Chapitre 50 : Un très, très grand puzzle (Corrigé)
Impossible.
Voilà le seul mot qui parvenait à se frayer un chemin jusqu'à mon esprit saccagé. C'était, et cela sans que je n'ai besoin de le justifier, tout bonnement impossible.
Premièrement, comment, par le hasard ou je ne sais quelle Magie, aurais-je pu rencontrer l'ancien meilleur ami de ma mère dans une boîte de nuit ? Puis, une seconde fois, dans une auberge non pas Erkaïenne mais Phoenicienne ?! Ensuite, ma mère n'avait jamais mentionné le nom de Jack ces vingt dernières années.
-On est nés tous les deux dans les Bas Quartiers d'Erkaïn, précisa Jack tout en avalant une énième gorgée de bière.
Je l'imitai, les yeux dans le vague, mais bus bien plus d'une gorgée. Je maintenais ma position. C'était impossible.
-Je l'ai toujours connue. On était comme frères et sœurs. Quand ses parents sont morts pendant la Première Guerre des Trônes, elle est venue vivre avec moi. Mon père tenait un bar dans sa rue, alors ce n'était pas très loin.
Je redressai brusquement le regard dans sa direction. Un bar, dont le patron était un vieux Lynx grincheux et patibulaire ? Voilà qui m'était familier. Ma mère s'y rendait souvent lorsqu'elle cherchait du travail ; quant à moi, j'évitai de m'y rendre. Ce lieu me donnait la chair de poule. Il n'y avait pas mieux comme endroit pour perdre de l'argent et se faire des ennemis.
-Le proprio du bar est ton père... ? soufflai-je, perdu.
L'autre hocha doucement la tête et soupira :
-Enfin donc. Un jour, il...
-Attends, le mit en garde Bort, un sourcil arqué. T'as oublié de préciser un truc. Dis le sinon j'le fais.
Son ami lui décrocha un regard assassin avant de couler un visage grimaçant :
-Oui, en fait... J'étais son meilleur ami, mais j'étais surtout amoureux d'elle.
Je déglutis et mes yeux tombèrent au fond de la chope. Il n'y avait plus de liquide jaune. Lui seul aurait su me tirer de cette affaire pour le moins étrange.
-Et donc un jour, poursuivit-il, elle a décroché un poste d'archéologue. Le problème, c'est qu'il se trouvait sur Enohr.
Mes muscles se raidirent alors qu'une révélation s'imposait peu à peu à moi. Jack connaissait l'histoire de mes parents.
-Alors je l'ai accompagnée. Là bas, j'ai rencontré cet imbécile de Bort que tu vois là...
Il pointa le grand chauve du pouce sans daigner le regarder, ce qui sembla amuser l'intéressé.
-J'suis le dernier rejeton des propriétaires du site, croassa-t-il, un sourire carié aux lèvres. Jacky et moi on s'quitte plus d'puis.
-Tais toi un peu, tu veux ? s'agaça ce dernier. Tu vas trop vite.
Mon regard sautait de l'un à l'autre, interdit. A vrai dire, mes neurones n'étaient pas tout à fait reposés et suivre la conversation relevait d'une concentration que je n'étais pas en mesure de déployer convenablement. Aussi je posai ma fourchette et plissai les yeux pour m'obliger à m'y pencher sérieusement. Ce sujet là était important.
-Là bas, continua Jack, Julie a rencontré ton père, Aïru. C'est lui qui finançait tout. Personne a jamais su d'où est-ce qu'il tirait l'argent. Mais c'est pas important. J'ai dû me résoudre au fait que mes sentiments ne seraient jamais réciproques, parce qu'ils ont très vite commencé à sortir ensemble.
-Et ensuite ? soufflai-je, impatient.
-Ensuite elle est tombée enceinte. Elle ne l'a dit qu'à moi. Ton père l'a emmenée à Phoenix pour la présenter à sa famille, mais je crois que ça s'est pas très bien passé, parce que ta mère est revenue au site toute seule. Et puis, Kaï est arrivé.
