Chapitre 22 : Chaos (Corrigé)
Je passais le restant de la nuit éveillé, les yeux écarquillés. Ils avaient refusé de se fermer.
Était-ce parce que mon esprit était secoué de pensées, de questions incessantes, qui tournaient sans s'en lasser ?
Une deuxième Guerre des Trônes se préparait-elle ? C'était la grande question. Mais c'était également celle à laquelle je ne pouvais apporter aucune réponse, pas la moindre théorie ou trace qui me mettrait sur la voie. Kaï m'avait mis en garde, certes, mais il m'avait semblé comme fou. Pris par la terreur de la vérité de ses paroles.
Mes pensées restèrent donc fixées sur une même phrase, petits insectes indésirables qui ne pouvaient me laisser en paix qu'avant d'avoir obtenu leur dû. Ce que je cherchais pour ma part, c'était une réponse.
Toutes les possibilités s'offraient à moi. Et si Kaï n'était que le puissant marionnettiste de cette scène bordélique aux personnages pantins de sa volonté ? Après tout, il n'avait rien éprouvé en tuant tous ceux qui s'étaient dressés sur son passage il y a de cela trente ans.
Frustré, je bondis hors de ma couchette, de mauvaise humeur comme à mon habitude. Seule manquait la voix de ma mère hurlant mon nom pour me sortir du lit. J'aurais regardé l'heure, constaté que j'étais en retard, et elle aurait rit de ma panique soudaine.
Mais à présent, j'étais seul, et ni le chant du vent à ma fenêtre, ni la douce lumière qui perçait les rideaux ne saurait calmer les battements accélérés de mon cœur. Ma mère était loin d'ici, seule dans notre œuf.
Je m'étirai et cherchai le miroir du regard. Je réprimai un grognement agacé ; il n'y en avait pas. Cela m'était sorti de la tête.
Si il y avait un lit et une commode pour ranger ses affaires personnelles, et même si la chambre était bien plus confortable que celle que j'avais connue dans mon quartier, elle me semblait vide. Comme dépourvue de sentiments, d'odeur et d'un quelconque passage passé. Ne restait que le chatouillement des draps de soie sur la truffe, l'odeur de lessive à la lavande qui s'en dégageait. Et si la brise salée de l'océan parvenait jusqu'ici également, la sensation de non appartenance me serrait toujours. Je n'étais pas chez moi ici, et cela m'empêchait d'être à l'aise.
Je m'ébrouai en grognant : voilà qui ne me ressemblait pas. Faire une thèse sur mes sentiments et impressions à propos d'une vulgaire chambre dans laquelle je passais ne serait-ce que quelques heures était totalement inutile.
Je poussai doucement la porte, le plus silencieusement possible. Je n'avais aucune idée de la manière dont se déroulaient les petits-déjeuners à Enorhia, étant donné que le matin dernier, il m'avait été apporté par le Fennec Alwis. Je jetai un bref coup d'oeil dans le couloir et fus rassuré de voir le plateau servi sur un chariot à l'entrée de ma chambre.
Je le pris et le dégustais en vitesse sur mon lit avec appétit. J'essayai de ne pas trop penser aux délicieuses tartines de miel de ma mère, qui à cet instant m'auraient relativement fait du bien. Malgré le goût étrange des aliments, la quantité de nourriture présente sur le plateau me motivait pour la journée. J'avais la chance, à l'inverse des autres des bas quartiers d'Erkaï, de pouvoir me nourrir convenablement. J'étais résolu à en savourer chaque bouchée.
Il n'était plus question de songer à la guerre, au Don, au monstre et à la Magie ; aujourd'hui, les choses retrouvaient leur ennuyante normalité et je deviendrais un élève banal, comme l'on en trouve dans chaque classe.
Une fois le repas terminé, j'attrapai mon sac, déposai le plateau sur le chariot au seuil de la chambre et fermai la porte à double tour. Je pris la direction des escaliers d'un pas léger, les oreilles dressées. Une journée normale. Une simple journée normale, et tout rentrerait dans l'ordre.
Une pensée me traversa soudain l'esprit, malgré mes efforts pour les contenir ; désormais, mon père serait terrifié à ma vue, après ce que je lui avais infligé. Qui sait ce que le monstre que j'étais serait capable de lui faire, la prochaine fois ?
Je m'ébrouai, soudain inquiet : il n'y aurait pas de prochaine fois. Le monstre avait eu ce qu'il voulait, et à présent il se devait de rentrer se cacher. Je n'aurais pas de destinée, pas de "pouvoir", pas d'une autre différence quelconque avec les autres. Je ne souhaitais pas d'une raison supplémentaire pour me porter encore plus d'attention, de me considérer comme différent. Certains pourraient même aller jusqu'à douter de mes gènes : étais-je bien le fils du grand Aïru ?! Ou bien ce dernier était-il le géniteur du futur destructeur de Phoenix ?
Je levai les yeux au ciel : voilà qui ferait une belle première page de journal.
