumes furent un excellent moyen de faire passer ma colère. Ils étaient mous et volumineux, aussi il me fut très agréable de frapper dedans sans pour autant me faire mal. Et sous forme humaine, c'était bien plus revigorant.
Après une longue séance de catch qui m'avait valu quelques crampes au poignet, je les avais simplement jetés le plus fort possible contre le mur. Le voisin ne s'en était pas plaint. Ou bien était-il absent.
-Ou alors, avais-je grommelé, hors de moi, il est sortit avec sa bande de potes comme si de rien n'était...
Pourquoi le fait que Sinna, Ashley et Jeane soient sorties m'énervait tant ?! Si elles tenaient vraiment à mettre la santé de Sinna en péril, qu'elles le fassent. Mais alors pourquoi étais-je si remonté ?!
Je poussai un hurlement enragé et jetai à nouveau l'oreiller contre le papier peint. Avec ça, l'image de mes parents dans le bureau restait ancrée à mon esprit, refusant catégoriquement de s'y décrocher. Je repassais incessamment l'instant où les boutons étaient détachés, où les mains dansaient librement dans les cheveux et sur la nuque. A qui est-ce que j'en voulais le plus ? Julie, ou Aïru ? Le choix était difficile. Très difficile.
Je ramassais le coussin au sol, l'observai un moment. Soudain, une grimace de haine me tira les traits du visage et je déchirai le tissu entre mes mains tremblantes de rage. Les plumes tournoyèrent dans la pièce, se perchèrent dans mes cheveux. Je me secouai vivement pour les chasser et, craignant d'en mettre en pièces un second, je quittai la chambre en trombe.
Je dévalai les escaliers quatre à quatre, virai à droite et en quelques grandes enjambées, j'avais atteins le seuil de la bibliothèque. Je poussai les portes avec force et déboulai dans la grande salle dans un grand fracas.
-Kaï ! m'époumonai-je, hors d'haleine. J'ai une question pour toi !
Les veines de mes poings saillaient sous ma peau, blanchies sous les jointures, tant que je les serrais. L'écho d'un léger bruit sourd sur le parquet m'apprit que le vieux Roi se déplaçait dans la bibliothèque, accompagné de son habituel bâton.
-Kenfu, tiens donc, s'amusa-t-il en laissant poindre le bout de son museau derrière une étagère. Je savais que tu finirais par revenir.
L'éclat d'un oeil bleu perçant me parvint ensuite, et je me renfrognai :
-Je n'en avais pas du tout envie.
-En revanche, tes amis et ta famille ne pensaient pas te revoir avant longtemps... pouffa-t-il, un sourcil arqué.
Une grimace mauvaise naquit sur mon visage déjà tiré par la colère :
-Ca je l'ai bien vu...
-Tes parents s'aiment, mon jeune ami, reconnut-il avec un sourire. Tu ne peux rien y faire.
Je lui jetai un regard noir et tombai assis sur une chaise qui passait là. Le bureau était orné d'une tonne de paperasse et de livres disposés au hasard. Leur vue me rappela la Prophétie que Morgan m'avait révélée, que Kaï avait toujours su.
-Pourquoi m'avoir caché que j'avais une Prophétie ? lâchai-je, mal à l'aise, tout en grattant le bois du bout de mon ongle. Si tu me l'avais dit dès le départ, peut-être que je t'aurais plus cru.
La vieille Tortue prit place face à moi et me dévisagea un instant, une moue dubitative au visage :
-En es-tu certain ? Je crois surtout que tu m'aurais davantage pris pour un fou.
Je déglutis : le Roi n'avait pas tout à fait tord.
-N'empêche, insistai-je néanmoins. Pourquoi ne pas l'avoir révélée dès le début ?
-Ce n'était simplement pas le bon moment.
Je levai les yeux au ciel, exaspéré :
-C'est la pire excuse que je n'ai jamais entendue.
-Peut-être, mais c'est la vérité.
Il chercha mon regard quelques secondes durant, insistant, mais je pris grand soin d'éviter de l'en empêcher. Je n'arrivais pas à savoir s'il mentait ou si, pour la première fois, il n'avouait que l'unique vérité.
