Chapitre 26 : Naïve ou optimiste ? (Corrigé)
-Nom d'une salamandre ! Que s'est-il passé ?!
Je levai le menton, surpris par cette entrée soudaine. L'infirmier était un vieux chat brun moucheté, dont le museau gris trahissait le vieil âge. Il se précipita dans notre direction, l'air effaré. Malgré son statut de médecin de la Faction Erkaïn du campus, il ne semblait n'avoir jamais vu d'élèves aussi amochés de toute sa carrière. Voilà qui serait bien étrange, pour une école dont le principal rôle était de former des animaux à la guerre et au combat. Si l'on en croyait les louanges des critiques, évidemment.
Il enfouit son museau sous mon pelage, à la recherche des plaies. Je jetai un bref regard à Jeane et son visage blafard à mes côtés, qui se débattait contre l'envie de s'évanouir depuis bien une dizaine de minutes. Le vieux matou sembla le remarquer à son tour, visiblement mal à l'aise de n'avoir trouvé du premier coup la source du puissant arôme métallique de sang qui emplissait la pièce. Il contempla l'étendue des dégâts, les moustaches agitées, puis héla d'une voix éraillée :
-Ashley ! Viens aider ton vieux père !
Une chatte au long pelage blanc immaculé jaillit dans la pièce et trottina jusqu'à l'infirmier. Elle avait l'air bien plus à l'aise que lui dans cet environnement médicinal, où régnait une atmosphère lugubre. Je n'avais jamais compris l'idée d'arranger une infirmerie de sorte à colorer l'ensemble de blanc. C'était la couleur qui tâchait le plus parmi toutes. De plus, ses éclats aveuglants m'oppressaient et me hurlaient une lumière aigüe. Il me semblait que cette couleur -qui n'en était finalement pas une- avalait tout l'air de la pièce.
Je réprimai un frisson lorsque l'on me déplaça au lit voisin : en effet, le carrelage glacial mordait mes coussinets et gonflait mon pelage. George s'assit à mes côtés, et le grincement sec du lit de fortune m'inquiéta. Je craignais que la corpulence importante de l'Ours ne nous fasse chavirer tous les deux. Mais les barres de fer tinrent bon, et je n'eus plus qu'à mettre une distance entre nous deux : le creux qu'il créait par son poids soulevait les extrémités du matelas et l'instabilité qui en résultait me frustrait.
Je manquai de lâcher un grognement agacé. Oublier le fait que je venais de détruire la bibliothèque Erkaïn d'Enohria ne signifiait pas s'attarder sur des détails aussi insignifiants que ceux-ci.
Tandis qu'ils s'accaparaient autour de la Lapine, j'aperçus George me jeter un coup d'œil inquiet :
-Kenfu, m'appela-t-il, les dents serrées pour se faire discret.
Les oreilles agitées, je plissai de la truffe :
-Quoi encore ?!
-Si ce n'est pas Kaï qui a tué Kaeryna, alors qui l'a fait ? Qui a pu braver la sécurité du Palais des Lumières ainsi ?
Je haussai les épaules. Je n'avais pas songé à cela.
-Je me demande surtout pourquoi ils n'ont pas tué la princesse en même tant qu'ils tuaient la mère. Comme ça, plus d'héritier. On créé plus de problèmes.
L'Ours plissa les yeux et reporta son regard sur son amie qui lâchait un gémissement de douleur sur le lit à quelques mètres du nôtre.
-Ou alors, murmura-t-il, c'est une otage.
Je réfléchis un instant à ses paroles. Cela serait en effet une possibilité. Plus plausible qu'une disparition inexpliquée.
Alors que j'étais lancé sur cette nouvelle théorie, prêt à l'exposer plus clairement à George, Ashley releva le museau dans notre direction :
-Comment a-t-elle bien pu se planter un éclat de céramique aussi énorme dans la patte ?
Je serrais les crocs et levai les yeux au ciel. Sa curiosité n'était pas la bienvenue et me plaçait dans une délicate situation.
-Au cours d'IMAG, mentis-je sans réfléchir. On... On devait...
-Tirer à l'arc dans des pots de céramiques, termina Jeane dans un souffle douloureux. J'ai fait la conne et pis voilà, bien fait pour ma gueule.
Je lui jetai un regard reconnaissant. Même si une voix en moi feulait, stipulant que je n'avais besoin de personne pour me défendre, la réaction de la Lapine était étonnement loyale. Ce à quoi je ne me serais certainement pas attendu de sa part après les évènements passés.
