Chapitre 30 : Prendre son rôle au sérieux (Corrigé)
La nuit fut si longue que longtemps durant je crus qu'elle ne se terminerai jamais. La veille, George était venu frapper à ma porte pour s'acquitter de mon état ; mais je n'étais pas d'humeur à parler, aussi j'avais fait le mort et ignoré ses excuses. Tant pis s'il se sentait coupable, il n'avait pas qu'à être si stupide.
Comment pouvait on à se point ignorer les problèmes à venir ? La guerre, qui à leur yeux n'était qu'un insignifiant point noir à l'horizon, grossissait davantage à chaque seconde de mon point de vue.
Les muscles endoloris, je jetai la couverture au pied du lit et m'assis, pensif. Je jetai un coup d'oeil à mes coussinets et constatai que les plaies dues aux éclats de céramique étaient à peine refermées. Je me demandai alors pourquoi je n'avais pas demandé à l'infirmier de me les recoudre, ou bien simplement de poser un bandage. Ma fierté s'étendait-elle jusque là, ou bien mon inconscient avait-il voulu conserver une trace de ma crise émotionnelle ? À vrai dire je ne voulais même pas connaître la réponse à cette question.
En revanche, savoir qui étaient les assassins de Kaeryna, les kidnappeurs de la Princesse et les idiots qui avaient eu l'idée de commencer cette guerre, tout cela m'intéressait. Et, bien entendu, que l'on me dise enfin si les paroles de Kaï concernant mon avenir au sein des conflits était vrai. Que l'on m'apporte une preuve, un semblant de témoin à ce futur héroïque que l'on me destinait.
Pour le moment, je n'avais pas décerné le moindre petit élément qui pourrait le confirmer. À moins que ce fameux héro puisse détruire quelques des pièces de son école sans grabuge. Frapper et harceler des élèves pour la simple et bonne raison d'être un peu trop sur les nerfs.
Je me passai les pattes sur la truffe, plus perdu que jamais. À cet instant, j'aurais tout donné pour être un élève normal. Qui hurlerait de terreur sous l'annonce d'un assassinat et qui par la suite deviendrait si naïf qu'il en oublierait qu'une guerre approche. Oh, comme j'aimerai tant être ce genre de Erkaïn !
Mais il en était autrement et en attendant de trouver un moyen de m'échapper de cette situation, je devais m'y résoudre.
Je sautai sur mes pattes, quittai la pièce sans prendre le temps de déjeuner et détalai à travers le couloir.
Je dévalai les marches quatre à quatre et virai à droite. Je pris la direction des grandes portes de bois et les poussais une fois devant. Tout en refermant les lourds battants derrière moi, je pus constater que la grande salle était vide de vie. Néanmoins, toutes les étagères et livres avaient été remis à leur place. En une grimace, je songeai alors que c'était tout comme s'il ne s'était jamais rien passé. Seules les traces noircies sur les tapisseries indiquaient qu'une "catastrophe" s'était produite là il y a peu. Ainsi que mes effroyables souvenirs qui eux, pour mon plus grand désarroi, demeureraient éternels.
Tandis que je m'engageai entre les allées, je songeai au monstre et à son lien avec ce fameux rôle que je devrais endosser dans la guerre à venir. Comment diable pourrais-je sauver des milliers de créatures en peinant même à préserver celle de mes amis ? J'eus un frisson à cette pensée ; non pas pour le réel danger que je leur faisais courir, mais pour le terme que je venais d'employer. Mes amis. Était-ce réellement le cas ? Si oui, avaient-ils, eux aussi, un avenir dans cette guerre ? Je déglutis : et si le simple fait de me connaître les mettais en danger ?
Sans réfléchir, j'en vins à m'asseoir devant l'eau, la queue enroulée autour des pattes.
Avec une grimace intérieure, je réalisais que la dernière fois que je m'étais tenu à cet endroit précis, je n'étais pas plus avancé qu'aujourd'hui.
Quelle était la réelle nature, sinon d'être un Don, de la chose qui se cachait en moi ? Pourquoi ne l'avais-je pas découverte plus tôt ?
J'entendis alors de lourds bruits de pas dans mon dos. Même s'il me semblait décerner le claquement sec d'une canne contre le parquet verni, je perçus également une légère respiration apaisée.
