Chapitre 47 : Le Télépathe (Corrigé)

Mes poumons gémissaient, hurlaient, se comprimaient sous la douleur. Ils priaient à ma place la mort de les laisser en paix, car j'étais actuellement incapable de faire autre chose que d'être secoué de spasmes. Je convulsai, le dos et les épaules meurtries par le choc. Heureusement, le drapé d'un stand tendu en contre bas l'avait amortie. Aussi, j'étais à peu près certain de ne pas mourir.

-Monsieur, vous êtes pas un peu bête ? pépia une voix aigüe non loin.

Je parvins à réprimer un grognement entre les bouffées d'air qui s'échappaient difficilement de ma poitrine comprimée. Quelques petits pas précipités résonnèrent à travers la ruelle, et deux yeux bruns tombèrent dans les miens :

-Vous savez, j'aimerai bien m'excuser, mais ma maman m'a toujours dit que s'excuser pour un vol c'était rendre son sabre...

-M'en fous ! crachai-je, les membres secoués de tremblements.

Au prix d'un effort colossal, je réussis à me tourner sur le ventre et gémis lorsque ma peau tout juste réparée me tira au flanc. Le voleur m'aida à me relever et je lui soufflai entre mes dents serrées :

-Faut pas rester là. Ils vont venir me chercher.

-Pourquoi je vous aiderai ? J'aide pas les gens que je vole.

Je le foudroyai du regard ; en voilà un que j'aurais eu le plaisir d'étriper si je n'étais pas infirme. Il arqua un sourcil et me dévisagea des pieds à la tête. L'envie me prit d'attraper ses cheveux mal peignés pour le secouer dans tous les sens. J'avais en horreur ce regard de jugement.

Finalement, il réprima un soupir, retira vivement sa veste et m'obligea à l'enfiler. Stupéfait, je le laissai rabattre la capuche sur ma tête et m'entraîner plus loin dans la ruelle.

-Dis, c'est toi qui fait les tartines ? demanda-t-il alors que nous virions à droite.

Mes muscles se raidirent et je grimaçai de douleur. Je voulus serrer les poings sous la colère qui me consumait peu à peu, mais ce simple geste ne ferait qu'accentuer la souffrance. Qu'il était agaçant d'être blessé et convalescent ! Moi qui avait sans cesse l'habitude de ne pas retenir ma colère, voilà que j'étais coincé !

-Tu vas me les rendre, sifflai-je, menaçant. Ce sont les miennes.

Nous nous engageâmes dans un étroit quartier, où l'eau des grandes ruelles ne bifurquait pas. Le jeune voleur me relâcha et se précipita sur les dalles. Il envoya ses talons glisser sur les reliefs, mima une pirouette et sa cape déchirée suivit le mouvement, portée par le vent.

-Je t'ai demandé de me les rendre ! insistai-je, agacé. T'es sourd ou quoi ?

-Arrête ton venin pour toi, petit sangsue, soupira-t-il en étirant cependant un sourire malicieux. Tu ne vois pas que plus tu essaies de parler et plus tu te fatigues ?

-Quoi ? articulai-je, les yeux plissés. T'es au courant que les sangsues n'ont pas de venin ?

Il plissa les yeux, concentré, et ralentit le pas :

-Alors, si elles ont pas de venin, tu crois qu'on peut les manger ?

Je fus pris d'un haut le cœur lorsque l'image de l'animal visqueux sur ma langue s'imprima dans mon esprit.

-Mais bien sûr que... commençai-je, avant de soupirer. Peu importe. De toute façon, il n'y a pas de sangsues à Phoenix. Ce sont des animaux Enohriens.

-Je ne crois pas que ce soient des animaux, me contredit l'enfant. Et puis, tu ne sais pas. Peut être qu'un jour elles auront envie de venir vivre ici.

Je retins un hurlement d'exaspération. Je devais rester patient. Ce gamin était ma seule chance d'échapper à mes parents en furie et à Kaï, qui devaient probablement être en train de me chercher.

-Tu vas être mis en prison ? s'inquiéta soudain mon guide en s'arrêtant à ma hauteur.

J'arquai un sourcil, railleur :

-Et pourquoi j'irai en prison ?

Mais mon coeur s'était serré à sa pensée. Peut-être méritai-je la prison après ce que j'avais fait. Il leva ses grands yeux bruns dans ma direction et plissa les yeux, méfiant :

-Tu as...

Il se tut soudainement et je me stoppai net, inquiet.

-Tu as vu quelque chose ?

-Oui, hoqueta l'enfant en retenant un rire. Tu devrais mettre un pantalon. Parce que si tu te penches, tout le monde verra tes...

