Chapitre 24 : Les ravages des émotions (Corrigé)

Seule la fontaine demeurait calme. L'eau était à peine secouée par les ondes, et les doux pétales déposés sur sa surface ne s'envolaient pas, simplement ils flottaient. Comme si une légère brise les poussait à s'entrelacer.

Soudain, une vague déferlante les submergea tous et la réalité revint brutalement à moi, comme un violent coup de couteau dans le cœur.

J'avais oublié Kaï. Ce fameux Roi qui n'en avait que faire de son peuple, de son Monde. Cette vieille tortue qui préférait défendre mon père et me rejeter la faute dessus.

Ainsi j'étais seul responsable de ma situation ? Les conditions de misère de ma mère résultaient-elles également de mes décisions, de la simple cause d'être ce que je suis ?

J'avais envie d'hurler, de gémir sous la souffrance, de briser et injurier tout ce qui croiserait ma route. Tout ce qui m'entourait, réduit en miettes ; je voulais qu'ils sachent, qu'ils ressentent à quel point j'étais brisé par leur faute. À quel point mon coeur n'était désormais plus qu'un amat de douleurs et de haine, après que mon père, ces riches et ces politiques se soient amusé à le découper morceau après morceau.

L'aura lourde de magie qui flottait dans l'air rendait la chose encore plus insupportable, me poussait à hurler, à brûler, à détruire jusqu'à qu'il ne reste rien. Tout anéantir.

Encore. Sans m'en lasser.

Jamais la colère ne disparaîtrait.

En relevant la truffe, je réalisais soudainement j'étais contrôlé par le monstre, mené à la baguette par cette forme de magie si puissante que je ne me rendais plus compte de mes actes.

Je serrai les poings plus fort encore, m'enfonçant les griffes dans la peau. Si je me savais au prises d'un monstre, cela n'empêchait pas la rage de me consumer ; je n'avais pas oublié ce que Kaï avait dit. Ce que mon père avait dit. Je n'avais pas oublié tous les malheurs qui s'abattaient sur moi incessamment, qui se refusaient un autre terrain de jeu.

Kaï mentait, et cela me causait une souffrance terrible. Moi qui avait cru à son regard compréhensif. Quel naïf je faisais ! Je n'étais qu'une insouciante marionnette au milieu de tant d'autres.

Je lâchai un gémissement ; ne pouvais-je donc faire confiance à personne ? J'avais cru, un instant, que le Roi m'aiderait. Qu'il me soutiendrait pour combattre le monstre à mes côtés. Jeane serait elle la suivante, en me déclarant sournoisement qu'elle n'avait été qu'une espionne depuis le début ? Voilà qui ne me surprendrait guère ; ils semblaient tous vouloir m'achever lentement, prenant grand soin de me torturer avant de porter le coup fatal.

Je voulais hurler, gémir. Tout ces gens n'étaient pas si différents du monstre, au bout du compte. Il fallait davantage de pouvoir, de richesse, même si les conséquences sont lourdes. Même s'il faut trahir son pays, même s'il faut tuer la reine, même s'il faut mettre la main sur moi...

-Kenfu.

J'ouvris brusquement les yeux et réprimai un hurlement de terreur. Titubant vers l'arrière, je tombai au sol dans un grand fracas simultanément avec le reste de la bibliothèque ; les étagères, les livres et gouttelettes d'eaux suspendus dans les airs dans un vent furieux de Magie s'écrasèrent au sol, balayant la pièce d'un nuage de poussière.

Tremblant, les larmes roulant sur mes joues, je peinais à reprendre ma respiration. L'énergie surpuissante qui m'habitait l'instant d'avant avait disparu, laissant place à un creux, un vide immense qui m'avait volé toutes mes forces.

Pris de vertiges, je vis avec horreur l'état dans lequel se trouvait la bibliothèque. Livres et étagères étaient brûlés, laissant tomber sur la salle noire de suie une pluie de cendre et de débris. Le plancher autrefois immaculé s'était coloré d'une amère teinte ocre, et les murs habillés d'élégantes fresques n'étaient à présent que tapissés par les vestiges des flammes. Etait-ce moi qui avait détruit cet endroit ? Qui avait brisé l'harmonie parfaite qu'il y régnait naguère ?

La culpabilité monta en moi aussi vite que les larmes me brouillèrent la vue. Je repérai alors George et Jeane, étendus un peu plus loin derrière des étagères, reprenant à peine conscience. Kaï se relevait à l'opposé de la pièce, le regard perdu dans un vide abyssal. Tous trois étaient brûlés, noircis et entaillés par endroit. Le sang écarlate s'échappait des plaies, laissant sur leur peau des rivières rouges serpentant jusqu'aux extrémités de leurs membres engourdis, par lesquelles elles gouttaient silencieusement.

Horrifié, je n'arrivais pas à croire que c'était réellement moi qui en était le responsable. J'avais fait tant de mal qu'à présent, il me prenait l'envie de me jeter par les fenêtres aux carreaux brisés.

Mais le monstre avait disparu.

Comme s'il n'avait jamais existé.

Si ma respiration s'était enfin calmée, j'avais l'étrange sensation de ne plus être moi-même. Plus grand et plus élancé, dépourvu de fourrure ; dans un soupir de soulagement, je compris que je m'étais simplement transformé en humain sans m'en rendre compte.

Je coulai un regard vers la personne qui me tenait toujours le bras ; je la sentais trembler et frissonner de terreur.

Mes yeux s'écarquillèrent lorsque je vis Sinna à mes côtés, elle aussi changée en humaine.

Ses anglaises noisettes ébouriffées et brûlées lui tombaient au milieu du dos, et ses yeux étaient d'un bleu azur profond. J'avais le sentiment que si je m'y attardais trop, je pourrais m'y perdre ou pire, m'y noyer.

Soudain beaucoup plus calme, je grimaçai, prenant conscience de la situation. Un boule se forma dans ma gorge et je hurlai sans réfléchir :

-Merde !

Je me dégageai de l'emprise de la femelle, qui recula d'un pas sous la violence de mon geste. Sans rien dire, elle se contenta de muter en
Panda-Roux, et je l'imitai.

George, Jeane et Kaï nous rejoignaient, les yeux écarquillés de frayeur. Ils étaient en piteux état.

-Au fait, je n'étais au courant de rien, pour l'assassinat, murmura Kaï, l'expression pensive et apeurée, son regard perçant me dévisageant intensément.

La douleur de la culpabilité m'envahit. Je comprenai tout de travers. Je laissai aisément mes émotions prendre le dessus, ainsi que de vieux souvenirs que je croyais enterrés ressurgir pour m'opresser le coeur et compliquer les choses. Au fond, ça n'était que pour un simple malentendu que j'avais saccagé cet endroit que j'admirais tant, duquel il ne restait désormais que des ruines. Et un toit, si on considérait cela comme une chance.

La seule chose dont j'avais envie à présent était de quitter cette pièce, m'en aller en détalant pour fuir les problèmes et les conflits attirés à moi comme des aimants. Je ne souhaitais que m'éloigner autant que possible de toute forme de vie quelconque, en priant pour que plus aucune créature, qui qu'elle soit, ne croise ma route. Je ne blesserai plus personne.

Puis brutalement, je tournai les talons et quittai la salle dans un grand fracas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top