Chapitre 51 : Paix et hargne, un excellent mélange (Corrigé)

Le cas de Morgan s'aggrava davantage lorsque, en quittant l'établissement, je découvris blotti dans la poche de ma veste un nouveau petit mot accompagné de quelques pièces.

-"Pour la navète" lus-je dans un grondement sourd.

Il avait gribouillé sur le coin un petit bonhomme vêtu d'un grand sourire ; mais cela ne fit qu'accentuer ma colère. Il se moquait de moi, et je détestai ça. Néanmoins, cela ne m'empêcha pas de marcher jusqu'au prochain arrêt pour prendre la navette qui me déposerait à Enohria. Les yeux plissés sous l'éclatante lumière du jour, je resserrai mon veston autour de moi après un long et désagréable frisson. L'air frais qui dansait avec les courants signait la fin de l'été, marquait le début d'un hiver tranquille pour la ligne équatoriale de Phoenix. Moi qui était habitué aux longues périodes glacières et au maigre soleil du Nord, je me trouvai bien frileux. C'est la fatigue, me rassurai-je en réprimant un soupir. Je m'accrochai à la rambarde décorée d'arabesques et de fleurs mauves, serrai les dents contre le froid qui, poussé par les remous du bateau sur l'eau, me fouettait la figure. Quelques fois, l'imposante queue de la Baleine qui tirait la navette projetait sur ma peau des gerbes d'eau glacées et m'arrachait une grimace.

En revanche, malgré la température et l'eau, le sourire avait enfin chassé la colère de mon esprit. Le temps s'était arrêté, ne laissant pour mon cœur fragile que la beauté de la vie qui grouillait tout autour de moi. Les passants, occupés à leurs banales occupations, marchaient dans un sens ou un autre. Et moi je les observai, amusé, le regard brillant sous un splendide ciel presque vierge. Stellarium était une cité magnifique, et cela, personne ne pourrait le nier.

Un éclat de lumière vive attira soudain mon regard et je baissai les yeux, curieux ; je me penchai aussitôt par dessus la rambarde, ahuri, et vis une masse se mouvoir sous les eaux du fleuves. Je réalisai alors que le fond, que je croyais être un simple béton comme l'étais le trottoir, était en fait un vitrage qui laissait entrevoir les habitants des souterrains.

-C'est ingénieux, concédai-je d'une voix à peine audible, impressionné.

Les rayons du soleil les tuerai s'ils étaient trop exposés ; eux qui vivaient dans l'extrême Nord, la chaleur équatoriale n'était pas bénéfique pour leur organisme. Mais l'eau du fleuve filtrait la lumière, l'atténuait, et garantissait une fraîcheur constante. Je m'imaginai me promener dans ces ruelles enfouies sous la ville et mes yeux s'écarquillèrent davantage. Ce devait être à couper le souffle.

Finalement, la paix et la liberté ressenties pendant ces quelques minutes prirent fin et mon estomac se noua lorsque l'on me déposa devant les escaliers de l'Académie. Non pas parce que l'idée de revoir mon père et les autres m'effrayait, mais parce que les deux cents marches à gravir pour atteindre l'école n'étaient pas une promenade de santé. Je revenais d'un sommeil d'un mois durant lequel, en toute logique, mes jambes n'avaient pas bougé. Et voilà que je leur imposai la montée d'un escalier plus grand que nature.

-Je déteste cette école, grommelai-je tout en entamant mon ascension.

Les vertiges tentèrent de me mettre au sol à plusieurs reprises ; les marches, qui d'extérieur paraissaient petites et brèves, étaient en réalité raides et d'une taille disproportionnée. Il fallait lever le genoux très haut sur sa poitrine pour parvenir à se hisser jusqu'à la prochaine.

L'extrémité m'apparut enfin, accueillante image rassurante qu'elle était ; jamais je n'aurais cru être aussi heureux d'avoir terminé l'ascension d'un escalier. A cet instant, j'avais le sentiment d'être la créature la plus puissante et la plus déterminée de Phoenix.

Après ça, serpenter dans les dédales des bâtiments fut bien reposant. Malgré tout, j'atteignis la Section Erkaïn hors d'haleine, pris de frissons et couvert de sueur. La brise fraîche de la navette me manquait terriblement.

Je finis par me redresser, le souffle court, et poussai les portes du bâtiment réservé aux cours. La chaleur du hall m'arracha un grognement agacé, qui fut cependant brutalement interrompu par la vue terrifiante que l'on m'imposa. Je sentis les couleurs ruisseler sur mon visage, s'évaporer doucement pour me narguer depuis leur tranquille nuage.

-Putain d'escaliers ! hurlai-je, les poings serrés.

L'écho de ma voix se répercuta jusqu'en haut de l'édifice avant que le toit de verre ne me le renvoie. J'avais oublié qu'il fallait encore grimper pour atteindre les salles de classe.

-Kenfu ? s'étrangla une voix dans mon dos.

Je fis volte face, pris d'un sursaut, et vis George pénétrer dans le hall.

-Tu m'as fait peur ! crachai-je, une grimace de haine au visage.

Mais les affaires de l'Ours s'écrasèrent au sol dans un grand fracas ; en une fraction de seconde, il était sous forme humaine et avait bondi dans ma direction pour me serrer contre sa poitrine.

-C'est toi qui nous a fait une peur bleue ! gronda-t-il d'une voix tremblante d'émotions. On a cru que t'étais mort, espèce de...

Je battis des paupières, stupéfait, puis lâchai dans un faible souffle :

-De... ?

Il pouffa et finit par me relâcher, à mon plus grand soulagement. Il n'avait fait qu'ouvrir davantage le robinet de la sueur.

-Je pue, à cause de toi, grommelai-je. J'ai trop chaud.

-Tu sais qu'on n'a pas cours, aujourd'hui ? sourit-il en ignorant ma remarque.

Je le fixai un instant, les yeux plissés :

-Quel jour on est, déjà ?

-Samedi.

Il me décrocha un regard moqueur et je lui tirai la langue, irrité. Il se pinça les lèvres pour ne pas rire tandis que je levai les yeux au ciel pour masquer à grande peine mon sourire ; à vrai dire, cet idiot m'avait manqué.

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