-Kaï ? répétai-je, stupéfait. Qu'est-ce qu'il a à voir dans cette histoire ?
-Il voulait proposer à mes parents d'financer l'projet au cas où l'autre se ramènerait pas, gronda Bort, visiblement agacé. J'l'aimais pas du tout, c'ui là.
-Ses parents ont refusé, enchaîna Jack. Ils avaient confiance en Aïru.
Je me renfrognai alors qu'une grimace s'étirait sur mes joues :
-Ca a sûrement été la pire erreur de leur vie.
Les deux soldats me fixèrent un instant, songeurs, puis le blond se ressaisit :
-Enfin bref oui, ils l'ont regretté après. Mais d'abord, Aïru est revenu. Il s'est réconcilié avec Julie. Et puis Bort et moi ont est partis.
-Quoi ? Vous êtes partis ? répétai-je, les sourcils froncés. Pourquoi ?
Ils échangèrent un regard hésitant. Même si leurs paroles me laissaient perplexe, une potentielle raison de leur départ émergea au fond de mon esprit. Non, ça aussi, ça serait impossible... songeai-je tout en dévisageant les deux autres. L'homosexualité n'existe pas chez les Erkaïns, puisque nous sommes à demi animaux...
-On va devoir te laisser, déclara soudain Jack, penché sur sa montre. On va être en retard.
-En retard pour quoi ? sifflai-je, méfiant.
J'étais à peu près certain qu'ils évitaient juste de répondre à ma question.
-Ne t'fais pas d'idée, petit, maugréa Bort. Jacky est comme ton oncle, c'est pour ça qu'il s'inquiétait autant. On est partis pour faire le tour du monde. Et pis on revient des champs d'bataille de Fishcrips. Et là faut y r'tourner. On a une alerte.
J'arquai un sourcil, pas vraiment convaincu. Ils firent grincer les chaises au sol, me saluèrent un solennel geste de menton et détalèrent à l'extérieur. Etrangement mal à l'aise, ainsi seul dans une auberge Enohrienne, je ne trouvai d'autre occupation que de finir mon assiette le plus rapidement possible.
Mais soudain, la fourchette glissa sur mes dents et mon cœur manqua un battement. Morgan. Où était-il passé ? Il devait revenir avec de la nourriture volée. Et il ne m'a pas rendu mes tartines, feula une voix dans le coin de mon esprit.
Je m'essuyai la bouche d'un revers de manche et m'engageai vers l'aubergiste, la mine inquiète :
-Vous vous souvenez du gamin, hier ? Celui qui a loué la chambre trois.
Mais le barman pouffa, visiblement amusé par la situation :
-J'suis désolé m'sieur, mais l'gamin a dit qu'c'était vous qui paierez. Il est parti tôt c'matin en précisant que vous vous chargeriez de tous les frais.
Je passai deux doigts sur mes paupières fatiguées et pris sur moi pour ne pas hurler. Ce voleur m'avait bien embobiné. L'affreux sentiment de honte qui, au passage, fit trembler tous mes muscles me colla une sacrée gifle. Comment avais-je pu être aussi stupide ? Comment avais-je pu faire confiance à un enfant, voleur qui plus est ?
-Ah, j'oubliais, ajouta l'aubergiste, à mon plus grand désarroi. Il a prit des bouteilles d'eau et des oeufs. Il a dit d'ajouter ça sur vo'te liste.
-Quel petit f...
-Monsieur, gronda mon interlocuteur. J'suis désolé mais faut payer, maintenant. Fallait faire gaffe avec qui vous veniez ici.
Mais comment étais-je censé payer la facture ? Je n'avais pas d'argent. Une idée germa alors dans un coin reclus de mon esprit et m'arracha une grimace. La dépendance était bien la chose que je redoutai le plus en ce Monde, et encore plus si c'était envers mon père.
-Envoyez la facture à Aïru des Panda-Roux, Directeur de la Section Erkaïn de l'Académie d'Enohria. C'est mon père.
Et sur ces mots, je tournai les talons, incapable de supporter davantage le regard excédé de l'aubergiste. J'étais dans un beau pétrin.
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