Chapitre 49 : Drôles de retrouvailles (Corrigé)

Les escaliers firent de leur mieux pour m'empêcher d'atteindre le rez-de-chaussée. Si bien qu'en manquant une chute à la dernière marche, je pris une seconde pour leur jeter un regard assassin. Si même eux souhaitaient ma mort, je n'étais pas prêt de devenir ce fameux Grand Sauveur dont Kaï prétendait que j'étais.

Le couloir, éclairé faibles bougies, déboucha sur une pièce d'envergure moyenne, dans laquelle la vie ne semblait pas vraiment prospérer. Une dizaine de personnes, tout au plus, occupaient les chaises aux vis rouillées. Elles courbaient l'échine, redressaient sur leur visage creusé un couvre chef décrassé. J'arquai un sourcil et en vins à la conclusion que c'était probablement pour cacher leur manque de capillarité. Les Hommes jalousaient nos fourrures soyeuses qui ne tombaient qu'à l'heure de notre mort. L'envie me prit de leur adresser un sourire satisfait, mais le souvenir de la bataille contre les Changers m'en dissuada. Les Hommes Phoeniciens étaient alliés de ces derniers. Leur pendre sous le nez une provocation telle que celle-ci, de la part d'un Erkaïn, n'était certainement pas la solution. Et puis, après tout, ils n'y étaient pour rien si ils finissaient chauves à peine la quarantaine passée.

Je m'ébrouai et m'assis à une table vide, agacé. Je n'appréciai pas beaucoup ces idées qui me traversaient l'esprit. Esquisser un sourire méprisant à un Humain ; mais qu'elle idiotie ! L'image de ce vieux Tobias, le cousin de Sinna, me revint en mémoire. Lui l'aurait certainement fait. Rester un mois alité ne m'avait pas réussi. Je devenais un Tobias. J'eus un frisson ; plutôt mourir que cela arrive un jour.

-Kenfu ? me héla une voix surprise.

Je redressai vivement le menton, et ce geste brusque me raccrocha aussitôt à la réalité. Je suis dans une auberge dans le quartier Enohrien. J'ai une Prophétie, un Dragon, j'ai décimé une armée et je reviens d'un coma d'un mois. Putain, mais je suis vraiment trop con.

-Eh, mais c'est notre ami vert ! railla le second en prenant une chaise face à moi.

Je dévisageai les deux intrus, perplexe. Deux hommes, dont les épaules faisaient probablement deux fois la largeur des miennes, venaient de poser leurs muscles face à moi. Voilà, m'exaspérai-je, soudain angoissé. Je suis mort.

Ils me fixèrent un instant, puis échangèrent un regard perplexe.

-Jacky, pouffa l'un d'eux, j'crois il se souvient plus de nous.

Une bombe frappa alors mes tympans et déclencha dans mon esprit un torrent de souvenirs mélangés ; j'écarquillai les yeux et repris enfin mon souffle, soulagé. Je me souvenais, maintenant ! Ils n'étaient donc pas là pour me voler ou me tabasser. Ils venaient me saluer.

-Jack et Bort ! m'exclamai-je, stupéfait.

Le sourire leur revint et le borgne leva une main impatiente vers l'aubergiste :

-Trois bières et une assiette d'œufs brouillés !

Le propriétaire des lieux leva le pouce pour signifier que la commande était enregistrée, tandis que mes sourcils se fronçaient :

-Une bière ?

-C'est un alcool Enohrien, croassa Bort d'une voix bourrue, l'oeil brillant. C'est délicieux.

-Bien meilleur que les Damors, ajouta son ami.

Ils hochèrent frénétiquement le menton pour appuyer leurs paroles et je tombai sur mon dossier, les yeux plissés :

-Vous êtes partis au front ?

-Toi d'abord, petit, me coupa Jack tout en me lançant un regard lourd de sous entendus.

Il désigna les alentours d'un faible geste de menton et je me renfrognai. Craignaient-ils vraiment que l'on puisse les espionner ici, dans un lieu si perdu, si sale ?

-J'ai dormi, grommelai-je, agacé.

Au même instant, l'aubergiste déposa face à nous trois chopes de bière et l'assiette demandée. Jack la poussa dans ma direction et m'incita à manger. Je ne me fis pas prier et avalai les œufs sans discuter. Mes dents me faisaient toujours souffrir, mais la faim me tiraillait davantage.

-T'étais dans l'coma ? m'interrogea Bort pour m'encourager à poursuivre.

-J'ai fait une infection et un arrêt cardiaque.

Ils me dévisagèrent un instant et je les fusillai du regard :

-C'est vous qui avez cherché à savoir, alors me regardez pas comme ça !

Bort réprima une quinte de toux, mal à l'aise, mais Jack conservait le même air effrayé.

-C'est fini maintenant, OK ? insistai-je, les dents serrées. Je suis pas d'humeur à raconter ce genre de trucs. Et puis vous avez pas besoin de savoir les détails.

-Jacky était inquiet, c'pour ça, railla le grand chauve aux dents jaunes. Il était pas concentré dans not'e bolide pendant les batailles. Il arrêtait pas d'me dire "P't'être qu'j'aurais dû parler à Julie..."

Les œufs bondirent dans ma gorge et m'étouffèrent sous le coup. Le rouge me monta aux joues, et la toux me brûla les poumons. Finalement, je parvins à articuler, sous le choc :

-Tu as dit Julie ?!

Il foudroya son ami du regard tandis que ce dernier masquait à grande peine un rire coupable.

-Je ne devais rien dire, tu te souviens ?!

-Attends... balbutiai-je, la main sur le cœur, reprenant difficilement mon souffle. Tu connais ma mère ?

-C'était même sa...

-Bort, gronda Jack, menaçant. Tu ne sais pas te taire, hein, vieux con ?

Le silence s'attarda quelques secondes. Elles me suffièrent à avaler ma bouchée pour être certain de respirer librement :

-C'était sa quoi ? insistai-je, tout sourire envolé.

Il lâcha un soupir et plongea son regard ambré dans le mien :

-C'était ma meilleure amie.

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