J'ouvris la bouche, sidéré, mais aucun son n'en sortit.

-J'ai pas envie de voir tes fesses ! insista-t-il en éclatant de rire. J'aurais plus envie de manger les tartines après...

Je fis alors un brusque pas en avant et attrapai le col de son vêtement d'une poigne ferme :

-Rends moi mes tartines et va-t-en, OK ? Je crois que finalement, je n'ai pas besoin de toi.

-Mais Kaï et tes parents te cherchent... contesta-t-il, tout sourire envolé.

J'eus un mouvement de recul, sous le choc. Je n'avais aucun souvenir de l'avoir précisé.

-Co... Comment...? bredouillai-je, les yeux écarquillés.

-Ben je le sais, c'est tout.

Il haussa les épaules et feignit une expression énigmatique. Je restai un moment immobile, puis me pressai la main sur les yeux. C'était une coïncidence. Ou bien devenai-je fou et avais-je oublié ce que je lui avais ou non raconté.

-Je m'appelle Morgan, au fait, enchaîna-t-il d'un ton plus gai.

Je le lorgnai d'un regard mauvais et accélérai le pas. Je finirai bien par le semer. Il n'était plus question de tartines, désormais ; ce dénommé Morgan était un gamin étrange.

-Tu ne peux pas me semer, souffla-t-il.

Je lui jetai un regard méfiant. Le timbre de sa voix s'était soudain fait morne et attristé ; à moins qu'il soit un as du mensonge, il était probablement plus fou encore que moi.

-J'entends chacune de tes pensées ! s'emporta-t-il en serrant les poings. Alors essaie de pas être méchant dans ta tête !

-Excuse moi, raillai-je, méprisant, mais ce n'est pas moi qui me suit introduit dans ta chambre de nuit pour voler le seul cadeau que ton père ne t'ai jamais fait ! Cadeau qui est aussi ta nourriture préférée, que tu n'as pas pu manger depuis plus d'un mois parce que tu étais dans le coma !

Il baissa les yeux, l'air coupable, et n'en retourna rien. Pour une fois, grondai-je intérieurement. S'il pouvait rester silencieux jusqu'à que je trouve le moyen de me cacher, ça m'avantagerai.

-Je connais un endroit, si tu veux, intervint-il, comme soufflant un écho à mes pensées.

-Tu ne peux pas arrêter ?! m'agaçai-je, les dents et les poings serrés malgré la douleur. Les Télépathes ne savent pas contrôler leur Don ?!

Il accéléra le pas pour revenir à ma hauteur et haussa les épaules en coinçant ses petites mains dans ses poches :

-Ce n'est pas parce que j'ai un Don que je sais le contrôler.

Il me jeta un regard lourd de sens et la culpabilité me fit signe, un sourire crispé aux lèvres. T'es mal placé pour parler, siffla-t-elle, exaspérée. Mais je n'étais pas de son avis. Nos Dons étaient différents à bien des manières, notamment sur le danger qu'ils représentaient vis à vis des autres. Je n'étais pas certain que Morgan soit en capacité de déclencher des explosions et d'anéantir une armée entière tout aussi involontairement que moi.

-On ne choisit pas ce qu'on est, ajouta-t-il, hésitant. Tu devrais comprendre ça mieux que personne.

Je réprimai un soupir. Il me rappelait George, à répliquer de telles morales de vie. Et ce n'est encore qu'un gamin...

-C'est faux ! tempêta-t-il, irrité. J'ai dix ans. Je ne suis plus un enfant. Et puis, maman m'a dit un jour que les Pirates devenaient adultes que lorsqu'ils le voulaient !

Je levai les yeux au ciel, exaspéré :

-Bien sûr. Ta grand mère était une Elfe aussi, pendant qu'on y est ?

Ses traits dessinés de boue et de crasse s'étirèrent en un grand sourire :

-Je suis totalement sérieux. Je suis un Pirate de sang pur !

-Un Pirate en 2010 ? ironisai-je en le dévisageant des pieds à la tête. Et puis quoi encore ?

J'accélérai le pas et un grognement agacé m'échappa. Il semblerait que j'étais le tombé sur le pire voleur de la cité. Exaspérant et toqué à souhait.

-Je suis peut-être fou, mais je connais un endroit où tu pourrais te cacher. Je te l'ai dis toute à l'heure mais tu m'as ignoré.

Je ralentis le pas jusqu'à m'arrêter sec devant lui pour lui décrocher un lourd regard de reproche :

-Et cette maman dont tu parles souvent, elle ne t'a pas appris à contrôler ton Don ?! Ca t'amuse, de lire les pensées des gens toute la journée ?

