Chapitre 25 : Révélations (Corrigé)

Je n'étais même pas conscient de ce que je faisais. D'ailleurs, cela ne menait à rien, voire à une situation bien pire qu'avant. En vérité, je faisais n'importe quoi, tout simplement.

Pourquoi étais-je allé voir Kaï ? Pour obtenir des informations. Pourquoi quittai-je ce qu'il restait de la bibliothèque sans ces informations ? Je n'en savais rien.

Je n'étais qu'un idiot.

Mais j'étais surtout en colère.

Et puis il y avait ces trois autres cons, qui étaient déterminés à me suivre partout où j'allais, à fourrer leur museau partout dans mes affaires.

Ils n'auraient pas pu sagement rester en classe ? Non enfin, ce serait trop leur demander, grimaçai-je en levant les yeux au ciel.

Je m'arrêtai brusquement, pris d'une bouffée de colère envers moi-même. Mais enfin qu'est-ce qui clochait chez moi ? Pourquoi est-ce que je me mettais soudainement à les insulter, prétendant que toutes les choses qui me tombaient sur la truffe n'étaient dues qu'à eux et à leurs bêtises ?

Terriblement frustré, je lançai ma patte violement dans une commode qui, dans un bruit sourd, s'écrasa au sol. Les bibelots en céramique qui s'y reposaient se brisèrent au sol, répandant sur le parquet vernis une pluie d'éclats brisés.

-Mais qu'est ce que je fais ici putain ?! hurlai-je, agrippant un vase pour le jeter quelques mètres plus loin.

Pourquoi est-ce que la douleur, la colère et la frustration étaient les seuls sentiments qui dictaient mes pensées et mes gestes ? Ne pouvais-je donc pas être normal ? Pourquoi n'avais-je pas droit à une vie telle qu'elle l'était pour les autres élèves ?! Sans monstre, sans pauvreté, sans abandon, sans destinée...

Je jetai un nouveau vase, secoué d'une colère froide ; si mon père n'avait pas dû nous quitter pour s'en aller enseigner, ma vie aurait été bien différente. D'autre part, si je n'étais pas entré dans cette école, le monstre ne serait sans doute jamais sorti. Les problèmes de la guerre, d'assassinat de la reine et disparition de la princesse m'auraient été totalement égal car j'aurais passé mes journées à aider ma mère, à travailler pour subvenir à nos besoins.

Je tombai assis au sol dans un grognement sans prêter attention aux morceaux de verre brisés éparpillés sur le sol et fermai les yeux en ramenant ma tête vers l'arrière, soudain épuisé.

Pourquoi est-ce que je m'entêtai à défouler ma colère sur tout le monde ? S'il fallait en vouloir à quelqu'un, c'était à moi même.

La culpabilité me rongea alors ; Jeane et George avaient voulu me soutenir en me suivant, et Sinna avait tenté l'impossible en essayant de m'aider, malgré mon agressivité envers elle et ce que j'avais fait à son petit-ami. Quant à Kaï, il n'y pouvait rien. Cela lui faisait-il réellement plaisir de voir son royaume s'écrouler sans qu'il ne puisse rien y faire ? Non, j'en doutais fortement. Avec une grimace intérieure, je me promis de ne jamais devenir Roi.

Et puis Kaeryna décédait, laissant derrière elle le chaos et  l'incertitude quant à une probable nouvelle guerre. Sa seule héritière disparaissait. Qu'allait-il advenir de Phoenix à présent ? Si je n'en avais pas la moindre idée, j'étais au moins sûr d'une chose ; je refusai d'y prendre part. Qui avait décidé du fait que je devais me plier à cette obligation ? Le Roi ? Son seul argument était celui de mon Don ; or, je ne voyais absolument pas en quoi il pourrait aider la paix à s'installer définitivement à Phoenix, sinon prendre le risque de détruire les villes une par une à chaque crise de nerfs.

L'écho de pas au loin dans le couloir me tira de mes pensées ; je descernai alors dans l'ombre deux silhouettes balancées au rythme de leur démarche pressée. J'entendais leur voix résonner à travers les murs, apportant jusqu'à moi leur teinte agacée et indignée. Je compris alors qu'ils se chamaillaient et en déduisis aussitôt qu'il s'agissait de Jeane et George.

