Chapitre 42 : Survivant ? (Corrigé)

Dépêchez vous ! 

Ne perdez pas de temps, allez, allez !

Un bruit fracassant me tira soudainement de mon sommeil, m'arracha un long hurlement de douleur. Je ne pouvais plus respirer. Ma poitrine comprimée ne voulait plus se soulever ou du moins, si elle le faisait, me causait une immense souffrance ;  j'étais secoué dans tous les sens, rebondissait quelque fois. Devant mes yeux écarquillés défilaient des dalles immaculées, et des voix effarées résonnaient à mes tympans.

-Ca va aller Kenfu, ça va aller, me rassura une voix, pourtant elle-même effrayée en me serrant l'épaule, ce qui m'arracha un nouveau cri de douleur.

Voilà tout ce qu'il restait ; les soubresauts qui me faisaient gémir, le blanc et les voix. La voix de Kaï. Je savais qu'il m'adressait des paroles encourageantes, mais j'étais incapable de les comprendre. Seule demeurait la souffrance, une immense douleur qui me déchirait les entrailles.

-Grouillez vous ! beugla une voix rauque.

Nous virâmes brusquement à gauche, et je sentis la bile remonter le long de ma gorge. Un liquide métallique se déversa de ma gueule ouverte ; mon propre sang ruisselait sur ma langue. Nous finîmes par nous stopper brutalement, et des bruits de ferraille se fracassèrent non loin.

-Sur le flanc, là, oui, ordonna une voix sèche, et en un instant, j'étais couché sur le côté.

Les larmes roulaient désormais sur mes joues, et j'étais incapable d'hurler. J'avais si mal, si mal...

-Quelle espèce ? demanda la même voix, glaciale.

Il eut soudain un silence. Mes paupières se faisaient lourdes. Je voulais dormir. Je ne voulais plus de cette douleur. Je ne voulais plus de ce monde qui me haïssait tant, qui s'acharnait à rendre ma vie misérable.

-Kenfu, ne t'endors pas, s'il te plaît, gémit une créature toute proche, dont je pouvais sentir le souffle courir sur ma truffe brûlante.

Avec une immense difficulté, j'ouvris les yeux et vis que Kaï me caressait doucement le front, son regard azur planté dans le mien :

-Tout va bien se passer.

J'étais incapable de répondre. Incapable de me souvenir de la moindre chose qui avait précédé mon réveil. Incapable de comprendre pourquoi soudain, la douleur m'incendiait, pourquoi soudain tous les visages qui se tournaient vers moi étaient figés d'horreur.

-Monsieur, fit une voix, épouvantée. Il y a un problème...

-Accélérez ! mugit l'intéressé, hors de lui de cette attente inexpliquée.

-Nous ne pouvons pas l'anesthésier, nous n'avons pas le produit adapté... répondit l'autre, et sa mine se décomposa lorsqu'il prononça clairement les mots. Même l'opération a de gros risques de se solder par une mort... Il... C'est... C'est un Mêlé.

Nouveau silence. Et malgré mon état semi conscient, mon cerveau avait tout enregistré. Et le choc, lui, n'en était pas des moindres. Mêlé. Je n'étais même pas un véritable Panda-Roux. Je voulus hurler, gémir, déchirer ma propre chair de mes crocs pour m'autoriser un allé simple vers Divinity ; or, aucun de mes muscles ne se décida à m'obéir.

-Faites quand même ! rétorqua Kaï, les larmes de sueur et d'épouvante roulant à présent sur ses joues.

-Sa mère avait un père Chat et une mère Panda-Roux, monsieur, expliqua précipitamment l'infirmier d'une voix tremblante. Il... Nous ne savons pas du tout comment son organisme réagira si...

-FAITES LE ! hurla la vieille tortue, si puissamment que j'entendis un fracas d'objets métalliques contre le sol.

Non, non... Qu'ils me laissent mourir... Je ne voulais pas qu'on m'opère, qu'en me réveillant, ce serait encore pire...

Cependant, on ne se donna pas la peine d'écouter mes prières. L'instant d'après, Kaï m'attrapait les pattes et, la mine dure, m'appuya fermement contre la table lorsque l'on écartela ma chair sous mes hurlements déchirants.

***

Un bip bip régulier, qui tonnait contre les parois de mon crâne, inlassablement. La douleur me tirait chaque partie du corps, m'empêchant d'effectuer le moindre mouvement. Même ouvrir les paupières fut une épreuve ; cependant, rester ainsi dans la pénombre m'effrayait. Je voulais être certain que tout ceci n'avait été qu'un cauchemar. Que les Changers n'avaient pas placé cette bombe, que Sinna n'était pas enfourchée d'un sabre, que je n'étais pas un Mêlé ou qu'on ne m'avait pas opéré alors que j'étais conscient. J'eus un frisson à ce "souvenir", ce qui m'arracha un gémissement de douleur. L'onde de ma voix qui me traversa la gorge accentua la souffrance, et je sentis les larmes me venir. Je n'en pouvais plus.

Ca n'était donc pas un cauchemar. Je ne pouvais pas avoir si mal.