Je me dévissai la nuque pour apercevoir le nouveau venu : Kaï, la mine amusée, me dévisageait.
-Bien le bonjour, mon jeune ami.
Je gardai le silence. Je n'étais pas d'humeur à parlementer gaiement. Bien que je sois volontairement venu à la bibliothèque pour recevoir des réponses, le ton jovial du Roi m'agaçait. Comment pouvait il être si calme alors que son Monde sombrait dans le chaos ?
Il s'assit à mes côtés, émit une quinte de toux et avala lentement sa salive. Je le fixai, exaspéré par l'ensemble de son être, tandis qu'il gardait ses yeux bleus azur posés sur les pétales roses.
Au bout de ce qui me sembla être une éternité, il murmura :
-Je sais que ce ne doit pas être facile pour toi, en ce moment.
Mon poil se dressa sur mon échine ; pourquoi tenait-il de tels propos ? Insinuait-il qu'il pouvait comprendre ce que je ressentais ? J'en doutais fort.
-Je ne crois pas que tu te rendes réellement compte de ce que je suis en train de vivre, rétorquai-je, les dents serrées.
Mais il préféra ignorer ma réplique et sourit :
-Que voulais-tu me demander ?
Je l'observai un instant, les yeux plissés. Comment faisait-il pour toujours être au courant de ce qui me traversait l'esprit ?
-Qui est le nouveau dirigeant de Stellarium ? finis-je par demander, reportant mon attention sur la fontaine.
La vieille tortue haussa les épaules :
-Personne. C'est la panique, dehors.
Ma queue fouetta l'air, et je lâchai un grognement. Cela ne m'aidait pas vraiment.
-Et que va décider le Gouvernement ? À savoir toi, qu'est ce que tu vas faire ?
Kaï garda cette fois-ci le silence, le nez penché sur ses pattes. Je l'incitai à répondre en lui décrochant un regard impatient :
-Si j'ai vraiment un rôle à jouer dans cette guerre, alors je crois que j'ai le droit de savoir.
-Et bien... Les dirigeants refusent d'assister au Conseil.
Mon pelage se hérissa à nouveau : voilà qui n'était pas bon signe. Frustré, je bondis sur mes pattes et fis les cent pas. Il y avait bien une solution à notre situation, j'en étais persuadé.
-Y a-t-il eu une attaque ?
-Ça dépend de ce que tu appelles une attaque, fit le Roi en plissant les yeux. Parce que oui, il y en a eu une.
-Quoi ?!
-Jeune panda, commença mon interlocuteur, l'air soudain très sérieux. C'est toi qui a dirigé ces attaques.
Je me crispai, la truffe plissée. Il faisait référence à ma "saute d'humeur" de la veille. Je soupirai en levant les yeux au ciel :
-Si ton but est de me faire culpabiliser, et bien c'est perdu d'avance.
Kaï eut un faible sourire désolé :
-Ça, mon jeune ami, je n'en suis pas certain.
-Stop, j'ai compris ! feulai-je, commençant peu à peu à m'éloigner. Je ne suis pas venu pour me faire critiquer par une vieille tortue !
La colère montait en moi à la vitesse de la lumière. Comment pouvais-je m'énerver aussi vite ? A ce rythme là, je détruirais la bibliothèque quatre fois par jour.
Mais à cet instant précis, je n'avais que faire de la grande salle. Kaï jouait sur mes nerfs, et cela me piquait à vif.
-Calme toi, jeune Panda. Je vais te dire la vérité : personne n'a remplacé Kaeryna, et il n'y a eu aucune manifestation agressive chez les autres îles. Mais je voudrais que tu te concentres sur autre chose, pour le moment.
Il fit une pause, guettant ma réaction. Je m'assis, un sourcil arqué et les yeux plissés d'impatience et d'agacement.
-Je crois avoir trouvé le moyen de calmer tes colères fréquentes.
-Tiens donc ? ironisai-je, agitant les moustaches, médusé mais curieux. Tu sers donc à quelque chose, apparemment.
Mais la vieille Tortue m'ignora. Tout sourire, il tendit la patte vers une étagère et une ombre s'y dévoila. Légère et élancée, elle s'avança sous la lumière et j'écarquillai les yeux. Que faisait-elle ici ?!
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