-C'est toi vas-y pourquoi tu l'as laissé s'casser ? rechigna la Lapine.

-Tu étais la plus proche de l'entrée, riposta son voisin, alors que sa voix se perdait dans les aigus.

Ils se faufilèrent en travers de la commode renversée et me dévisagèrent depuis les abords de la scène bordélique qu'ils avaient sous les yeux. George balaya les débris de céramique et de verre d'un regard pétrifié, comme sous le choc. Jeane, quant à elle, trouva le courage de faire un pas en avant, qu'elle regretta cependant aussitôt ; elle poussa un hurlement de douleur lorsqu'un éclat perça son talon. La plaie suinta et vomit une marée de sang écarlate tandis que je regardai, presque las, la jeune Lapine tituber vers l'arrière et s'appuyer à l'épaule de George en pleurnichant.

Ce dernier me lança un regard de reproche, qui se mua vite en une expression peinée lorsqu'il remarqua mon air perdu, mes yeux embués de larmes. Il invita Jeane à grimper sur son dos et serpenta entre les vestiges de vieux vases floraux jusqu'à mon niveau, où lui et la Lapine s'assirent à mes côtés.

-On est tes potes, Kenfu, me rappela-t-elle d'une œillade contrariée. Tu peux pas t'débarrasser d'nous comme ça.

Je contemplai mes pattes, la truffe baissée. Disait-elle vrai ? Ou bien affirmait-elle éprouver une certaine affection à mon égard simplement pour obtenir plus d'informations en tant qu'espionne ?

Arrête avec ça, c'est complètement stupide, grognai-je en mon fond intérieur, irrité. Il fallait que j'apprenne à accepter le fait que désormais, je ne vivrais plus seul reclus dans l'ombre de mes bas quartiers. Maintenant que j'étais pour la première fois exposé à la lumière, nourrit et logé convenablement, que du temps m'était offert pour sociabiliser à la place de travailler pour subvenir à mes besoins, il était normal que je me forge de nouvelles relations. Mes toutes premières véritables amitiés. J'eus un rire sarcastique ; eux qui avaient connu cela dès leur plus jeune âge, je devais faire face à ces nouvelles émotions et responsabilités à mes vingt ans. Je ne savais si cela était de mon propre chef, du fait que je n'avais jamais désiré partagé mes problèmes, mes ressentis, avec d'autres créatures, ou bien que je n'en avais jamais eu l'occasion. La première théorie était probablement plus vraie que la seconde.

-Vous vous imaginez trop de trucs, rétorquai-je cependant, comme mal à l'aise d'affirmer une telle chose. On est pas potes, les gars.

Le silence tomba. Allaient-ils partir, me laisser seul dans cet endroit sinistre, maintenant que j'avais clairement annoncé ne rien souhaiter de leur part ?

Mon cœur manqua un battement lorsque George se releva, étira ses muscles endoloris et aida Jeane à se hisser sur son dos. Ainsi, ils me laissaient. Pourquoi une part de moi espérait qu'ils tiendraient tête à mon caractère buté pour m'obliger à avouer que d'un côté, je désirai être leur ami ? C'était une peine perdue, une idée bercée par les rêves et les illusions. Personne ne demeurerait aux côtés d'un Erkaïn affirmant si durement n'avoir aucun ami.

-Viens le chat, on va à l'infirmerie, me sourit l'Ours, tandis que je levai des yeux stupéfaits dans sa direction.

-Q-Quoi ? bredouillai-je, incapable de croire les mots qui venaient de quitter sa gueule.

-Il faut que Jeane se fasse soigner, m'indiqua-t-il tout en me décrochant un coup d'œil complice.

Ses yeux restèrent fixés face aux miens, luisants d'une étincelle de profonde compassion, épongeant de ce simple doux sourire tous mes doutes et mes craintes. Emu, je battis des paupières et me relevai dans un grognement. J'étais ébahi par la capacité de George à lire les cœurs d'un simple regard. Sidéré de voir à quel point son empathie s'étendait au delà des mots.

