Chapitre 45 : La terrible vérité des tartines de miel (Corrigé)

Mais malheureusement, ça n'était pas fini.

Mon sourire s'évanouit.

Cet instant ne serait que très court, et très vite la peur, le danger, la douleur reviendraient. Comment pouvais-je prétendre être au meilleur de ma forme, alors que la seule chose qui tenait encore debout dans ma vie était le fait qu'aucun de mes proches n'ai trouvé la mort ? Chose que je ne pensais pas venir arriver de si tôt, d'ailleurs, ce qui me rassurait.

A moins, bien entendu, qu'une autre bombe ne soit larguée d'ici peu.

Une pensée détala dans mon esprit, souffla sur toutes les autres et éparpilla le doute sur son passage. A moins que je ne sois cette bombe. L'idée que l'ensemble des Îles lève une armée dans l'unique but de m'anéantir me fit frissonner. Après la bataille contre les Changers, il était certain qu'ils me redouteraient tous. Ou bien se ligueraient-ils dans l'espoir de calmer l'hémorragie, empêcher que cette faille déséquilibrée que j'étais ne répande davantage la mort.

-El... lâcha brusquement Kaï, endormi sur le fauteuil à mes côtés.

Je pivotai lentement dans sa direction, un sourcil arqué, et soupirai. Son Don à lui était celui de réduire ma bonne humeur en cendres. Il avait suffi qu'il entre dans la pièce, alors que je riais, pour chasser autant Sinna que mon sourire. Il avait interdit quiconque de venir me déranger.

-Il a besoin de repos, avait-il proféré, agacé, quand mes quatre amis et moi nous étions rebellés contre cette stupide idée.

Et sur ce, il avait claqué la porte, tiré les rideaux. Il était tombé dans un fauteuil et s'était endormi. Quelques fois, il s'éveillait, parcourait les lieux d'un regard méfiant avant de replonger. Quelle heure était-il ? Je n'en avais aucune idée. Je savais seulement que j'avais dormi près d'un mois, aussi mes yeux n'avaient absolument aucune envie de se fermer à nouveau. Capricieux, ils tenaient à demeurer ouverts le plus longtemps possible.

Nouveau soupir. L'idée de quitter la pièce pour retrouver mes amis me traversa alors. Mais le souvenir de Sinna me racontant mes mésaventures me revint en mémoire et acheva de me clouer définitivement au lit. Mieux valait éviter une nouvelle mort.

Si la pénombre avait calmé les brûlures de mes iris fatigués, elle m'était désormais bien trop familière pour que je puisse la supporter plus longtemps. Je voulais de l'air frais, de la lumière, du soleil, un ciel bleu éclatant. Mais la nuit était vite arrivée, et désormais, la seule lueur était celle qui filtrait sous la porte. L'obscurité éclairait nos visages, gommait nos traits fatigués.

J'agitai mes orteils sous la couette, las, et me demandai pourquoi Kaï tenait tant à veiller ainsi sur moi. N'avait-il pas des réunions, la nuit ? Je grimaçai : une bombe avait été larguée en plein centre de la capitale un mois plus tôt, et que faisait le Roi ? Il ronflait sur le fauteuil de l'un de ses élèves, celui là même qui avait tué alliés et ennemis confondus. Celui qui ne contrôlait absolument rien. Je haussai les épaules. Finalement, nous avions un point commun. La situation nous échappait totalement. Et que faisions nous pour prétendre le contraire ? Nous n'assumions pas nos responsabilités. Nous évitions les regards, les foules où il fallait se justifier.

Je me tassai sur mes oreillers. Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle là. Enfin, Kaï est quand même Roi, me dis-je néanmoins. Ce n'est quand même pas la même chose... Il ne peut pas esquiver ses devoirs par fierté. Pas alors que la menace d'une Deuxième Guerre des Trônes pèse sur Phoenix...

Soudain, un bruit sourd tonna à travers la chambre, arrachant à Kaï comme à moi un violent sursaut. Le vieil homme sauta sur ses pieds, les muscles bandés, mais la porte qui s'ouvrit doucement ne dévoila pas une grande menace. Aïru se stoppa sur seuil, visiblement mal à l'aise. Je le lorgnai d'un regard mauvais et Kaï se rassit dans un grognement soulagé.

-Entre, vas-y, l'invita-t-il.

Je dévisageai le vieux Roi, indigné. Etait-ce ma chambre ou la sienne ?!

-Non, va-t'en, sifflai-je, agacé. Kaï aussi, en même temps. Personne ne devrait prendre des décisions à ma place.

Ils me jetèrent un regard amusé.

-Tu es encore en convalescence, mon jeune ami, s'amusa le vieil homme.