Mais notre mensonge ne sembla pas satisfaire la jeune apprentie :
-Je ne savais pas que Maître Aïru serait capable de mettre ainsi ses élèves en danger. Ce n'est pas son genre, je pense.
Mes muscles se raidirent et mes oreilles se couchèrent sur mon crâne. Comment osait-elle prétendre connaître mon père ? Ca n'était qu'une élève parmi les autres, à qui ce si Grand Aïru n'avait jamais adressé la parole, sinon pour faire l'appel. Elle n'était personne, aucunement adepte à déclarer savoir de quelle manière il se comportait de manière générale.
Comme si cela ne suffisait pas, elle nageait en plein dans cette image idéalisée que l'on se faisait de lui. Un Erkaïn responsable au grand cœur, emplit de sagesse et de savoir. Ils avaient tous devant eux le masque méticuleusement peint par un usurpateur. Mon père n'était qu'un lâche. Arrogant et égoïste. Il se gardait bien se révéler ses sombres secrets au grand public. D'assumer son fils au pelage si noir, au comportement déplacé et aux origines si miséreuses. D'assumer un fils différent du reste de la société Erkaïn. Porteur d'un Don ravageur.
George me lança un regard d'avertissement. Frustré de ne pouvoir rétorquer une réplique cinglante à cette féline hautaine, je plantai mes griffes sous le pardessus du matelas et tentai de me calmer. Il était inutile de s'énerver pour si peu. Mon père n'était pas la priorité. Je devais m'écarter des émotions négatives qu'il faisait jaillir de mon cœur, oublier mes crises explosives et me comporter comme un Erkaïn plus effrayé par la possibilité d'une nouvelle guerre que par le fait de détruire l'école entière par la Magie.
-Vous êtes en quelle classe ? minauda-t-elle en m'extirpant de mes pensées.
Je plissai la truffe ; sa voix fluette m'agaçait. Sa queue délicatement enroulée et ses grands yeux brillants de curiosité aussi.
-Pourquoi ça t'intéresse ? feulai-je, les crocs dévoilés.
-Tu n'es pas obligé d'être aussi désagréable ! s'offusqua-t-elle, visiblement brusquée par mes paroles.
Je levai les yeux au ciel :
-Alors...
-Il plaisante, me coupa George en exagérant un rire faux. On est en D.1.
Elle étira un sourire et ronronna de plaisir :
-Ce n'est rien Kenfu, tu es pardonné.
Mon pelage se hérissa. Mais pour qui se prenait-elle ?!
-Je suis en D.5, moi, poursuivit-elle en prenant enroulant soigneusement sa queue autour de ses pattes. Vous êtes tous les trois dans la même classe ?
Elle se dévissa la nuque lorsque Jeane maugréa :
-Ouais. On a la pire classe, c'est sûr. Que des cas désespérés.
Je lui jetai un regard assassin et elle s'étouffa dans un faible rire épuisé. George, amusé, lâcha un soupir exaspéré. Je voulus mettre un terme à cette conversation malaisante, mais je fus une nouvelle fois coupé par George, qui avait sans nul doute deviné mes intentions déplacées :
-Je ne suis pas d'accord avec Jeane. Le seul point négatif de notre classe est Niru. C'est notre professeur principale et elle est horrible.
Ashley haussa les épaules :
-Je pense que si elle est aussi sévère, c'est parce qu'elle veut qu'on réussisse.
J'eus envie de tomber sur le lit et de sombrer dans un long et profond sommeil. Que cette conversation s'arrête enfin. Face à moi, je vis que Jeane m'avait devancé ; elle s'était déjà assoupie sur les oreillers.
-Enfin, soupira Ashley, les oreilles soudain basses, à mon avis ça ne va pas durer longtemps. Dans quelques jours, l'école sera bombardée et on sera tous morts.
Une boule naquit au fond de ma gorge. C'était la première fois que j'étais en accord avec elle.
-Mais bon ! se reprit-elle en sautant sur ses pattes, s'ébrouant délicatement. Si il ne nous reste que quelques jours à vivre, alors autant en profiter !
Je la fixai un instant. Ce qu'elle était naïve. Mais naïve ne signifiait pas être dépourvue de raison. Et sur ce point, j'avouai qu'elle me dépassait. Elle avait la chance de se montrer aussi insignifiante quant à cet assassinat que face à un pauvre orage passager. Elle choisissait d'ignorer l'inéluctable, la fatalité palpable de notre situation.
Je soupirai : si ma solution était là, alors je devais m'y résigner. Je devais passer outre, me relever. Mettre la Magie de côté et profiter du peu qu'il me restait.
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