Mes pattes me portèrent à sa suite sans réfléchir ; il gardait une expression sereine et posée, alors même que j'avais manqué à le tuer quelques minutes plus tôt. Voilà qui m'échappait totalement. Les larmes me montèrent aux yeux et je fus pris d'une bouffée de chaleur intérieure. Cette gentillesse ramenait mon pauvre cœur brisé au souvenir de ma mère, seule dans notre œuf glacial et vide. Elle et George se ressemblaient par bien des manières. Jusqu'alors, elle seule avait su noyer ma tristesse dans ce sentiment de sécurité, provoqué par l'unique impression d'être compris. D'avoir quelqu'un à ses côtés qui savait ce que notre âme hurlait dans ses moments de trépas. Instants que je ne cessai de vivre depuis mon arrivée à Enohria.

Moi qui m'étais toujours senti si seul, oppressé par une foule riant de choses dont je ne cernai pas le sens. Désormais, ils étaient là. Désormais, ma vie prenait un nouveau sens.

Je m'arrêtai soudain, relevant la truffe vers les deux Erkaïns. C'était une chose que je sois impacté par la guerre à venir ; c'en était une autre qu'eux et ma mère en subissent les conséquences.

Elle était lancée. Aucun retour en arrière n'était possible. Les Erkaïns et les Semis-Elfes accuseraient les Changers du meurtre de Kaeryna. Les émeutes ne seraient pas les seules à faire rage dans les rues. Ma méfiance envers George et Jeane n'avait plus d'importance, tout comme mon comportement avec Tobias. Les choses futiles que je croyais être les plus influentes de ma vie n'étaient dorénavant que de simples miettes, vestiges d'une vie où j'aurais pu profiter des moindres petites choses sans importance.

George sembla remarquer mon absence, car il s'arrêta à son tour et pivota dans ma direction, interloqué :

-Tu viens ?

Je levai vers lui des yeux embués de larmes :

-George, je crois que Kaï avait raison, murmurai-je d'une voix rauque. Je ne sais pas comment, ni pourquoi ça serait à moi de le faire, mais si je peux aider à faire en sorte que les créatures de Phoenix retrouvent leurs petits problèmes de riche, leurs plaisirs idiots, et bien je le ferai. Kaï est le Roi. C'est lui qui va mener les armées. Il sait mieux que personne qui a un rôle à jouer dans...

-Stop, arrête toute d'suite, me coupa Jeane tout en se redressant sur le dos de l'Ours, la truffe plissée de douleur. Tu te montes la tête pour rien. On n'est pas dans un bouquin d'aventure, Kenfu, t'sais. T'es pas de ces héros qui décident de s'sacrifier pour tout l'monde juste parce qu'ils sont un peu différents. Kaï avait aucune raison de te dire que t'as un rôle dans tout ça, parc'que t'es juste un étudiant en première année, comme nous. Ok, t'as p't'être un Don, mais ça devrait pas t'enfermer dans cette obligation d'être un héro de guerre. Jusqu'à que t'y sois forcé -ce qui, je pense, est pas prêt d'arriver- ben t'as pas d'raison te lancer dans cette guerre comme ça, juste parce qu'on te dit, sans argument en plus, que t'as un rôle à jouer dedans.

Une larme perla sur ma joue, que je chassai vivement d'un revers de patte. Je soufflai un bon coup et ils reprirent leur chemin. Je les talonnai, la truffe redressée. Jeane disait probablement vrai. La peur et mon état actuel me faisaient croire à des choses invraisemblables. Je devais arrêter de me penser différent au point de me lancer sans réfléchir sur un terrain où je n'avais rien à faire. Je devais redescendre, revenir à la réalité. Chercher ma place dans ce monde ne signifiait pas me jeter dans la première case que l'on m'indiquait.

-Je suis un étudiant en première année à Enohria, murmurai-je pour moi-même d'une voix à peine audible. Et maintenant, il n'y a que ça qui aura de l'importance.

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