Chapitre 33 : la soirée d'ouverture (Corrigé)

Johan se décida finalement à nous témoigner un minimum d'intérêt et, lorsque la moitié de l'heure se fut écoulée, il intima le silence et débuta son cours, la mine grave. Certains des élèves absents du cours dernier avaient reparu, quelque peu inquiets, tandis que d'autres n'étaient pas revenus. Selon Johan, les parents les avaient retiré d'Enohria après les récents événements. Ils prétendaient que la présence de Kaï à l'Académie mettait la sécurité de leur enfant en péril.
J'avais arqué un sourcil à ses paroles ; étions nous des enfants ? Étions nous des adolescents ? Nous avions atteint notre maturité et quitté nos tuteurs de notre plein gré. Voilà qu'un conflit surgissait et la plupart retournaient se cacher. Je trouvais cela quelque peu ridicule, bien que ma mère ait tenté d'en faire de même un jour plus tôt. Mais ce n'est pas pour les mêmes raisons, songeai-je, les oreilles agitées. Je ne crois pas que tous les élèves de cette école soient destinés à jouer un grand rôle dans cette future guerre...

Future guerre que j'avais grande peine à voir arriver. J'avais toujours cru qu'un événement d'une telle augure s'étalait sur quelques jours tout au plus. Mais après les émeutes de mercredi, le calme s'était à nouveau installé et les seuls vestiges de l'assassinat demeuraient les pensées macabres qui dansaient sur les conversations.
Celles-ci mêmes que je percevais sans cesse autour de moi. À cet instant, alors que nous prenions nos plateaux au réfectoire, les gémissements d'une Erkaïn inquiète à l'idée d'être tuée sous le crash d'un avion militaire parvenait à mes oreilles agitées.

George, Jeane, Sinna et moi trouvâmes un table au milieu de la foule et nous assîmes dans un étroit silence étouffant. Je dévisageai chacun de mes amis, croisai le regard de Sinna et détournai vivement les yeux.

-T'as pris du poids depuis le début de la semaine, remarqua-t-elle en gobant une cuillère de haricots.

Je manquais de m'étouffer, et Jeane éclata de rire :

-On va l'appeler gros maint'nant !

-Non, pas dans ce sens là ! pouffa la femelle Panda-Roux. En arrivant il était maigre comme un clou, y avait juste des muscles. Là il a l'air moins...

-Sous alimenté ? complétai-je, méprisant. Pauvre ? Maigre ? Malade ?!

Je feulai, agacé, et le silence tomba à nouveau. Mais pour qui se prenait-elle ?! De quel droit paraît-elle ainsi de mon poids et de mon physique tout en sachant que me nourrir convenablement avait été le cadet de mes soucis à Erkaï ?!
Alors que le malaise persistait, un cri surexcité nous arracha un sursaut et une féline blanche au poil hérissé jeta son plateau à nos côtés.

-Ashley ! fit Jeane, surprise.

-Les amis, pépia-t-elle, j'ai une super nouvelle pour vous !

Je m'immobilisais, attentif. Avait elle eu des nouvelles de la guerre ? N'y avait il finalement plus lieu de s'inquiéter de celle-ci ?

-La soirée d'ouverture pour la nouvelle promotion est maintenue ! s'extasia-t-elle. Elle aura lieu vendredi soir !

Je me renfrognai et réprimai un grognement. Ça n'était en rien une bonne nouvelle. Tout d'abord parce que j'avais ces soirées en horreur, et ensuite parce qu'en plein contexte de guerre, je n'étais pas certain que faire la fête soit la solution.

-Même avec ce qui se passe en ce moment ? s'inquiéta George, médusé.

Ashley hocha vivement la truffe et Jeane sautilla sur son coussin :

-Les mecs c'est incr ! On va faire la teuf comme des oufs !

-La soirée d'ouverture va être un peu... grimaça Sinna en farfouillant dans son assiette, mon convaincue. Pas ennuyeuse, mais peut être un peu sous forme de réception, si vous voyez ce que je veux dire.

Je plissai les yeux, railleur. C'était vraiment là tout ce qui la dérangeait ?

-Mais on va pas aller à cette soirée ! soupira Jeane, les yeux levés au ciel. J'ai cru vous aviez capté ce que j'voulais dire...

-Jeane, sourit George. En vérité on comprend pas souvent ce que tu veux dire...

Ashley et Sinna pouffèrent, tandis que la Lapine montrait sa langue à l'Ours. Je demeurai de marbre, avalant sans ménagement la fin de mon repas. Il était inutile que je me prononce. Je n'étais absolument pas d'accord avec cette idée, mais ils ne l'entenderaient probablement pas de cette oreille là. Sûrement même s'imagineraient-ils que c'était par manque de sociabilité que je trouvai une excuse pour m'y opposer.

-... et donc c'est pour ça, termina Jeane, qu'on va aller en boîte.

Cette fois-ci, je m'étranglai avec ma fourchette et les haricots glissèrent jusqu'à mes voies nasales, où il pendirent gaiement par ma truffe. Les quatre autres étouffèrent un grand rire tandis que soufflai bruyamment dans ma serviette. Mes poumons se contractaient et m'empêchaient de respirer. Je crus bien m'évanouir quand George m'assena une grande tape dans le dos, libérant aussitôt mes bronches.
Je pris une grande inspiration et maugréai dans le même temps :

-J'i-j'irai pas en boîte. Trop dangereux.

Ils m'observèrent quelques secondes, interdits.

-Qu'est-ce que tu veux qu'il nous arrive ? lâcha Sinna d'une voix douce. Personnellement, j'ai vraiment pas envie d'aller à la soirée d'ouverture. En plus je suis sûre que Kaï nous fera un discours qui durera des heures, et puis mes parents y seront aussi, alors bon...

Nous lui jetâmes un regard surpris :

-Les parents sont invités ?! croassai-je, les yeux ronds.

Ashley approuva :

-Oui ! Moi mon père est l'infirmier alors tout le monde le connait dé...

-Oui oui, on sait, la coupai-je, agacé. Mais pourquoi est-ce que j'étais pas au courant ?

-Pourtant c'était écrit dans la lettre qu'ils ont envoyé à chaque étudiant avant la rentrée, protesta George. Tu l'as forcément lu !

Je lâcha un long soupir :

-Non, je ne l'ai pas lue. Mais ma mère, oui...

-T'as une raison supplémentaire de pas aller à cette soirée, sourit Sinna. Viens avec nous.

J'agitai les moustaches, inquiet. J'étais pris au piège. Mais je ne voulais pas croiser mon père, ni même ma mère.

Les paroles d'Ashley concernant la guerre me revinrent en mémoire, et je songeai au fait qu'il vaudrait probablement mieux que j'applique sa méthode. Profiter du soleil avant qu'il ne se couche. Profiter de la vie avant la mort.

-Oh et puis merde, lâchai-je, abdiquant finalement. D'accord, je viendrais. On ira tous en boîte.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top