-J'ai dormi pendant près d'un mois ! m'emportai-je, les poings serrés. Alors il est hors de question que je me repose davantage ! Je voulais voir George, Jeane, Sinna !

-Arrête de faire l'enfant, soupira Aïru en prenant place aux côtés de Kaï. On dirait que tu as huit ans.

La colère et la frustration furent telles que je ne trouvai même pas les mots pour l'exprimer.

-J'ai apporté des tartines de miel, ajouta-t-il en déposant sur mes genoux une assiette enveloppée d'un torchon.

Mon regard sauta entre lui et le plat, hésitant. Comment pouvait-il savoir qu'il s'agissait de mon encas préféré ? Cela voulait il dire que Julie le lui avait dit ? Ou bien elle les lui avait donné... Mais quelle que soit l'option, elle avait forcément eu un contact avec lui. Chose que j'avais grand mal à croire.

Il pivota ensuite vers Kaï et lui tendit un dossier gorgé de paperasse. Il était accompagné d'un stylo et d'un carnet qui semblait aussi vieux que son propriétaire.

-Ah, merci, s'amusa la vieille Tortue. Je les avais oublié au Palais des Lumières.

Je plissai les yeux et une grimace tira mes traits déjà crispés par la colère :

-Je vous dérange, peut être ?

-C'est pour toi que je suis venu, me rappela-t-il en désignant l'assiette du menton.

Je fusillai mon père du regard :

-Oui. Et je ne sais pas qui t'a autorisé à entrer.

Il voulut répliquer, comme fatigué, mais Kaï le devança :

-Kenfu, il a payé tous tes frais médicaux. Tu devrais le remercier.

Je me raidis, les dents serrées. Voilà qui compliquait davantage les choses. Pourquoi ne pouvait-il pas s'occuper de sa fourrure et me laisser en paix ?

-Je sais que tu as plein d'argent à dépenser, raillai-je, mais sache que je n'ai pas besoin de ton aide.

Brusquement, il sauta sur ses pieds et je reculai sur mes oreillers, surpris.

-Tu aurais voulu que ce soit ta mère qui les paye, c'est ça ?! rugit-il en pointant l'extérieur du doigt. Et comment tu crois qu'elle les aurait payés ?! Tu es donc à ce point ignorant ?!

Je ne trouvai rien à répondre. Bien que l'avouer me fut terriblement difficile, il avait raison. Je baissai les yeux, coupable, et il prit ça comme une excuse. Il se rassit et ses traits se détendirent.

-Tu aimes toujours les tartines de miel, au moins ? lâcha-t-il, tout en feuilletant les documents que lui tendait Kaï.

Je le dévisageai, les sourcils froncés, et me demandais s'il cherchait à lancer une agréable conversation ou s'il était sérieux. Je soulevai légèrement le torchon et pris soin de bien peser mes mots :

-Tu veux dire que ce n'est pas Julie qui les a faites ?

Kaï comme lui s'immobilisèrent. J'ouvris la bouche, sous le choc, et fixai les tartines. Voilà, Aïru avait gagné. Je faisais un nouvel arrêt cardiaque.

-Kenfu... commença-t-il hésitant, mais je l'interrompis :

-Non, ne dis rien. Je t'en supplie, tais toi.

Je fermai les yeux et pris le temps de reprendre ma respiration. Les minutes tombèrent, vêtues d'un étrange silence.

-C'était toi, m'étranglai-je, pourtant incapable d'y croire. C'était toi qui m'en faisais quand j'étais petit. Et maman a continué quand tu...

-Quand je suis parti, soupira-t-il.

Il attrapa une tartine et la fourra dans sa bouche sous mon regard horrifié. Voilà une chose que personne n'avait jamais osé faire.

-Quand tu nous a abandonnés, plutôt, sifflai-je, méprisant.

Il eut un nouveau soupir et reprit ses recherches. Je vis un sourire amusé se dessiner sur le visage de Kaï, ce qui n'aida pas à calmer ma colère. On m'avait menti toute ma vie. Sur l'une des choses les plus importantes à mes yeux.

-Ma mère m'en préparait quand j'étais enfant, laissa-t-il tombé au bout d'un moment. C'est pour ça que...

-OK, le coupai-je, mal à l'aise.

Qui était cet homme ? Sûrement pas celui qui m'avait fait venir dans son bureau un mois plus tôt. Certainement pas le patibulaire Erkaïn que j'avais l'habitude de voir. J'eus un frisson. Peut-être finalement étais-je toujours dans le coma. Tout ceci ne serait qu'un pauvre rêve.

Je pris une tartine et parvins à en prendre une bouchée, malgré mes dents douloureuses. Je secouai vivement le menton. Oui, il aurait mieux valu que ce soit un rêve. Car, par je ne sais quelle Magie, elles étaient bien meilleures que celles de ma mère. 

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