A présent véritablement agacé, j'accélèrai le pas. Comme il était dur de contenir ses pensées !
Je relevai la truffe et réalisai soudainement que je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvai. Où mes pattes m'avaient-elles portées ? Je virai à droite et découvris les imposantes portes de la bibliothèque, qui semblaient m'attirer à elles comme un aimant. Je feulai, les oreilles plaquées en arrière, et rebroussai chemin. Je n'avais aucune envie de parler à Kaï. Pas après les évènements de la veille, à qui ne porterait d'ailleurs plus la moindre attention dorénavant.
J'atteignis le rez-de-chaussée de l'édifice des salles de cours quelques minutes plus tard, la mine plus renfrognée que jamais. Mes pensées matinales et mon passage devant la bibliothèque n'avaient pas vraiment aidé mon humeur.
J'attrapai une des cordes dorées et entamnai mon ascension, les crocs serrées. De nombreux élèves allaient et venaient, l'air pressés et effrayés. L'agitation était à son comble. Un sourcil arqué, je songeai que cette panique était probablement liée à des examens ou autres petits problèmes insouciants d'un élève lambda.
Je finis par sauter au seuil de la porte étiquetée "Histoire des Peuples" et poussai la porte. Cependant, à peine avais-je tourné la poignée que je fus assailli par un intense brouhaha. Partout dans la salle, les Erkaïns s'échangeaient des regards horrifiés. Cris, pleurs et gémissements faisaient écho contre les murs et m'arrachaient une grimace tendue. Que se passait-il ?!
La professeur d'Histoire des Peuples, qui se prénommait Amae, était un élégant perroquet aux plumes d'or et argentées. Si ses yeux noisettes se faisaient doux sur les élèves, ses serres crispées sur le dossier de sa chaise de bureau révélait sa nervosité. Elle semblait tout aussi horrifiée que le reste des élèves et ne disait mot, demeurant à l'écart de toute cette agitation.
Je me frayai un passage parmi la foule, bousculé par les mouvements de l'émeute qui s'était créée au sein de la classe. Les bruits m'oppressaient, de même que les fourrures et les queues en panache qui me fouettaient la truffe. Je vis même de nombreux élèves qui ne faisaient même pas parti de l'effectif de notre classe, et mes yeux s'écarquillèrent sous la panique qui montait progressivement en moi. Cette fois-ci, j'en étais certain ; il s'était produit quelque chose de grave.
-Kenfu ! me héla une voix terrorisée.
Je fis volte face et aperçus George et Jeane non loin, eux aussi écrasés par la foule.
-Par Akala, qu'est-ce qu'il se passe ?! m'étranglai-je en accourant vers eux, haussant la voix pour couvrir le brouhaha.
Les deux Erkaïns semblaient tout deux tétanisés. Leurs yeux grands ouverts et leurs muscles raides trahissaient leur peur. Jeane m'attrapa les épaules et plongea son regard mauve dans le mien :
-C'est la Reine de Stellarium, Kenfu ! gémit-elle, refoulant un sanglot. Elle a été assassinée pendant la nuit !
J'avalais lentement l'information, pris de vertiges. Autour, les bruits se ternirent et l'air me manqua. Je feulai, les oreilles plaquées en arrière, au souvenir des paroles de Kaï la veille : la coïncidence était trop grosse pour n'être due qu'au hasard.
-La princesse a disparu ! enchaîna-t-elle d'une voix suraigüe. Dehors, c'est la panique totale, y a des émeutes de partout !
Mais je ne l'écoutais plus. Mon cerveau de pédalait à toute vitesse. Tout ce que nous savions sur la princesse était qu'elle portait le nom de sa grand-mère, Eleya Phénix. Âgée seulement de trois ans, Phoenix entier l'idolâtrait. Le peuple, quelque soit la créature, lui vouait une loyauté sans faille et nombreux artistes ne vivaient que pour la représenter dans leurs œuvres. Elle était également le trésor humain de sa mère, Kaeryna Phénix, et cette dernière n'avait d'ailleurs de sympathie que pour sa princesse adorée. A l'inverse de sa fille, la reine des Semis-Elfes n'était en effet pas la plus appréciée de tous. Si elle incarnait le Pouvoir Suprême aux yeux du peuple de Stellarium, elle n'était en vérité qu'une femme aux traits dédaigneux qui ne se préoccupait que de l'or et de son hygiène personnelle. Possessive et rancunière, elle haïssait les Erkaïns, en particulier celui qui trônait tout en haut de la hiérarchie.
Or désormais, elle était morte. Et dans sa chute, elle avait entraîné l'ensemble de l'Ile de Stellarium, semblait-il. La panique, le désordre et le chaos était la seule chose qui nous resterait d'elle. Mais là n'était pas le plus alarmant ; Kaï l'avait prédit. Kaï me l'avait dit. Kaï savait...
Je fus pris d'un vertige. Kaï savait.
Ce pourrait-il qu'il soit responsable de ce meurtre ?
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