Ma respiration s'accéléra, tandis que les images m'assaillaient. Seringues, outils de métal, le tout taché de sang ; l'écho de mes sanglots raviva des douleurs intérieures que je n'aurais jamais cru posséder un jour. Cette angoisse, qui me tiraillait chaque muscle, comprimait mes poumons et appuyait férocement sur mon cœur.

-Concentre toi, articulai-je dans un faible souffle, hors d'haleine. Pense à autre chose...

J'ouvris les paupières, cherchant en vain une preuve quelconque qui me ramènerait au passé. A une meilleure vie.

Mais, à ma plus grande stupeur, mes yeux refusèrent de me montrer la moindre image ; seul le blanc demeurait. Mes oreilles sifflaient. Les odeurs déboulèrent soudain sous mon nez et leur brutal afflux me déstabilisa ; sang, produits ménagers, parfum fleuri, maladie...

-Non, s'il vous plaît... gémis-je, torturé par cet horrible sentiment d'impuissance face à ma situation.

Je redressai légèrement ma nuque, ignorant la douleur que ce simple geste me provoqua. J'étais étendu dans un triste lit d'hôpital, vêtu d'une chemise blanche à pois violets. Une perfusion était plaquée à mon bras gauche telle une sangsue, répandant dans mes veines un répugnant liquide brunâtre.

A ma gauche, une table de nuit sur laquelle on trouvait un pot garni de simples fleurs solitaires. On avait entreposé un petit mot rose pâle, sur lequel était élégamment écrit : "Rétablis toi vite". Qui avait bien pu écrire ce mot ?

Les murs et le sol étaient également blancs ; les pois mauves de mon vêtement et la petite carte à mes côtés demeuraient les seules couleurs de la pièce. Une pâle lumière matinale déversait ses rayons sur mes jambes à travers une petite fenêtre encadrée de pâles rideaux.

J'eus une grimace de douleur ; rester allongé ainsi m'était très inconfortable. De plus, je ne souhaitai pas le moins du monde ressasser les souvenirs et occuper mon esprit des dernières choses que l'on m'avait révélé. J'étais un Mêlé. Cela expliquait probablement la couleur unie de mon pelage.

Les muscles crispés, je me redressai lentement, incapable de prendre appui sur les accoudoir du lit pour m'aider. Tant par la perfusion qui m'encombrait d'un côté que par mon épais bandage de l'autre, qui entourait fermement ma taille. Ma respiration s'accéléra à nouveau lorsque mes pensées dérivèrent vers l'impitoyable souvenir de la salle d'opération. Je fermai alors les yeux pour reprendre calmement mon souffle.

-Ne pense pas à ça, murmurai-je pour moi-même, la gorge nouée.

Je pivotai lentement vers la droite et, tremblant, déposait mes pieds nus au sol. Le froid me mordit la peau, mais je n'y prêtai pas attention. Je devais me vider l'esprit, quitte à m'infliger d'immenses douleurs en me déplaçant. Car c'est en effet ce qu'il se produit ; je pris de l'élan, grimaçant, et me relevai sur mes pieds. La douleur me fit l'effet d'un coup de foudre ; elle se propagea dans tous mes muscles, tout mon corps, jusqu'à la moelle de mes os. Je serrais les dents, les yeux fermés, et mordis ma langue avec force pour réprimer un cri. Tremblant et frigorifié, je fis un pas en avant. Si je dus endurer la même souffrance, mon cerveau désormais préparé pu mieux la repousser.

J'avançai davantage et poussai la porte, tirant ma perfusion derrière moi tel un petit chien. J'eus un sourire ; la comparaison était parfaite.

Je me traînai à l'extérieur de la chambre, le dos courbé et les membres pendant. Les courants d'airs se frayèrent un chemin sous ma chemise et m'arrachèrent un frisson. Je poursuivis mon chemin à la vitesse d'un escargot, refusant toute précipitation, au risque de devoir à nouveau subir une opération comme la précédente. Jamais je ne voudrais revivre ça. Jamais.

Je relevai lentement les yeux et me stoppai net à la vue de l'immense salle dans laquelle j'avais atterri : des lits d'hôpital étaient alignés partout dans la pièce, laissant entre leurs maigres rangées circuler des infirmiers et infirmières à la mine préoccupée. Des seaux de sang, de vomis et de linge -propre ou sale- défilaient avec eux devant mon nez consterné.

-Kenfu, ça alors ! fit une voix, surprise.

Mes yeux s'écarquillèrent et je pivotai lentement sur moi-même. Je vis alors face à moi Jack et Bört, qui me fixaient tristement.

-Je ne veux pas de votre pitié, parvins-je à articuler, froid.

Bört esquissa un sourire :

-Ouais, j'comprends. Mais là...

-Tu fais peine à voir, compléta Jack, la mine coupable.

Je me renfrognai et lâchai un grognement. Je n'avais pas la force de répliquer.

-On va repartir à la base militaire, m'expliqua Jack, pour rompre le silence. On va devoir te laisser, désolé.

-Ouais, t'as tout not'e soutien, t'inquiète, fit son ami en dévoilant ses longues dents pointues.

-A la revoyure ! termina le Lynx tandis qu'ils s'éloignaient devant ma mine dépitée.

Eux au moins s'en étaient sortis indemnes.

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