-D'ailleurs, demandai-je plutôt, afin de changer de sujet, tu as décidé de déménager ici ? La bibliothèque est ta maison, ton lieu de travail, ton lieu de repos... Tu t'occupes un peu de ce qui se passe à l'extérieur ou tu passes ta journée à rêvasser ?!
-Drôle de manière de me demander pourquoi tu me vois toujours ici, égaya-t-il, rieur.
Je plissai les yeux, attendis une réponse, qu'il ne se décida cependant pas à me donner.
-Et donc... ? insistai-je, insolent.
-Je te l'ai dit, pouffa le Roi. Tu ne passes pas tes journées ici, je présume, hum ? Bien. Alors, je ne suis pas ici toute la journée. Tu viens toujours sur les mêmes tranches d'horaires, à savoir celles où j'y suis.
C'était tout comme s'il s'arrangeait pour être là quand j'avais besoin de lui. Veillait-il sur moi et mon Don ? Avait-il une mission semblable à celle du Voyageur ? Je réprimai un rire ironique ; ce rôle lui correspondait si bien que s'il n'était pas piètre menteur, il aurait fait un parfait porteur du Don du Voyage.
-J'ai une autre question, déclarai-je finalement.
Il leva un regard curieux dans ma direction.
-Je ne crois pas que les Voyageurs existent, laissai-je tomber sans ménagement. Alors...
-Ce n'est pas une question, ça, sourit-il.
Je lui jetai un regard mauvais et dû prendre sur moi pour ne pas quitter la pièce en trombe. Il jouait sur mes nerfs et je n'appréciai guère cela.
-Est-ce que tu penses qu'ils existent ? repris-je, le ton froid.
Il haussa les épaules et s'appuya sur son bâton, l'air aussi amusé que de coutume :
-Pourquoi est-ce que tu t'embêtes avec de telles questions ? Qu'est-ce que tu espères trouver comme réponse ? Ce n'est pas parce que je suis Roi que j'ai réponse à tout. Je ne réfléchis pas à ce genre de choses parce que je ne pourrais jamais savoir, comme toi, comme tous les autres qui se retournent l'esprit avec l'idée du voyage dans le temps.
-Les Voyageurs sont censés veiller à l'accomplissement des Prophéties, insistai-je, mécontent de sa réponse. Pourquoi, dans ce cas, je n'en ai jamais vu ? Pourquoi je dois me débrouiller tout seul pour tout démêler ?! Pourquoi ils me laissent décimer des armées, enchaîner les erreurs ? Pourquoi ils ont laissé mon père m'abandonner ? C'est...
Ma voix se brisa et je fus incapable de poursuivre. Je ne trouvai plus les mots pour décrire mon désarroi. Kaï, quant à lui, retenait à grande peine un rire. Je le foudroyai du regard et il ne put se contenir ; il s'esclaffa, étirant un faible sourire à ses lèvres :
-Mais qu'est-ce que tu espères entendre ? Si tu veux quelqu'un pour changer tout ça, t'aider à comprendre ta Prophétie et ton Don, trouve un Voyageur ! Ne me demande pas ça à moi ! Comme je te l'ai déjà dit, je n'ai pas réponse à tout, et encore moins à ça. Je suis un vieux Roi fatigué et dépassé par les évènements. On m'a révélé ta Prophétie dans des circonstances très étranges, et je t'avoue, au début je n'y ai pas cru. Et puis tout s'est enchaîné rapidement. Je sais juste que j'ai probablement un rôle à jouer dans l'accomplissement de ta Prophétie, mais je n'ai aucune idée duquel. Alors, oublie ton Voyageur et concentre toi plutôt là dessus. Ca, c'est concret, c'est vrai. Le Don du Voyage, c'est une légende.
Il se releva, s'étira et m'accorda un énième sourire exaspéré. Je l'observai s'en retourner à ses étagères tandis qu'un puissant sentiment d'impuissance s'emparait de mon cœur largué. Je ne comprenais plus. Que devais-je faire ?
Je réprimai un soupir, les sourcils haussés, et eut un rire ironique en songeant que j'étais probablement celui qui en savait le moins parmi tous ceux qui connaissaient l'existence de ma Prophétie.
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