J'attendis une réponse, les sourcils levés avec insistance, mais Morgan ne semblait pas savoir quoi retourner. Il garda la bouche ouverte, pensif, avant de la refermer doucement. Je lâchai un énième soupir. Cerner cet enfant n'était pas chose aisée.

-Et puis, tu dois entendre des atrocités toute la journée, poursuivis-je, soudain las. Des paroles qui ne sont certainement pas pour tes oreilles de gamin.

-Tu sais, un jour, posa-t-il calmement tout en redressant fièrement le menton, un grand m'a dit que la pensée était la plus belle et la plus noble des pensées.

Il me fixa un instant avant d'ajouter :

-Je crois que c'est vrai.

Je repris mon chemin, bifurquai à gauche sans vraiment savoir où déboucherait cette ruelle. Voilà que le visage de George apparaissait à nouveau sur celui de Morgan. L'image de mon ami, aux côtés de Jeane, m'observant dans le plus grand des silences dans l'ombre de la pièce refit surface. Je me demandai ce qu'il allait advenir d'eux, alors que j'avais fuit. Mes parents les harcèleraient probablement, s'imaginant qu'ils sauraient où j'avais décampé.

Mais pouvaient-ils vraiment me reprocher cette réaction ? Ils m'avaient caché le secret masqué derrière chaque question qui m'avait trotté dans la tête tant de temps. Une stupide Prophétie, qui paraissait détenir toutes les explications que j'avais recherché. Et puis, savoir être le sujet d'un intriguant présage était une chose, mais ne connaître précisément les termes de ce dernier en était une autre. J'avais déboulé dans un cul de sac, et j'étais forcé de faire demi tour pour obtenir mes réponses. Mais je ne voulais pas affronter mes parents et Kaï. Pas aujourd'hui, du moins. Finalement, demeurer dans l'inconscience était peut être la seule façon d'être en paix. Je réprimai un soupir : voilà une belle pensée digne de George.

-Je peux te dire ta Prophétie, si tu veux, intervint Morgan en accourant. Je la connais par cœur.

-Comment est-ce que c'est possible ? sifflai-je, méfiant.

Nous avait-il espionné ? Mais il fit secoua négativement le menton et enchaîna :

-Ta mère se la répète très souvent depuis que tu es à l'hôpital. Elle pense que puisque tu as une Prophétie, tu ne peux pas mourir de cette façon, aussi tôt.

Je me renfrognai ; dans un sens, elle n'avait pas tout à fait tord. Mais je n'étais pas certain qu'une prédiction Magique soit réellement un chemin tout tracé qu'il nous était obligatoire d'emprunter. J'étais seul maître de mes décisions. Je pouvais décider de fuir sur Enohr et laisser ce Don, cette Prophétie et cette guerre derrière moi. Chose que j'étais actuellement incapable de faire. Non pas parce que j'étais blessé, mais parce qu'après tout ce qu'avait sacrifié ma mère pour moi, je ne pouvais l'abandonner à son sort dans ce Monde maudit.

-Je te l'a dit si tu me donnes de la bouffe, égaya Morgan en étalant sur ses joues sales un grand sourire ravi.

C'était tout comme s'il était persuadé que j'accepterai son marché. Mais le pauvre enfant était tombé sur le mauvais Erkaïn :

-Hors de question. Et tu vas me rendre mes tartines, en plus de ça.

-Si, répondit l'enfant, déterminé. Tu vas accepter parce que tu veux absolument entendre cette Prophétie, hein ?

-Non.

-Si.

-Non.

-Si.

-Mais putain mais fous moi la paix ! m'emportai-je, à bout de nerfs.

Il se tut et se pinça les lèvres pour retenir un rire. Néanmoins, il finit par abdiquer et leva les paumes pour signifier sa défaite :

-D'accord. Je te dis ta Prophétie et ensuite je t'emmène dormir. Parce que tu es vraiment en mauvais état.

Je lui jetai un regard mauvais, un sourcil arqué :

-Regarde toi avant de dire des choses aussi...

Il se racla bruyamment la gorge pour me faire taire et mima une voix énigmatique :

-"Son pelage est noir comme son cœur meurtrit par l'abandon,

Ses yeux sont verts comme l'espoir qu'il porte en lui ;

Enfant des Quatre Lois de l'Univers,

Rival de l'Inéluctable,

Héritier du Commencement ;

Il est le Jumeau maudit aux Deux Ames,

Dont seul le cœur guidé du Dragon de Jade

Saura s'il doit détruire ou sauver."

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